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Quelles conceptions de l’école maternelle révèlent les pratiques des enseignants ?

Il s’agit maintenant de repérer les traces de ces différentes formes scolaires dans les pratiques enseignantes en portant notre attention sur ce qu’elles révèlent des conceptions de l’enseignement de l’EPS et du rôle du langage dans les apprentissages mobilisés. Nous apportons ici un éclairage sociolinguistique sur l’école maternelle.

L’école maternelle, première école, est aussi celle où se structurent « les modes scolaires de la socialisation intellectuelle des élèves, les habitudes de travail en relation avec la construction des savoirs pour les élèves, construction qui apparaît le plus souvent différenciée ». (Bautier, 2006, p.8). Deux types de malentendus fortement liés sont identifiés : le premier concerne les objets d’apprentissage qui ne sont pas forcément perçus comme tels par les jeunes enfants ; le deuxième a trait à la reconnaissance des enjeux cognitifs dans les situations proposées et à la mobilisation de l’activité cognitive et langagière adéquate. Ces travaux interrogent les conceptions enseignantes dans la mesure où elles orientent les pratiques et pèsent plus ou moins lourd sur l’apparition des malentendus. Notre objet de recherche nous conduit à centrer plus précisément notre regard sur l’enseignement de l’EPS et sur le rôle du langage dans les apprentissages.

Trois conceptions enseignantes de l’école maternelle se dégagent de la recherche conduite par Bautier et s’ancrent sur un mouvement sociohistorique. Elles portent les traces des évolutions du rôle et de la forme scolaire de l’école maternelle depuis ses débuts en 1881 et le militantisme de l’inspectrice Pauline Kergomard comme nous l’avons montré. Nous les reprenons ici (op.cit. p.81). En croisant des références institutionnelles et les résultats produits par la sociologue, nous proposons des hypothèses liées à ces trois conceptions renvoyant à l’enseignement de l’EPS et du rôle assigné au langage dans les apprentissages liés à cette discipline.

 « Une école maternelle qui doit garder son identité par rapport à l’école élémentaire » et qui se contente de mettre les élèves en présence des objets du monde convaincue qu’il suffit de faire pour apprendre. Ce qui prime, c’est l’épanouissement dans un milieu organisé et harmonieux qui laisse la part belle à la créativité. C’est l’avènement du bain de langage. Les relations école/famille sont traitées sur le mode de la connivence. On perçoit une certaine perméabilité entre les pratiques de l’école et certaines pratiques familiales excluant les familles les plus éloignées de la culture scolaire et produisant de la difficulté scolaire. Cette conception résulte de multiples influences issues des formes successives de l’école maternelle et notamment des

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instructions officielles de 1977 fondées sur un modèle sensoriel et expressif de l’apprentissage qui valorise la découverte et la créativité en limitant les interventions de l’adulte. La mission première de l’école est d’apprendre aux jeunes enfants à vivre ensemble. On met en avant l’enfant, et non l’élève, conquérant de sa propre autonomie. En ce qui concerne l’EPS et le langage qui y est associé, la prescription officielle indique :

C’est principalement l’organisation du milieu qui doit permettre par la suite à l’enfant : – de jouer seul ou en groupe avec des objets mobiles : ballons, cerceaux, divers matériels du commerce,

– de participer à des parcours déterminés par des objets fixés au sol, – de poursuivre des itinéraires jalonnés ou non,

– d’inventer des jeux à obstacles pour lui seul ou à l’intérieur d’un groupe, – de parvenir à l’élaboration de ce que l’on pourrait appeler déjà des règles d’action, d’apprécier dans quelle mesure ces dernières sont ou non respectées et de procéder, par essais et erreurs, à des rectifications.

Le langage oral intervient alors d’une manière naturelle, à l’intérieur d’un groupe, comme moyen de communication entre les enfants, entre ces derniers et l’éducateur faisant, lui aussi, partie du groupe.

Le langage est surtout un outil de communication déconnecté du savoir. Les interactions entre élèves n’ont pas réellement de valeur cognitive, elles se situent plutôt sur le plan de l’affectif. Elles ne s’appuient pas sur des traces tangibles de l’activité. Les interventions de l’enseignant sont organisées par la verbalisation de l’émotion et la narration de l’action.

La conception de l’enseignement de l’EPS mobilisée met en avant le jeu, l’expression corporelle et une grande variété de situations pour ne pas se lasser et pour s’amuser. Les pratiques proposées aux élèves différent peu de celles du centre de loisirs ou de la garderie.

 « Une école maternelle qui anticipe l’école élémentaire », confronte les élèves à des objets de savoir dans une logique d’apprentissage et d’exigence. Cette conception s’oppose à la précédente dans le sens où, si l’école maternelle a sa propre identité, elle s’inscrit dans un continuum et a pour mission de les préparer, tant sur le plan des savoirs enseignés que sur celui des attitudes, à l’école élémentaire. L’accent est particulièrement

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mis sur les activités langagières orales et écrites, en préparant l’élève aux exigences qui seront celles d’un apprentissage plus systématisé de la lecture.

Cette conception répond à l’ambition de la société de permettre à tous les élèves de réussir. Elle envisage l’entrée à l’école maternelle comme une rupture pour tous les enfants et prévoit la prise en charge de cette rupture en accordant un temps organisé de transition entre la famille et l’école.

Loin de la connivence avec certains parents qui caractérise la conception précédente, les enseignants tentent de construire et de maintenir un lien avec toutes les familles et plus particulièrement avec celles qui ont connu des histoires difficiles avec l’institution scolaire. Les prescriptions institutionnelles de 2015 s’inscrivent dans cette conception. Le langage apparait comme un outil de communication, mais aussi d’évocation qu’on mobilise pour se mettre à distance. Les interactions entre élèves sont envisagées positivement, comme un appui, une aide. On retrouve les influences de Vygotski et de Bruner qui ont montré l’importance des interactions entre pairs ou entre enfant et adulte dans les processus d’apprentissage comme nous le développerons dans la suite de notre propos. On lit dans la rubrique « échanger et réfléchir avec les autres » des programmes ; « Les moments de langage à plusieurs sont nombreux à l’école maternelle : résolution de problèmes, prises de décisions collectives, compréhension d’histoires entendues, etc. Il y a alors argumentation, explication, questions, intérêt pour ce que les autres croient, pensent et savent. L’enseignant commente alors l’activité qui se déroule pour en faire ressortir l’importance et la finalité » (p.6)

La conception de l’enseignement de l’EPS s’appuie sur la mise en place de situations d’enseignement issues de pratiques culturelles transposées. Concernant les sports collectifs, les programmes des 2015, sans se référer explicitement à une Activité Physique Sportive et Artistique (APSA), évoquent l’opposition entre deux équipes et la réversibilité des rôles, même si elle succède à la construction d’une collaboration. « Pour les plus jeunes, l’atteinte d’un but commun se fait tout d’abord par l’association d’actions réalisées en parallèle, sans véritable coordination. Il s’agit, dans les formes de jeu les plus simples, de comprendre et de s’approprier un seul rôle. L’exercice de rôles différents instaure les premières collaborations (vider une zone des objets qui s’y trouvent, collaborer afin de les échanger, les transporter, les ranger dans un autre camp...). Puis, sont proposées des situations dans lesquelles existe un réel antagonisme des intentions (dérober des objets, poursuivre des joueurs pour les attraper, s’échapper

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pour les éviter...) ou une réversibilité des statuts des joueurs (si le chat touche la souris, celle-ci devient chat à sa place...). »

Ce sont des pratiques scolaires, voire même scolarisées qui mobilisent des savoirs disciplinaires répondant aux problèmes posés. Cette conception prend en compte la dimension temporelle nécessaire à une transformation en maintenant une situation stable et en garantissant à chaque élève une quantité d’action suffisante. L’accent est mis sur la transformation motrice en mettant en œuvre des moyens pour les élèves de se mettre à distance de l’action. « Ces séances doivent être organisées en cycles de durée suffisante pour que les enfants disposent d’un temps qui garantisse une véritable exploration et permette la construction de conquêtes motrices significatives » précisent les programmes.

 « Une école maternelle qui se confond avec l’école élémentaire » prône les apprentissages précoces et développe une logique comportementaliste. Le langage écrit est survalorisé dans des exercices formels peu porteurs de sens pour l’élève. Cette conception résulte de multiples pressions : sociale, médiatique, institutionnelle. Les relations école/famille sont fondées sur le présupposé du déterminisme social. Les apprentissages de l’école maternelle sont identiques à ceux de l’école élémentaire. La relation aux autres peut entraver le travail scolaire puisqu’elle risque de perturber la concentration. Elle peut même être la source des difficultés pour des élèves qui « ne trouvent pas leur place ». L’aspect cognitif des interactions entre pairs n’est pas envisagé puisque les tâches sont majoritairement individualisées.

La difficulté à entrer dans les tâches scolaires est imputée à un manque de motivation contre lequel l’enseignant ne peut rien ou à un défaut d’attention au moment de la passation des consignes. L’attitude attendue d’un élève dans la classe est une manifestation d’intérêt certes, mais surtout l’adhésion aux codes de l’école : lever les doigts pour répondre aux questions et seulement celles que pose l’enseignant.

Les interactions entre élèves sont peu présentes. Les interventions de l’enseignant sont peu centrées vers l’étayage ; l’élève doit être en mesure de mener le travail demandé en totale autonomie.

La conception de l’enseignement de l’EPS est plutôt formelle. On enseigne des gestes avant la mise en place de situations qui se réfèrent à des pratiques culturelles et on attend des comportements non accessibles pour de jeunes élèves. L’organisation prévaut sur la quantité d’action de chaque élève. Le rapport de l’IGEN de 2011 dénonce des traces de cette conception comme le montre l’extrait qui suit : « Les activités qui relèvent du

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domaine “agir et s’exprimer avec son corps” sont presque systématiquement proposées au collectif-classe même si celui-ci se trouve ensuite scindé en groupes et les conduites de classe diffèrent alors le moins de ce que l’on observe en élémentaire. (…) on a pu voir des “parcours”, des activités centrées sur un geste moteur (et l’on est étonné de la prégnance du “lancer” très majoritaire), des activités d’expression corporelle avec ou sans musique, des jeux collectifs. Les enfants sont engagés chacun pour ce qui le concerne, les uns à côté des autres, les uns avec ou contre les autres (jeux d’équipe ou d’opposition) et, hormis la consigne, la dimension verbale est peu importante ») (p.102) La première et la dernière conception risquent de produire ou de renforcer des inégalités dans la mesure où l'école ne rend pas lisible l'activité attendue. Elle peut parfois entretenir dans l'esprit des élèves souvent les plus fragiles, une confusion entre la tâche scolaire, ce qu'il y a à faire concrètement et l'activité sous-tendue. La formation professionnelle, si elle se donne pour projet de transformer les pratiques, ne peut ignorer et comprendre ce qui les fonde pour mieux envisager les ruptures.

Ce que nous retenons :

Pratiques et conceptions entretiennent des liens étroits.

Ces premiers paragraphes montrent une hétérogénéité des conceptions de l’enseignement de l’EPS et du rôle du langage dans l’apprentissage qui s’enracinent plus largement dans des conceptions divergentes de l’école maternelle. Cette hétérogénéité trouve sa source dans une évolution discontinue de l’école maternelle et dans une succession de formes scolaires distinctes. Une des conceptions évoquées de l’enseignement de l’EPS à l’école maternelle mobilise des concepts et des savoirs propres à la discipline et accorde au langage une place importante dans le processus d’apprentissage. C’est dans cette conception que s’ancre notre recherche. Construire ce rapport particulier, culturel et émancipateur entre l’élève et le savoir, c’est donner à tous les mêmes chances de réussir. Cependant, la formation professionnelle ne peut ignorer le déjà-là sur lequel s’appuient les enseignants pour conduire la classe.

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Chapitre 2 : problème, obstacle et

problématisation : des concepts pour