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Fonctionnalité de la plate-forme

Chapitre 5. Question de recherche et hypothèses

5.1. Question de recherche

Selon le principe du learning by doing posé par Dewey, l’individu apprend par la pratique – et nous ajouterons que cette pratique n’est pas à entendre uniquement au niveau physique, mais également au niveau mental. Confronté à une situation qu’il ne maîtrise pas ou bien à un problème auquel il ne sait pas répondre, l’individu est déstabilisé. Piaget explique le développement mental par des déstabilisations et restructurations successives (le « déséquilibre adaptatif ») et s’oppose ainsi à une vision cumulative de l’apprentissage. Vygotsky insiste sur l’importance de l’interaction sociale – et il fait référence à l’interaction entre un enfant et un « expert », la plupart du temps un adulte – pour provoquer les déséquilibres et pour construire les équilibres constitutifs du développement de l’intelligence. D’autres recherches, comme surtout celles de l’École de Genève sur le conflit sociocognitif, ont montré que l’interaction avec un pair peut favoriser la négociation à travers laquelle d’abord la remise en question de sa propre réponse, puis la reconstruction d’un état d’équilibre a lieu. Mais même sans conflit, l’interaction peut bénéficier à l’apprentissage, du moment où elle est la cause de la mise en doute de sa propre réponse par l’individu : l’imitation (en tant qu’acte actif et conscient, cf. Winnykamen (1990)) et la co- élaboration acquiéscante (un sujet propose et l’autre ne fait qu’approuver) ou un rejet de la réponse du sujet sans argumentation peuvent également favoriser le développement cognitif (cf. Gilly (1995)). Dans tous ces cas, l’interaction sociale (interpersonnelle) favorise la déstabilisation et la reconstruction intérieures (intrapersonnelles) de l’individu (voir chapitre 3).

Les deux types d’interaction sociale que l’on distingue généralement sont donc  l’interaction avec des pairs

 l’interaction avec un « expert ».

Dans les deux cas, les recherches expérimentales qui tendent à prouver leur efficacité sont menées le plus souvent avec des enfants, et il ne faut pas oublier que ces théories s’appliquent à l’origine à l’apprentissage chez l’enfant. Or, il se trouve que ce sont là les théories sur lesquelles se fondent aujourd’hui la plupart des travaux de recherche sur la collaboration, et cela même dans le domaine de la formation d’adultes. Ainsi, ces théories sous-tendent également la plupart des recherches sur un public d’adultes en formation à distance.

Dans la FAD, les groupes sont généralement accompagnés par un tuteur. Celui-ci ne dispense pas le groupe de sa gestion interne, mais fait le lien entre la situation-

problème proposée et l’avancement du groupe. Il fournit la fonction d’étayage décrite par Bruner, mais cette fois non pour un individu mais pour un groupe. Le tuteur a ainsi la fonction d’aider le groupe dans une organisation du travail qui est d’autant plus difficile qu’elle se fait à distance. Par ailleurs, il donne des conseils méthodologiques si nécessaire.

La tâche que nous avons retenue s’inscrit dans la perspective actionnelle ébauchée par le Conseil de l’Europe (2001a). Elle est accomplie en contexte social, c’est-à-dire avec des pairs – mais profite également de l’aide d’un tuteur, dont le rôle est celui d’un facilitateur, voire d’un animateur si le groupe n’assume pas lui-même cette fonction29.

De plus, la tâche se réfère au contexte réel des individus, c’est-à-dire celui des études supérieures. Plus spécifiquement, il s’agit d’une tâche complexe (qui comporte des sous-tâches), dont le but est une production en langue étrangère (cf. chapitre 2). Le type de tâche retenu pour l’expérimentation est la synthèse, c’est-à-dire la présentation condensée par écrit des principaux aspects contenus dans un ensemble de ressources vidéo et textuels en langue cible, articulés en fonction de leur problématique commune. Cette tâche a été retenue non seulement parce qu’elle est fortement susceptible d’être proposée dans le cadre du CLES (vu que la plupart des conceptions nationales pour la première phase expérimentale du CLES en comportaient), mais aussi et surtout parce qu’il s’agit là d’une tâche complexe, assez facile à découper en étapes (ou en sous-tâches), et qui se prête bien, par la différence des documents qu’elle couvre, à une discussion en groupe, par exemple pour savoir quelle est la problématique inhérente aux ressources. De plus, la production demandée est relativement longue (deux pages dactylographiées environ), ce qui permet à tous les étudiants d’un groupe restreint de participer à la rédaction.

Le groupe restreint tutoré est vu comme un moyen pour l’apprentissage de la réalisation du type de tâche en langue étrangère retenu. Dans la perspective actionnelle, la tâche sociale a un double objectif : apprendre la langue et apprendre à travailler avec d’autres (les deux objectifs se réunissent dans celui de l’apprentissage à réaliser une tâche avec d’autres en langue étrangère). Néanmoins, la réalité de l’évaluation universitaire à l’heure actuelle, et par exemple du CLES qui doit être mis en place sous peu, ne cherche pas à connaître les compétences d’interaction sociale de l’individu30, mais se concentre sur ses performances individuelles. S’oppose ainsi ici à

la visée sociale de la perspective actionnelle une évaluation individuelle. Celle-ci reflète également la conception qu’a Pléty (1998) d’un groupe, lorsqu’il distingue l’objectif de production du groupe et l’objectif d’apprentissage des individus qui le

29 La présence d’un tuteur est une pratique répandue dans les dispositifs d’enseignement à distance faisant

appel à l’apprentissage collaboratif.

30 Dans la grille des descripteurs de compétences du Cadre Européen Commun (Conseil de l’Europe 2001a),

seule la communication, mais non la capacité à travailler avec d’autres est prise en compte. De même le CLES, qui se fonde sur cette grille, prévoit du moins dans sa phase la plus récente – la première phase expérimentale – uniquement une communication de type questions-réponses avec le jury après un exposé oral.

constituent. Le groupe devient dans ce contexte une structure provisoire (Meirieu 1996b), constitué par un but que tous ont en commun (mais qui reste néanmoins individuel) : l’apprentissage. Si l’interaction dans le groupe peut favoriser le développement cognitif, la déconstruction et la reconstruction qui représentent l’apprentissage restent en fin de compte individuels. Ainsi, sans ignorer la visée sociale de la perspective actionnelle, dans notre contexte particulier nous retenons comme objectif (dont il s’agit de vérifier l’atteinte) uniquement l’apprentissage de l’accomplissement de la tâche en langue étrangère et non l’apprentissage de la vie en société. Ce qui nous intéresse, c’est d’évaluer la validité du scénario de réalisation proposé pour la tâche, en groupe tutoré et à distance, pour l’acquisition de connaissances individuelles en lien avec ce type de tâche.

Nous comparons pour cela l’apprentissage des personnes travaillant dans un groupe tutoré à celui de personnes ayant travaillé seules avec l’aide d’un tuteur. Les bénéfices cognitifs de l’apprentissage individuel tutoré et en groupe (tutoré ou non) ont été observés tous les deux, mais généralement séparément, en comparaison à chaque fois avec un individu travaillant seul qui ne bénéficiait d’aucune aide particulière. Seul dans des cas exceptionnels, (par exemple Pléty (1998)), les études portent sur une comparaison entre un groupe (tutoré ou non) et un individu tutoré. C’est cependant le choix que nous avons fait. En effet, d’après les approches théoriques de l’apprentissage social, aussi bien le travail individuel accompagné (par un « expert ») que celui en groupe restreint accompagné sont des moyens d’apprentissage qui ont montré leur efficacité. En revanche, l’alternative qui consiste à laisser un individu travailler seul, sans aucun accompagnement, ne nous semble pas un choix pédagogique envisageable : le risque de solitude, et de l’abandon qui peut s’en suivre, y est grand. Ainsi, nous comparons deux modes d’apprentissage qui sont plausibles à distance : un groupe tutoré et un individu tutoré. Il s’agit donc de voir, à distance, dans le dispositif en question, sur un type de tâche particulier et avec sa mise en scène retenue, quel mode est le plus adapté. Ou encore, quel type d’apprentissage chacun des deux favorise. En effet, ce type de tâche complexe fait appel à des savoir-faire divers, qui peuvent être différemment sollicités dans un type de travail ou dans l’autre (cf. infra).

5.2. Hypothèses

Une première hypothèse [hypothèse 1] est que le dispositif de FAD sur lequel porte l’observation permet d’apprendre à accomplir une tâche de production en langue cible. Pour vérifier cette hypothèse, nous allons évaluer si l’environnement proposé, avec la scénarisation prévue pour l’accomplissement de la tâche, le mode de travail prévu (en groupe tutoré), les aides matérielles et humaines fournies et les outils de communication proposés représentent un ensemble adéquat pour apprendre à distance à réaliser une tâche en langue étrangère.

Deuxièmement, nous nous attendons globalement à une différence des effets du type de travail sur l’apprentissage, et c’est là notre deuxième hypothèse [hypothèse 2]. Afin d’affiner celle-ci, nous allons rappeler plus en détail d’abord à quels types de savoirs et de savoir-faire fait référence la réalisation de la tâche retenue et puis quelles sont les implications attendues du travail en groupe tutoré vs. du travail individuel tutoré. La question qui nous intéresse est de savoir dans laquelle des deux situations les étudiants acquièrent mieux des compétences individuelles dans la réalisation du même type de tâche. Car dans une évaluation (de type CLES par exemple), ce sont les savoir-faire individuels qui sont jugés.

5.2.1. Apprendre à réaliser une tâche (synthèse) en langue

étrangère

L’écriture d’une synthèse demande d’abord de comprendre les vidéos et textes authentiques proposés. Les recherches s’étant focalisées sur l’apport de l’input pour l’apprentissage d’une langue (cf. 4.1.1) ont montré que la pratique d’activités de compréhension aident à améliorer cette dernière. Les documents sont tous à tendance scientifique, de même que les thèmes sur lesquels ils portent. En écoutant les documents sonores ou en regardant les vidéos, ainsi qu’en lisant les textes, l’apprenant devrait améliorer sa compréhension orale et écrite de ce type de documents à tendance scientifique. La négociation sur le contenu permet de mieux comprendre les différents documents sur lesquels les étudiants travaillent. Or, lors d’une rédaction individuelle comme celles du pré-test et du post-test cet échange n’a pas lieu ; et nous ne nous attendons donc à aucune influence particulière du mode de travail en groupe sur la compréhension orale et écrite. Néanmoins, nous supposons indistinctement pour les deux populations qu’elles lisent plus vite lors du post-test, à la suite des occasions répétées qu’elles auront eues pendant la phase de travail pour s’entraîner à lecture. L’écoute, quant à elle, peut également être améliorée, mais ne peut pas être accélérée, ce pourquoi nous nous intéressons pour la vitesse uniquement à la lecture [cf. hypothèse 3a].

Une fois que la personne a globalement compris les ressources et leur rapport à la thématique générale, il s’agit de trouver la problématique de l’ensemble, d’identifier et d’extraire les idées importantes des documents, ensuite de les hiérarchiser (ou structurer) en fonction de la problématique et finalement de les écrire en les articulant entre elles. Dans la production écrite, l’on peut distinguer trois types d’exigences. 1) Les compétences langagières de l’expression écrite : selon la perspective de l’output (cf. 4.1.1.), la pratique de la rédaction en langue cible devrait améliorer celle-ci. Car c’est en expérimentant ses propres hypothèses sur la formulation que l’apprenant l’améliore, surtout s’il dispose ensuite d’un feed-back correctif (par le groupe et / ou par le tuteur). Une bonne expression reformule les informations présentées dans les ressources authentiques, utilise un vocabulaire varié ainsi que des phrases grammaticalement et syntaxiquement correctes et adaptées, avec une bonne orthographe.

2) Les compétences cognitives consistent à identifier, à extraire, à trier et à organiser