• Aucun résultat trouvé

Quand le groupe se met en ligne Déploiement actuel du travail en groupe dans les FAD

Mais on peut aussi apprendre sans conflit

3.3.1. Quand le groupe se met en ligne Déploiement actuel du travail en groupe dans les FAD

Si la pratique du travail commun en classe a une longue tradition (i.e. Freinet et Cousinet en France), elle est récente dans la formation à distance (FAD), où elle n’existe que depuis le milieu des années 1990 environ. Son expansion est néanmoins rapide, et liée surtout au développement et à l’amélioration des outils de communication en ligne. Ceux qui pratiquent le CSCL (Computer Supported Collaborative/Cooperative Learning), appelé encore en français TCAO (Travail Collaboratif Assisté par Ordinateur) ou plus rarement ACAO (Apprentissage Collaboratif Assisté par Ordinateur), sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. L’apprentissage coopératif ou collaboratif (cf. 3.3.2.) est aujourd’hui surtout situé en quelques lieux spécifiques qui sont le Canada, les États-Unis, la Belgique ou encore la Suisse (au TECFA de Genève). En France, cette pratique a également connu un grand essor ces dernières années. L’Université Louis Pasteur de Strasbourg par exemple a créé une plate-forme collaborative, nommée ACOLAD (cf. chapitre 7). Le fort pourcentage de communications dans ce domaine lors de colloques sur l’enseignement médiatisé (comme EIAH 2003 ou précédemment Hypermédias et

Apprentissages 1999 et 2001) témoigne également du succès récent de l’apprentissage collaboratif. Cette pratique est en train de se répandre également à d’autres pays. L’apprentissage en groupe est aujourd’hui un principe de base dans la plupart des dispositifs de FAD récents, surtout des « campus virtuels ». Les travaux qui portent sur une analyse de ces pratiques se concentrent souvent sur les aspects fonctionnels du dispositif. L’entrée est souvent techniciste et se concentre avant tout sur les fonctionnalités de l’environnement technique qui permettent aux apprenants de travailler ensemble. Ils font généralement rapidement allusion à la négociation, le partage et l’échange comme étant au fondement de l’apprentissage, en se référant à Piaget, Vygotsky et aux théories du conflit socio-cognitif (par exemple D’Halluin 2001). La réponse à la question de savoir comment et pourquoi l’on apprend dans un groupe reste relativement vague. Ces travaux partent plutôt du postulat que le groupe est dans toutes les situations une bonne solution pour la résolution de problème, en argumentant que « deux têtes valent mieux qu’une », comme l’exprime McNeese (2000), que nous rejoignons dans sa critique sur les fondements théoriques trop peu explicités de certains travaux.

D’autres en revanche font un tour exhaustif des théories existantes sur l’apprentissage en groupe (Pléty 1998, Henri & Lundgren-Cayrol 1998, 2001). Les références restent globalement celles indiquées dans la partie précédente (3.2.). Ils se fondent principalement sur Piaget et les travaux de l’École de Genève (les références à

Vygotsky deviennent également de plus en plus fréquentes). En effet, si l’apprentissage se construit à la suite des conflits intérieurs et que le conflit socio- cognitif favorise le conflit intérieur, « les groupes restreints, de par la liberté et la proximité qu’ils entretiennent, sont (…) le lieu privilégié où pourrait s’effectuer cet apprentissage cognitif » (Pléty 1998 : 93). L’apprenant y est fondamentalement considéré comme un acteur actif. Les membres du groupe sont relativement autonomes ; la collaboration est basée sur la communication entre eux et la coordination de leurs activités. « Les apprenants :

- communiquent pour alimenter la réflexion sur l’objet de la collaboration, pour réaliser la tâche et pour tisser des relations

- s’engagent à fournir une contribution cognitive et sociale qui est significative, à mettre leurs capacités au service du groupe et à mobiliser leurs efforts en vue de la réussite

- s’intéressent à la coordination des activités collectives pour optimiser l’efficacité du groupe » (Henri & Lundgren-Cayrol 1998 : 70).

Même si les références théoriques restent fondamentalement les mêmes quand on parle de l’apprentissage en groupe restreint en présentiel (auquel la partie précédente 3.2. a fait référence) ou via internet, le contexte de l’apprentissage n’est pas transposable tel quel. La médiatisation technologique, comme tout « canal » (au sens où l’emploie Jakobson), transforme non seulement le « message », mais toute la situation d’apprentissage interactive. Sans avoir une approche centrée sur le dispositif technique, il est néanmoins impossible de ne pas tenir compte, lorsqu’on parle d’apprentissage à distance, du fait que la médiatisation influence la formation elle- même. Par rapport à une situation de groupe restreint en face à face, ce qui change, principalement, ce sont le mode de présentation des contenus, leur mise à disposition, leur accessibilité et le mode de communication. Au lieu de se rencontrer pour travailler ensemble, les membres du groupe utilisent l’ordinateur et le réseau internet pour échanger.

L’enseignement des langues à distance : un cas de figure à part ?

Pour un certain nombre de dispositifs de FAD, nous venons de le dire, le groupe a été retenu comme mode d’apprentissage. Komis & al. (2003), Faerber (2003) et Reffay et Chanier (2003) par exemple font état de formations en ligne qui mettent en leur centre la résolution de problème et la production collaborative. Il s’agit, dans le cas de ces formations, de disciplines diverses, allant de la psychologie et de la pédagogie à la maîtrise de logiciels spécialisés. Mais il ne s’agit pas de formations en langues.

En effet, lorsqu’on regarde de plus près le type de formations qui se pratiquent à distance en langues, on s’aperçoit d’une différence par rapport aux autres disciplines dans la forme et dans l’approche. Reprenons les différentes formations de langues en

ligne que nous avons décrit précédemment (cf. chapitre 2), ou bien anticipons sur celles qui seront présentées plus loin (cf. 4.1.). L’enseignement et l’apprentissage y passent par exemple par des communications libres sur des thématiques proposées par l’enseignant (comme dans le cas du forum de discussion Viv@) ou bien choisies par les apprenants (dans le cas de la correspondance par mél en Tandem). Ou bien, l’enseignant propose des activités du type WebQuest. Celles-ci amènent les apprenants à rechercher de l’information sur internet pour ensuite en discuter ou faire des jeux de rôle, à discuter sur les événements décrits sur internet – dans le cadre d’un voyage imaginaire par exemple – ou encore à élaborer la présentation d’une ville, afin de convaincre les camarades de classe qu’elle serait une bonne destination de voyage. Comme pour Freinet, l’écriture n’a ici pour but que d’être lue, et la production orale que d’être entendue ; mais plus encore, un échange entre apprenants doit avoir lieu. En effet, c’est la communication qui est le but ultime. Même pour les WebQuests, il ne s’agit en général pas d’une co-élaboration conjointe, d’une production où la communication serait non un résultat, mais un moyen pour arriver à réaliser la production. Au contraire, rappelons que l’approche communicative – dans laquelle s’inscrivent ces différentes activités – a souvent recours à des simulations, qui visent à faire acquérir à l’apprenant une compétence de communication à travers la pratique de la communication.

Or, dans la perspective actionnelle (qui a fait l’objet du chapitre 2.2.), l’objectif est celui de l’accomplissement d’une tâche de production en langue étrangère. Sans pour autant rejeter les autres approches didactiques en langues, cette perspective accorde à la communication non un statut de finalité, mais d’outil. La communication est bien mise en pratique, mais dans le cadre d’une action sociale, conjointe et orientée vers une réalisation en langue étrangère.

Cette perspective, si elle s’éloigne quelque peu de l’approche communicative et des activités auxquelles celle-ci peut donner lieu en ligne, se rapproche du même coup de la pratique de l’apprentissage en groupe auquel les autres disciplines que les langues ont fréquemment recours. Tout comme dans celles-ci, les tâches proposées sont par exemple des résolutions de problème ou des productions collaboratives. Il nous semble que s’opère là un franchissement de la frontière qui séparait jusqu’ici dans les dispositifs récents l’enseignement des langues des autres enseignements disciplinaires à distance. La résolution de problèmes, l’accomplissement de tâches de production et plus généralement les productions collaboratives peuvent constituer désormais, comme pour les autres matières, le cadre de l’interaction en ligne.

Il reste que, malgré ce rapprochement, une différence fondamentale persiste, car elle est inhérente à la discipline elle-même. Apprendre une langue signifie non seulement apprendre et travailler un contenu, mais aussi apprendre et pratiquer une « forme » linguistique. La langue est à la fois moyen et objectif de l’apprentissage. Ainsi, que ce soit en ligne ou en présentiel, les matériaux utilisés, la réalisation faite et l’interaction

conjointe sont en langue étrangère. Les apprenants qui proposent, négocient et se mettent d’accord sur la forme de la production finale le font non en langue maternelle mais en langue étrangère. Cela demande donc, outre l’effort conceptuel qui porte sur la résolution de problème, un certain niveau en langue pour se faire comprendre et discerner le discours des membres du groupe. Plus la tâche est complexe, et plus l’interaction qui vise de la mener à bien exige une bonne maîtrise de la langue. Le type de tâche choisi doit par conséquent non seulement prendre en compte le niveau conceptuel des étudiants (ou, à l’université, leur niveau d’études), mais également leur niveau de langue.