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Les approches théoriques développées ont pour fonction de délimiter le cadre dans lequel nous situons cette recherche et de préciser l’objet d’étude. Pour accéder aux techniques mises en œuvre par les enseignants et en faire une lecture problématisée, il convient maintenant d’opérationnaliser les options qui sont les nôtres et de les articuler dans un cadre fonctionnel.

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Ce cadre fonctionnel correspond à ce que Van der Maren (2014) nomme le cadre conceptuel. Il est « le pendant du cadre théorique dans une perspective exploratoire ou inductive ».

Deux dimensions sont à prendre en compte pour construire ce cadre : une dimension épistémique et une dimension pragmatique. Pastré (2011) mobilise ces deux dimensions au travers de registres. « Le registre épistémique dont le but est d’agir sur le réel pour le connaître ; et le registre pragmatique dont le but est d’agir sur le réel pour le transformer » (p. 199). La problématisation mobilise ces registres (Lebouvier, 2010) en leur donnant une autre coloration qui s’illustre dans le cadre fonctionnel que nous construisons. Ce cadre s’organise autour de deux axes : un axe épistémique lié au processus de problématisation qui articule données et conditions et un axe pragmatique lié à la dimension concrète du problème et de la solution. Le schéma 4 positionne ces axes et constitue la première étape d’un modèle plus complet.

Schéma 3 : première étape modélisation d’une mise en langage

L’axe pragmatique

Fabre (2011, p.69) nous rappelle que problématiser, c’est ajourner la solution au bénéfice de la réflexion en déployant un espace cognitif. Dans le cadre d’une problématisation technique, la dimension pragmatique de la solution lui confère une forte attractivité contre laquelle il faut se prémunir. Problématiser consiste alors à suspendre son jugement, à différer l’arrêt d’une solution au bénéfice d’une exploration des possibles, de la mise en avant de raisons au-delà des causalités conjoncturelles. Cependant, l’axe qui relie le problème à la solution constitue l’axe pragmatique sur lequel nous allons maintenant nous arrêter.

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Un problème à résoudre

Notre appui demeure le modèle de formation praticienne de Le Bas que nous avons présenté précédemment et qui met en évidence de manière théorique trois classes de problèmes. Formulés de manière générique, ils s’affinent et se précisent lorsqu’ils s’articulent aux disciplines scolaires. Une approche didactique centrée sur le savoir et l’apprentissage des élèves ne peut penser les problèmes professionnels indépendamment des contenus à enseigner. Traiter la question des mises en langage pour progresser en sports collectifs renvoie selon notre hypothèse à un problème issu de la classe « gérer la tension entre procédure de l’apprentissage et produit de l’apprentissage par la mise en œuvre d’une problématique de transformation » appuyée sur un travail autour des obstacles à l’interaction d’une logique de l’élève et d’une logique du savoir si l’on se réfère aux travaux de Le Bas (2007). Le problème concret qui est à résoudre par les enseignantes engagées dans le processus de formation est « Comment mettre des élèves d’école maternelle en langage pour qu’ils progressent en sports collectifs ? ». Le choix de ce problème générique n’est pas anodin. Il est posé à des enseignantes expérimentées et renvoie au guidage de l’activité d’apprentissage des élèves. Il sera reconstruit de manière singulière par chacune des professionnelles. Il émerge de la pratique mais n’est pas spontanément repéré. Fabre (2006) constate que la pratique n’est pas consciemment perçue comme une solution à un problème. La confrontation à différentes solutions a vocation à favoriser la perception du problème par les formées au cours du processus de formation. La dimension pragmatique du problème se retrouve dans l’effet recherché, escompté, attendu sur les élèves et sur leur apprentissage. Les traces de cet effet, nous l’avons dit, ne sont appréhendables qu’au travers des productions des élèves qui nécessiteront une interprétation. Le problème peut se poser au professionnel qui, chaque jour, doit faire classe. Il a alors peu de chance de s’engager dans un processus de problématisation qui ne peut être conduit seul pour plusieurs raisons. D’abord, l’attractivité de la solution détourne l’enseignant de la construction coûteuse d’un espace cognitif. Ensuite, cette construction impose le déploiement d’une argumentation qui ne peut s’effectuer seul. Citons par exemple l’utilisation qui peut être faite des documents didactiques auxquels nous faisons référence en sports collectifs à l’école maternelle (C. Pontais et Delamarre, « gendarmes et voleurs ») Ces documents proposent une solution « clé en main » qui peut être appliquée en classe sans passer par un processus de problématisation pour résoudre le problème « faire apprendre les élèves en sports collectifs ». Cependant, cette solution n’est que partielle et ne prend pas en compte, telle quelle, toutes les nécessités qui doivent être réunies, notamment, mais pas exclusivement, ce qui concerne les

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aspects relatifs au guidage des apprentissages. C’est plutôt dans le cadre de la formation que va se construire le problème dans une activité d’articulation de données et de nécessités qui oblige à une prise de recul de la part du professionnel.

La mobilisation de choix concrets pour un effet escompté

Comme nous l’avons évoqué dans notre première partie (§ 5.2.3) Combarnous signale les dimensions « intention » et « utilisation » constitutives des techniques. L’exemple qu’il emprunte au poète Alain illustre cette double caractéristique. L’exemple montre comment l’intention de naviguer de l’homme le pousse à enrichir la structure d’une barque de pêche pour faire face à la nature et à modifier la forme de la coque, adjoindre des voiles, des cordages et un gouvernail qu’il tient de la barque. Ces deux dimensions sont à mettre en relation avec la théorie de l’activité que présente Léontiev. L’axe pragmatique renvoie à la rationalité de l’activité L’intention a une fonction d’orientation et se situe au niveau des actions. Elle répond à la question « pour quoi le sujet agit ? ». L’’utilisation se situe au niveau des opérations et de la fonction matérielle de l’activité. Elle répond à la question « comment le sujet agit ? ». Si l’on admet le caractère technique de l’activité enseignante, alors, il convient de déterminer ce qui relève de l’intention et de l’utilisation dans la pratique enseignante. La mobilisation de choix concrets sur la situation relève de l’utilisation. Elle s’effectue au service d’un effet escompté chez les élèves qui constitue l’intention. Parmi les instruments mobilisables dans les choix concrets, les travaux de Vygotski montrent une autre facette de l’instrument langage comme instrument psychologique. Celui-ci permet au sujet lui-même non seulement d’agir sur autrui, mais aussi d’agir sur lui-même en contrôlant et en régulant sa propre activité. Cette caractéristique est commune aux instruments sémiotiques (diverses formes de langage). Parmi les choix concrets sur lesquels peut agir l’enseignant dans le cas des mises en langage, certains entrent dans cette catégorie des instruments sémiotiques. Par exemple le recours à des maquettes, qu’on les appelle ainsi ou bien encore support, référentiel, affiche… est assez fréquent dans les mises en langage à l’école maternelle. Ces choix concrets correspondent à une forme de langage.

La notion d’instrument sémiotique nous permet d’accéder à la technique en démêlant les différents choix concrets sur la situation mise en œuvre par les enseignants. Mais la manière dont ils sont agencés est également riche d’enseignement. Trouche (2005) fait référence à des orchestrations instrumentales. Elles sont « un agencement systématique par un agent intentionnel des éléments (artefacts et humains) d’un environnement en vue de mettre en œuvre une situation donnée. » Parmi les choix concrets qu’effectue l’enseignant dans la conception et

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la mise en œuvre des mises en langage, certains ne relèvent pas de la catégorie des instruments sémiotiques, mais participent de l’orchestration et servent une intention. Prenons l’exemple de la relation temporelle entre l’action et la mise en langage. Ce choix concret participe de l’orchestration et dépend de l’intention dont est porteuse la technique. Mobiliser une maquette avant l’action peut soutenir l’intention d’engager les élèves dans l’exploration de nouveaux possibles tactico-techniques en mettant en mots par exemple la nécessité de tenir compte de l’état du rapport de forces pour agir. Ce choix peut concrétiser la prise en charge d’une nécessité référée au savoir en jeu et une nécessité référée à la relation entre le langage et apprentissages moteurs. En parallèle, Mobiliser une maquette après l’action peut soutenir l’intention de construire la même nécessité référée au savoir, mais en prenant en charge une autre nécessité, celle de s’appuyer sur l’expérience.

La dimension intentionnelle inclut l’idée que la description d’une orchestration ne se limite pas à la description d’un agencement existant, mais nécessite l’explicitation de ce qui l’a fondé en amont en termes d’effet escompté. Dans notre approche didactique, l’effet escompté vise l’activité d’apprentissage des élèves et oriente la solution. Le schéma 4 positionne le problème à résoudre et la solution technique sur l’axe pragmatique de notre modèle dans une deuxième étape de construction. Ce modèle s’inspire du losange de problématisation proposé par Fabre et Musquer (2009).

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L’axe épistémique

La suspension du jugement, dans le cadre d’une problématisation technique, octroie une place prépondérante à la réflexion sur un axe épistémique qui articule des données et des nécessités.

Des données à prélever

Fabre (2006) nous rappelle que construire un problème professionnel, c’est recueillir des données et concevoir des scénarios pédagogiques testés en pensée, des hypothèses, qui répondent à un cahier des charges contrôlé par des normes, les conditions. Toutefois, il convient de préciser la nature des données prélevées dans le cas des pratiques enseignantes.

Lebouvier (2015) signale que « les données sont à construire par le sujet à partir des éléments de contraintes présents dans la situation. Quand celles-ci sont appuyées sur la pratique, elles ont une dimension empirique, mais peuvent aussi porter sur des aspects plus symboliques en référence aux outils que l’action utilise. » En outre, elles représentent « les contraintes et les ressources » perçues dans la situation et qui vont jouer un rôle dans le traitement du problème. Dans la classe, l’activité des élèves a le statut de donnée si elle joue le rôle d’une contrainte ou d’une ressource au regard du problème traité. Cela peut être ce que font les élèves, ce qu’ils disent ou bien encore ce qu’ils sont. C’est à l’aune de ces données spécifiques, articulées à des nécessités liées aux conceptions qui sont les siennes et qui régissent sa pratique, que l’enseignant élabore des solutions possibles pour faire progresser ses élèves. L’expérience de l’enseignant peut également fournir des données du problème à construire. Il reconstruit alors des contraintes ou des ressources en référence à des difficultés qu’il a pu avoir à surmonter dans des situations d’enseignement ou qu’il a pu repérer chez des élèves en situation d’apprentissage. La difficulté des élèves de petite section à mettre en mots leur procédure par exemple peut avoir le statut de donnée d’un problème de mise en langage pour progresser en sports collectifs qui émerge lorsque l’on met en discussion des solutions alternatives. Cette donnée a le statut de contrainte prise en charge par un élément de solution (en lien avec le mode de regroupement par exemple) articulée à la nécessité pour les élèves d’interagir pour apprendre.

Les données du problème se distinguent des données de la situation. Ces dernières ont un caractère anecdotique et ne constituent pas des contraintes ou des ressources pour traiter le problème professionnel. L’activité isolée d’un élève par exemple ne peut être assimilée à une donnée du problème, mais seulement à une donnée de la situation non signifiante sauf si elle est signifiante au regard du problème. Ce double statut des données, contraintes ou ressources, nous conduit à privilégier ce terme. En effet, Orange (2005), lorsqu’il se réfère au registre empirique dans la problématisation scientifique, parle de « contrainte ». Cette dénomination

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évacue de fait la dimension « ressource » que l’on peut trouver dans la problématisation technique en formation.

Des nécessités référées aux conceptions mobilisées dans les mises en langage

L’approche par la problématisation invite à ne pas s’en tenir à la solution pour concentrer les efforts vers l’articulation de données et de nécessités dans l’exploration des possibles. Selon nous, les nécessités qui se construisent dans l’activité des épisodes de problématisation en formation prennent appui sur divers éléments dont certains sont peu explicités et renvoient aux conceptions. Ce paragraphe a pour objet de procéder à une première catégorisation des nécessités relatives aux techniques de mises en langage et à donner quelques exemples de ces nécessités et de leur origine.

Cependant, ces nécessités dépassent le cadre des conceptions des savoirs, des apprentissages et de l’enseignement que mobilisent les enseignants. L’approche par la problématisation met en jeu de nombreux paramètres issus de la forme scolaire telle que nous l’avons définie dans le paragraphe 1.1, des liens école/société, des visées données à l’école, des valeurs qu’elles véhiculent. Ces contraintes impactent les nécessités mobilisées.

L’approche par la problématisation technique en formation s’appuie sur une conception de l’enseignement à l’école élémentaire comme à l’école maternelle qui confronte les élèves à de vrais objets de savoirs à enseigner dans une logique d’action et d’apprentissage. Par conséquent, des nécessités liées à la conception de l’enseignement se dégagent comme la nécessité pour l’enseignant d’accéder aux représentations initiales des élèves pour les transformer. En ce qui concerne le savoir enseigné à l’école, les nécessités se réfèrent à une conception culturellement et historiquement située qui entretient des liens étroits avec sa fonctionnalité et la transposition didactique comme nous l’avons développé dans les paragraphes précédents.

La problématisation technique en formation mobilise une conception fonctionnelle, culturelle et historique du savoir qui nous contraint à opérer une transposition didactique prenant en compte les pratiques sociales de références. En ce qui concerne les sports collectifs à l’école maternelle, la nécessité de prendre en compte l’état du rapport de forces entre les deux équipes sur un plan spatial et temporel apparaît comme incontournable par exemple.

En référence aux travaux de Vygotski et Bruner, nous considérons que le langage est le vecteur par lequel les échanges autour du savoir vont passer. Ces échanges se produisent entre pairs de manière symétrique et peuvent se compléter ou se confronter. Ils se produisent également de manière asymétrique entre enseignant et apprenant. Dans le cadre de notre travail de recherche nous distinguerons donc des nécessités référées à une conception de l’apprentissage telle que la

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nécessité pour les élèves d’objectiver des prestations, mais aussi des nécessités référées à une conception de la relation langage/apprentissage moteur par exemple la nécessité de mobiliser le langage pour accéder à des raisons. Le schéma 5 positionne données et nécessités su l’axe épistémique de notre modèle. Il constitue la modélisation qui va nous permettre de lire les mises en langage construites par les enseignants. Cette modélisation a pour fonction de donner de l’intelligibilité aux pratiques mises sous observation puisqu’elle constitue le filtre commun. C’est une construction a priori qui ne garantit en rien le fait qu’elle sera mobilisée par les enseignants au cours du processus de formation, mais qui occupe une fonction heuristique dans notre démarche de recherche.

Schéma 5 Modélisation d'une technique de mise en langage problématisée

La modélisation ci-dessus propose une grille de lecture, a priori, pour rendre intelligible l’espace dans lequel le problème va se reconstruire dans une articulation entre données et nécessités. A posteriori, elle nous permettra d’analyser les techniques mises en œuvre ou discutées au cours du processus de formation à l’occasion d’entretiens de formation, puisque ce ne peut être qu’en ces circonstances que peuvent se produire des processus de problématisation. Cependant, cette modélisation ne dit rien des dynamiques de problématisation (comment s’articulent telle donnée et telle nécessité ?), de la mise en chronologie de l’argumentation au cours des entretiens et de ce qui provoque les mises en relation des données et des nécessités.

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Ce que nous retenons :

Ce chapitre dessine une modélisation des mises en langage à l’aune de la problématisation technique et nous permet de nous doter d’un outil de lecture des pratiques enseignantes. Cette modélisation occupe une fonction heuristique dans notre travail de recherche et présente l’intérêt de favoriser les comparaisons entre plusieurs techniques de mises en langage. Les nécessités déjà évoquées dans la première partie sont resituées dans le cadre plus large de la recherche en sciences de l’éducation de manière à donner aux savoirs construits, dans le cadre de la problématisation, un caractère apodictique. Nous avons précisé la nature des données du problème à saisir ainsi que les normes qui vont modeler la forme de la solution.

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7 Chapitre 7 : la relation entre

expérience, mise en mots et