• Aucun résultat trouvé

Hypothèses sur les effets du groupe restreint tutoré vs du mode individuel tutoré

Fonctionnalité de la plate-forme

Chapitre 5. Question de recherche et hypothèses

5.2.2. Hypothèses sur les effets du groupe restreint tutoré vs du mode individuel tutoré

Nous avons précédemment (cf. 5.2.1.) décrit les différentes compétences nécessaires pour la réalisation d’une synthèse en langue étrangère : ce sont les compétences cognitive, pragmatique et langagière. Ces différentes compétences mises en œuvre pour la rédaction d’une synthèse seront prises en compte dans l’établissement de nos hypothèses.

Le groupe permet un échange, une argumentation et une prise de décision qui favorisent la réflexion de chacun de ses membres. Cette discussion peut porter sur trois éléments, qui sont l’identification des idées à retenir dans le cadre de la synthèse réalisée ensemble (l’aspect cognitif), la cohérence à donner à la synthèse, avec l’identification de la problématique, le plan et son articulation (l’aspect pragmatique), la compréhension des documents et la richesse et la correction de l’expression langagière (l’aspect langagier). Tous les domaines qui sont soumis a priori à une discussion dans le groupe lors de la période de travail devraient ainsi faire progresser les participants dans leurs savoir-faire individuels.

En revanche, les commentaires du tuteur sont plus personnalisés pour une personne travaillant en individuel, tout simplement parce que les productions – intermédiaires ou finales -, n’ont pas été faites par un ensemble de personnes mais par elle seule. La personne est donc plus directement concernée par tous les aspects sur lesquels porte le commentaire.

Par contre, à la différence de l’interaction dans le groupe, la communication entre la personne travaillant en mode individuel et le tuteur a lieu non pendant une phase d’élaboration d’une production (intermédiaire ou finale), mais après. Les commentaires n’interviennent pas lorsque l’apprenant est dans une phase de réflexion et de confrontation au problème, mais seulement a posteriori. Il pourra bien tenir compte des commentaires par la suite, ou pour la production suivante. L’interaction n’intervient cependant pas au moment-même où il en a besoin. Or, les travaux sur le conflit socio-cognitif mettent en avant l’importance du moment auquel la critique ou, dans leur cas, la négociation ont lieu : c’est au moment de la réflexion sur la manière dont il va résoudre le problème que cette interaction est bénéfique à l’apprenant. L’activité métacognitive est également plus difficile avec un tuteur qu’en groupe tutoré, car la critique peut, comme nous venons de le dire, être différée dans le temps. De plus, vu la différence hiérarchique entre leurs statuts et celle présupposée de leur savoir, l’apprenant ne remet généralement pas en cause une solution proposée par le tuteur. Or, une discussion sur les raisons d’une critique de la réponse donnée par l’apprenant aide ce dernier à comprendre et à assimiler cette critique. En raison de ces considérations, nous établissons les hypothèses développées ci-dessous :

L’aspect cognitif : Nous attendons un effet du mode de travail (en groupe tutoré vs. en individuel tutoré) sur l’identification des idées essentielles à faire figurer dans la rédaction : en effet, le fait d’avoir discuté avec les pairs sur le contenu pour d’autres synthèses devrait permettre ensuite à l’apprenant de mieux reconnaître quel est le type de données importantes à retenir pour ce genre de rédaction. Autrement dit, à travers la négociation dans le groupe, l’individu devrait apprendre à déterminer plus facilement et de manière plus sûre les critères de sélection des données à extraire des documents. Plus une activité fait appel à la pensée critique, plus le groupe devrait être bénéfique pour la réalisation durant la période de travail, et par conséquent pour l’apprentissage en définitive. La réflexion conjointe sur le type d’informations à sélectionner dans les documents authentiques devrait permettre aux étudiants de transformer ces questionnements en routines et ainsi d’améliorer leurs capacité individuelles dans la compétence cognitive. Par contre, l’application de conseils venant du tuteur – sans discussion – est supposée bouleverser moins facilement la manière qu’a une personne de rechercher le type d’idées à retenir et de les extraire. Car des commentaires qui n’interviennent pas en phase de résolution de problème (mais seulement a posteriori) et qui ne sont pas soumis à discussion sont moins faciles à intérioriser pour l’apprenant. Le mode individuel devrait ainsi être moins efficace pour progresser dans ce type d’activité [hypothèse 3b].

L’aspect pragmatique : De même, le fait de négocier et d’élaborer ensemble un plan et de se corriger pour l’argumentation, pour l’enchaînement dans la présentation des idées, pour l’introduction et pour la conclusion, suivi de l’aval (ou dans le cas contraire d’un commentaire explicatif) du tuteur sur la structure prévue, devrait amener les étudiants ayant travaillé en groupe à mieux savoir manier les idées, structurer la synthèse et la rendre cohérente. En nous fondant sur les mêmes arguments que pour l’aspect cognitif, nous supposons que la seule application de remarques du tuteur sans justification particulière et sans possibilité de discuter sur leur bien-fondé – en mode individuel – devrait également générer moins de progrès. Ainsi, nous nous attendons à ce que la manière qu’a une personne de faire et de respecter un plan et d’argumenter logiquement s’améliore moins en mode individuel tutoré qu’en mode groupe [hypothèse 3c].

L’aspect langagier :

Expression écrite : En mode groupe, le travail d’écriture est divisé entre les différentes personnes, et cette réduction en quantité d’écriture est équilibrée par la relecture et la correction mutuelles. La correction concerne non seulement le contenu ou la structure, mais également les aspects langagiers. Il faut donc savoir reconnaître les fautes morphologiques, syntaxiques, lexicales ou encore orthographiques des autres et proposer des améliorations. C’est un exercice difficile, mais qui devrait non seulement aider chacun à améliorer son expression en général, mais aussi, justement, la morphologie, la syntaxe, le lexique et l’orthographe. Ainsi, nous nous attendons à ce

que la correction des autres membres du groupe ainsi que par le groupe améliore le niveau d’expression en langue étrangère de chaque étudiant, car il aura réfléchi davantage sur la manière de s’exprimer.

Les étudiants ont tendance à considérer, en ce qui concerne la langue, que la personne la mieux placée pour faire des corrections linguistiques est le tuteur. Il fait figure d’expert pour les aspects langagiers. Dans un groupe, cela signifie qu’ils vont sans doute accorder moins d’importance aux corrections faites par leurs pairs qu’à celles du tuteur. Or, comme nous venons de le dire, dans un groupe chacun ne prend en charge qu’une partie de la rédaction et n’est ainsi directement concerné que par une partie des corrections et commentaires, car on se sent toujours moins concerné par les propositions faites aux autres. Au contraire, la personne ayant travaillé en mode individuel est directement concernée par toutes les corrections de la rédaction qu’elle a faite en entier.

Mais d’un autre côté, en groupe chacun a réfléchi sur la manière de s’exprimer des autres et a si possible corrigé lui-même la langue, ou bien a été corrigé par les autres. Au cours de la réalisation de la tâche, non seulement une correction tacite, mais également une discussion sur l’emploi de la langue (donc au niveau « méta ») devrait avoir lieu : en font partie les questions sur la compréhension des documents ainsi que la négociation sur l’expression écrite. Pour l’aspect langagier, vu les aspects positifs présupposés autant du travail en groupe que du travail individuel, nous nous attendons à une amélioration de l’expression dans les deux cas de figure, sans cependant que l’acquisition soit meilleure dans un cas que dans l’autre [hypothèse 3d].

Compréhension : Pour les membres d’un groupe, le travail de compréhension est équivalent à celui des personnes travaillant en individuel, puisque le corpus de documents proposé est identique et qu’il faut avoir tout lu et tout visionné pour pouvoir se faire une idée d’un plan possible32. A priori, aucune différence des effets du

type de travail sur l’amélioration de la compréhension ne devrait donc se produire, car cette étape dans la réalisation de la tâche reste identique dans les deux situations. Il en est de même pour la vitesse de lecture.

Or, lors de l’interaction en langue étrangère, les étudiants pratiquent également la communication en langue cible. Il est supposé qu’ils posent des questions sur des tournures idiomatiques, d’autres éléments lexicaux, des aspects syntaxiques ou morphologiques aux autres, lorsqu’ils ne les comprennent pas. Cela va dans le sens de la « négociation du sens » langagier (Chapelle 2001, Lamy & Goodfellow 1998, cf. 4.1.1.), qui est visée par des auteurs qui mettent au centre de leurs préoccupations la communication exolingue. La communication, si elle n’est pas l’objectif ultime de l’interaction sur la réalisation d’une tâche, en représente néanmoins une composante

essentielle (cf. Abric 1996). La communication avec le tuteur se fait également en langue étrangère, et cela indistinctement en mode de groupe tutoré et en individuel tutoré. Les membres du groupe sont néanmoins supposés discuter davantage que les personnes en situation individuelle tutorée, car la modalité du travail en groupe nécessite davantage d’interaction verbale (pour débattre des éléments importants du travail, gérer le groupe, etc.) que le travail individuel tutoré.

Si les membres du groupe communiquent davantage que les personnes travaillant en individuel tutoré, on peut s’attendre à l’amélioration de la compréhension et de l’expression écrites qui sont toutes les deux pratiquées dans la communication écrite. Mais en revanche, McNeese (2000) a montré que les personnes travaillant en individuel explorent davantage les données et les détails de la situation fournie – ici des documents. La raison en est qu’ils se sentent responsables pour la totalité de la réalisation de la tâche et savent qu’ils ne peuvent pas s’en remettre aux autres. Une lecture plus détaillée33 les amène en principe à rechercher davantage de mots dans le

dictionnaire et à souhaiter comprendre un texte plus en détail. Cela devrait leur permettre par la suite de mieux comprendre, puisqu’ils ont une meilleure conscience des structures langagières rencontrées. La compréhension écrite devrait ainsi s’améliorer dans les deux modes de travail. Nous nous attendons cependant à une meilleure compréhension détaillée des textes par ceux qui travaillent en individuel tutoré [hypothèse 3a]. L’échange entre les étudiants et entre étudiants et tuteur se passe généralement en langue étrangère, ce qui ne devrait cependant pas représenter une difficulté trop grande, vu le bon niveau de langue déjà requis pour l’accomplissement de la tâche. Par ailleurs, lorsque les étudiants ont du mal à dire quelque chose en langue cible, ils peuvent l’exprimer en français.

33 Il existe trois types de lecture : 1) la lecture globale sert à saisir l’idée générale du texte ; 2) lorsqu’on cherche

des informations précises, on pratique une lecture sélective et 3) une lecture détaillé a pour objectif la compréhension de tous les éléments du texte ; c’est un type de lecture pratiqué par exemple lorsqu’on ne sait pas encore a priori quelles informations l’on cherche.

Les effets de la participation au travail en groupe

Il ne suffit pas d’être simplement dans un groupe pour bénéficier des avantages que ce type de travail peut avoir. Anzieu & Martin (1986) ont montré que l’énergie qu’investit le groupe restreint dans son propre fonctionnement est autant d’énergie qui n’est pas investie dans l’argumentation sur l’accomplissement de la tâche elle- même ou dans sa réalisation. Par conséquent, nous supposons que le bon fonctionnement du groupe optimise le temps passé pour atteindre l’objectif commun – la réalisation d’une tâche en langue étrangère –, et qu’il favorise en même temps l’acquisition. La cohésion du groupe est « l’élément déterminant qui motivera, entraînera et donc fera produire, discuter, négocier, reformuler les notions à apprendre » (Reffay & Chanier 2003 : 368). Autrement dit, un mauvais fonctionnement du groupe devrait nuire à la qualité de l’interaction et par conséquent l’apprentissage. Une bonne dynamique de groupe est déterminée en retour par la dynamique de son interaction, c’est-à-dire la quantité de négociation et la qualité des arguments avancés, qui jouent un rôle important dans l’apprentissage (cf. chapitre 3). Nous faisons l’hypothèse que ne bénéficieront de l’apprentissage des aspects mentionnés ci-dessus que les personnes ayant fait partie d’un groupe dans lequel les membres ont activement participé à l’activité commune. Cela vaut pour leur participation dans les chats, dans les forums, dans la rédaction finale ainsi que pour la correction mutuelle. Une personne qui ne fait que lire ce que produisent les autres pourra évidemment également apprendre à travers cette lecture. Mais cet apprentissage sera dans tous les cas moindre, car selon notre point de vue ce sont la pratique ainsi que la pensée critique – dans laquelle l’échange avec d’autres peut aider - qui favorisent l’acquisition. De plus, cette attitude ne fera pas avancer le groupe. Ainsi, seul un groupe dans lequel les personnes s’investissent dans l’accomplissement de la tâche et acceptent de coopérer (ou bien de réfléchir sur leurs propres pratiques) est susceptible de faire profiter ses membres de la co-élaboration entre pairs [hypothèse 4].