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Vygotsky – ou : l’interaction avec les autres est au fondement de tout apprentissage

Vygotsky (1896-1934) se distancie de la psychologie développementale de son époque en mettant en avant l’importance de l’environnement socio-culturel pour le développement des processus mentaux supérieurs chez l’enfant. Il s’inspire pour cette idée d’une genèse sociale de la pensée aussi bien de Spinoza que du marxisme (Bronckart 1985 : 14). Il s’agit là de l’idée centrale de sa théorie.

Le lien entre langage et pensée

Dans son ouvrage Pensée et Langage (datant de 1934 pour la version originale russe et de 1985 pour la traduction française), Vygotsky s’intéresse avant tout au rôle du langage dans les médiations humaines et ce livre reflète son « analyse génétique des rapports entre la pensée et le mot » (Vygotsky 1985a : 28). À ce titre, il s’interroge sur la signification du mot et sur son lien avec le mot lui-même. D’un point de vue linguistique, la signification donne son existence au mot, car c’est elle qui le distingue d’une simple suite de sons. D’un point de vue psychologique, la signification est une

généralisation, ou autrement dit un concept. La formation d’un concept est un acte de pensée, et « par conséquent nous sommes en droit de considérer la signification du mot comme un phénomène de la pensée » (Vygotsky 1985a : 321).

Ainsi la signification du mot est à la fois phénomène verbal et phénomène intellectuel (…). La signification du mot est un phénomène de la pensée dans la mesure seulement où la pensée est liée au mot et incarnée dans le mot – et inversement elle est un phénomène du langage dans la mesure seulement où le langage est lié à la pensée et éclairé par elle (Vygotsky 1985a : 322).

La pensée verbale se réalise grâce à la signification du mot, ou autrement dit, elle a pour unité de base la signification du mot.

Vygotsky insiste sur le fait que, contrairement à ce que l’on pensait jusque-là, le mot et sa signification ne sont pas liés par une association qui peut uniquement s’enrichir ou au contraire s’affaiblir, mais jamais être modifiée profondément. La signification du mot n’est ni constante, ni immuable. Il ne s’agit pas d’une association entre les deux éléments. Mais la signification du mot

se modifie au cours du développement de l’enfant. Elle varie aussi avec les différents modes de fonctionnement de la pensée. C’est une formation plus dynamique que statique (Vygotsky 1985a : 328).

Si la nature interne de la signification du mot peut changer, cela signifie que « le rapport de la pensée et du mot se modifie lui aussi » (Vygotsky 1985a : 328).

Le fonctionnement mental prend selon Vygotsky deux formes différentes. Ainsi, il existe les processus mentaux élémentaires, qui sont dus à l’héritage génétique et à l’expérience directe avec les objets. Les autres processus mentaux (par exemple l’attention et la mémoire) sont supérieurs ; ils vont de pair avec le développement de la fonction symbolique et surtout avec l’acquisition du langage.

La médiation sémiotique

Le langage joue, nous venons de le voir, un rôle primordial dans la théorie de Vygotsky. En effet, cet auteur considère les signes verbaux comme étant les outils cognitifs de l’Homme. Ils sont les plus importants des instruments grâce auxquels l’interaction sociale peut avoir lieu et c’est à travers elle que les processus mentaux supérieurs individuels se construisent.

En effet, toute activité humaine est socialement médiatisée. L’activité physique est médiatisée par des outils, transmis par les générations antérieures. L’activité mentale supérieure est médiatisée par des signes et des systèmes de signes, au sein desquels le langage prend une place prépondérante. Les signes et systèmes de signes eux aussi ont une origine socio-culturelle et ont été transmis par les générations antérieures. Or, les signes ne sont pas seulement un héritage culturel. Ils sont également au fondement de l’appropriation intellectuelle individuelle.

La communication établit au départ le lien entre l’enfant et les personnes qui l’entourent. L’adulte utilise les mots pour interagir avec l’enfant. Ainsi, l’enfant apprend les signes à son tour, d’abord pour interagir socialement ou bien pour agir sur les autres. Ensuite, il intériorise la communication et se parle à lui-même, intérieurement, ce qui lui permet d’organiser ses pensées et d’agir sur lui-même (Vygotsky 1978 : 90). En résumé, c’est donc à travers la communication que l’individu développe des fonctions mentales supérieures ; ou encore, la médiation sémiotique joue un rôle dans la socio-genèse de la pensée. Au cours des échanges, la fonction interpersonnelle des signes (sociale et communicative) se transforme en fonction intrapersonnelle (individuelle et intellectuelle).

L’apport social dans l’apprentissage et dans le développement

En s’opposant à Piaget ainsi que généralement à la psychologie développementale de son époque, Vygotsky met l’accent sur l’apport social dans le développement individuel (Gilly & al. 1999 : 10). Les approches cognitivistes ont une vision binaire de l’apprentissage et ne prennent en considération que l’interaction entre l’individu et l’objet (ou la tâche). Pour Piaget, si des facteurs sociaux peuvent jouer un rôle, ce rôle n’est pas constitutif de l’apprentissage lui-même (Vygotsky 1978 : 79), du moins dans les premières années de l’enfant. L’approche socio-constructiviste de Vygotsky en revanche est ternaire. Elle introduit le contexte social comme élément constitutif de l’apprentissage, et par là du développement, dans la relation entre individu et objet (Gilly 1995 : 132).

Dans les interactions sociales, l’imitation joue un rôle extrêmement important. En effet, selon Vygotsky, les enfants apprennent le langage ainsi que d’autres compétences des adultes, en les imitant et par l’enseignement que les adultes cherchent à leur donner (Vygotsky 1978 : 84). Or, il existe une différence entre apprentissage et développement de l’enfant et apprendre en imitant ne signifie pas encore que le niveau mental du sujet se développe au même point. Vygotsky crée la notion de « zone proximale de développement » pour rendre compte de cette différence (Vygotsky 1985b : 106). Il a observé qu’un enfant est capable de réaliser davantage de choses avec l’aide d’un adulte – ou d’un autre enfant plus expert – que seul. Au lieu de déterminer simplement l’âge mental de l’enfant en fonction de ce qu’il sait faire seul, il insiste sur la nécessité de la détermination d’un autre aspect : celui des capacités de l’enfant lorsqu’il est aidé, par exemple lorsqu’on lui présente un modèle. De fait, l’enfant ne sait pas imiter toute chose, mais seulement ce qui fait partie de ce qu’il est déjà en train d’acquérir (Vygotsky 1978 : 86-87). La zone proximale

de développement est ce que l’enfant arrive à réaliser avec l’adulte, mais non en activité autonome (Vygotsky 1985b : 108-109).

L’apprentissage de l’enfant se fait à travers ses différentes activités, et notamment à travers ses interactions avec des personnes plus expertes. Développement et

apprentissage ne sont pas identiques, mais le développement suit l’apprentissage de manière non homogène et irrégulière. L’apprentissage débouche sur la création de zones proximales de développement chez l’enfant. Apprendre n’est donc pas encore se développer, mais un apprentissage bien organisé se concrétise dans le développement mental et met en œuvre des processus développementaux qui n’auraient pas lieu sans l’apprentissage (Vygotsky 1978 : 90). Le développement cognitif résulte des apprentissages de l’enfant, dus aux contextes sociaux.