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D. La Volonté-de-connaître (Erkennenwollen)

1. Volonté et intellect : un rapport conflictuel ?

Le cerveau comme objectivation de la Volonté-de-connaître

Comme nous avons pu le constater sur le plan empirique, le cerveau, et la connaissance qui est le résultat de son activité, sont ce qui différencie l’animal de tous les autres êtres de la nature. Le cerveau, organe du corps, est donc, tout autant que lui, manifestation de la Volonté. D’un point de vue empirique, il repose sur le reste de l’organisme et est un élément qui est venu s'ajouter au fur et à mesure de l’élévation dans

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l’échelle des être. La connaissance n’est qu’un élément dérivé et secondaire, produite dans le but de guider la Volonté. Schopenhauer, comme nous l’avons également précisé, soutient que le phénomène et la chose en soi sont dans un rapport d’expression, de manifestation : tout organisme vivant, par exemple, est la Volonté devenue visible dans le monde comme représentation, il est l’objectivation de la Volonté. Un tel rapport d’expression vaut également pour chaque fonction interne de cet organisme. Il faut préciser, avec Vincent Stanek, que « cela signifie que la Volonté, si elle est bien le corps, le cerveau (puisque toutes les choses représentées sont Volonté) ne s’y réduit pas : elle s’y manifeste » (Stanek, 2010, p. 121). On pourrait préciser que la Volonté, qui n’est pas réductible à l’un de ses phénomènes, se manifeste en tant que corps, en tant que cerveau.

En effet, l’expression employée par Stanek ici peut porter à confusion : le cerveau, par exemple, n’est pas un lieu indépendant dans lequel elle se manifeste. Le cerveau est Volonté : la Volonté se manifeste comme cerveau, en tant qu’elle ne se manifeste pas seulement dans les organismes vivants dans leur ensemble comme Volonté de vivre (Wille zum Leben), mais également comme Volonté-de-connaître (Erkennenwollen).

Ainsi, comme l’énonce avec clairvoyance Vincent Stanek dans la préface du Schopenhauer de Théodore Ryussen, « l’intelligence n’est donc pas un autre principe, posé à côté du premier. Parce que la Volonté est Volonté de vie, elle est aussi Volonté de représentation ou encore Volonté d’intelligence » (Stanek, in Ruyssen, 1911, p. XXVI).

En effet, pour reprendre une perspective purement physiologique, tout comme Aristote, Schopenhauer considère que c’est la fonction qui crée l’organe : par exemple, c’est parce que nous voulons voir que nous avons des yeux. Du même coup, l’estomac est l’objectivation de la Volonté de digérer, l’œil celle de la Volonté de voir, et le cerveau celle de la Volonté-de-connaître (Erkennenwollen)1.

Néanmoins, ceci n’est pas simplement la transcription métaphysique d’un état de fait physiologique : la connaissance empirique des organismes animaux témoigne non d’une objectivation de la Volonté-de-connaître figée une fois pour toute, mais, nous dit bien Schopenhauer, de l’objectivation d’une Volonté-de-connaître comme tension qui s’exprime à travers l’ensemble de l’échelle des être. Comme nous l’avons précédemment souligné, Schopenhauer parle de l’effort incessant pour s’élever dans l’échelle des êtres.

Cette poussée vers les degrés les plus hauts de l’existence, est donc, corrélativement, une tension vers la connaissance (le degré de conscience étant pour Schopenhauer ce qui définit le degré d’existence). Il se manifeste ainsi en chaque individu une poussée vers la connaissance qui, nous dit Schopenhauer, se retrouve à tous les échelons : la Volonté tend à s’objectiver à des degrés de plus en plus élevés.

Dans le cas de l’homme, car il s’agit de trouver les indices d’une telle tension, elle se

1 L’expression est employée par Schopenhauer lui-même à plusieurs reprises. Le passage le plus explicite est le suivant : Schopenhauer, 1836, p. 77 ; SW, Band III., p. 340.

65 manifeste par un besoin de connaissance, c’est-à-dire par la nécessité de posséder la vue la plus claire et la plus complète d’une situation donnée, cela dans le but d’agir le plus conformément en vue de sa conservation. C’est en ce sens que Schopenhauer parle du

« désir des représentations à se lier entre elles », du « besoin qui nous est propre (à nous les êtres humains) d’achever notre connaissance » (Schopenhauer, 1813, p. 121) et de

« l’intérêt de la Volonté à ce que la pensée s’exerce le plus possible » (Schopenhauer, 1844, p. 823 ; SW, Band II., p. 175) pour faire face aux différentes situations à venir. De ce fait, l’intellect ou cerveau1, en tant que produit de la Volonté, est subordonné à elle : la connaissance est un moyen dont s’est dotée la Volonté pour parvenir à s’orienter dans le monde et à se conserver au mieux. Elle veut connaître de la manière la plus claire et la plus complète pour parvenir au mieux à cette fin.

Ainsi, « la connaissance relève toute entière d’une activité vitale comme étant le fait dans son ouvrage La métaphysique de Schopenhauer, la philosophie de Schopenhauer, selon ses propres dires, « peut se résumer en une seule expression : le monde est la connaissance de soi de la Volonté [die Welt ist die Selbsterkenntniß des Willens]2 » (HN, Band I., p. 462). Puisque « le Lebenwollen est tout aussi bien un « Erkennenwollen », un

« vouloir-connaître », comme Schopenhauer le dit explicitement (…), la représentation, en tant que propriété de la vie, permet donc cette « présentation de la Volonté » » (Stanek, 2010, p. 244). « Le monde est la connaissance de soi de la Volonté » signifie donc que la représentation est le moyen par lequel la Volonté se connaît elle-même. C’est en ceci, à parler de manière métaphorique comme le dit Schopenhauer, que réside le but de la vie, et ce par quoi « le salut est possible »3. La connaissance de la Volonté par elle-même, par l’intermédiaire de la représentation, permet non seulement de mieux comprendre cette notion de Volonté-de-connaître jusqu’ici trop souvent inaperçue, et surtout de

« réconcilier » Volonté et intellect. L’opposition entre ces deux éléments disparaît (du fait que l’intellect est l’expression de la Volonté-de-connaître, qu’il est donc Volonté, et que

1 Il est important de noter que pour Schopenhauer, l’intellect et le cerveau sont une seule et même chose, envisagée selon deux points de vue différents : le premier est le résultat du point de vue subjectif, l’intellect comme faculté du sujet connaissant qui produit les représentations ; le second est le résultat du point de vue objectif, le cerveau comme organe produisant des images à partir des données sensorielles.

2 L’expression sera reprise telle qu’elle dans le paragraphe 71, Schopenhauer, 1819, p. 514.

3 « Le but de la vie (je n’emploie ici qu’une expression vraie dans un sens métaphorique), c’est la connaissance de la Volonté. La vie est le miroir du vouloir dont l’essence désunie intérieurement y devient objet. Par sa connaissance, la Volonté peut se convertir et le salut est possible » (Cahier de l’Herne, p. 207 ; HN, Band I., § 274, p. 167).

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la connaissance en émane directement), et la prétendue dualité de la philosophie de Schopenhauer du même coup. Elle peut enfin être une philosophie de la Vie, la connaissance étant maintenant, notamment par le biais du point de vue empirique et des considérations sur la nature du cerveau, assimilée à une fonction vitale. C’est le clivage apparent entre Volonté et représentation que Schopenhauer se charge ici de dépasser.

Nous ne pouvons que constater ce fait essentiel, c’est que « le cœur métaphysique de la doctrine est ainsi constitué par les énoncés qui tentent de nouer ces deux concepts, en affirmant que le monde, et plus précisément la représentation, est la connaissance de la Volonté par elle-même » (Stanek, 2010, p. 18-19).

Il n’y a bien que dans le cas de l’art, par la contemplation esthétique, que l’intellect peut s’affranchir momentanément de son servage : la connaissance de l’en-soi devient une fin, et non un moyen pour l’action de la Volonté. Ainsi, en déclarant la Volonté comme indépendante de la connaissance, Schopenhauer se démarque totalement des visions modernes et kantienne de la nature humaine.

« Ici, le phénomène tout entier est encore étroitement uni, comme la branche au tronc, à la Nature, d’où il sort ; il participe à l’omniscience inconsciente de la Mère Universelle [ist der unbewußten Allwissenheit der großen Mutter teilhaft]. – C’est seulement après que l’essence intime de la nature (la volonté de vivre dans son objectivation) s’est développée, avec toute sa force et toute sa joie, à travers les deux règnes de l’existence dépourvue de conscience [der bewußtlosen Wesen], puis à travers la série si longue et si étendue des animaux ; c’est alors enfin, avec l’apparition de la raison, c’est-à-dire chez l’homme, qu’elle s’éveille pour la première fois à la réflexion » (Schopenhauer, 1844, trad. mod., p. 851 ; SW, Band II., p. 206).

La contemplation esthétique : un affranchissement de l’intellect ?

Nous avons vu cette tendance inconsciente se manifester jusqu’au plus haut degré de l’échelle des êtres, dans l’activité du cerveau humain (cf. supra). La précédente citation décrit parfaitement cette irruption vers la lumière des manifestations de la Volonté.

L’intellect est le guide de la Volonté et semble entièrement dévolu à cette tâche.

Cependant, comme nous l’avons évoqué, parvenu au plus haut degré de son développement, en l’Homme, il peut au moins momentanément s’affranchir des exigences de la Volonté. Selon Schopenhauer, cela se produit dans le cas de la contemplation esthétique, et ce d’autant plus nettement que le degré de génie augmente.

Ce cas particulier ne remet-il pas en cause la subordination de l’intellect à la Volonté ? Comment expliquer cette soudaine indépendance ? Comment cette contemplation, en tant qu’elle est l’œuvre du cerveau, peut-elle s’affranchir du servage imposé par la Volonté ?

67 Il nous faut, semble-t-il, envisager la question de la contemplation artistique d’une autre manière. La Volonté participe de l’effort de l’intellect vers la contemplation, vers la connaissance en soi du monde. En effet, pour Schopenhauer,

« Ce n’est pas seulement la philosophie, ce sont encore les beaux-arts qui travaillent au fond à résoudre le problème de l’existence. Car dans tout esprit, une fois abandonné à la contemplation véritable, purement objective du monde, il s’est éveillé une tendance, quelque cachée et inconsciente [unbewußt] qu’elle puisse être, à saisir l’essence vraie des choses, de la vie, de l’existence » (Schopenhauer, 1844, p. 1138 ; SW, Band II., p. 521).

L’art nous donne accès intuitivement à l’essence des choses. Selon Schopenhauer, et c’est là un point essentiel, nous sommes poussés à la connaissance en soi des choses par

« une tendance (…) cachée et inconsciente ». L’acte de connaître, même dans le cas de la contemplation artistique, ne demeure-t-il pas un acte de Volonté ? L’intellect n’obéirait-il simplement pas aux exigences « matérielles » de cette même Volonté ? La connaissance que nous fournit l’art, par la contemplation, ne serait alors pas un moyen en vue d’une fin, un motif d’action à partir duquel la Volonté pourrait se mettre en mouvement ; elle serait une fin en soi. Ainsi, ce que viserait ici la Volonté c’est la pure connaissance du monde, c’est-à-dire une pure connaissance d’elle-même.

Le monde comme représentation : le miroir de la Volonté

L’art témoigne le plus hautement de cette connaissance de soi de la Volonté, idée qui se fonde métaphysiquement sur celle de Volonté-de-connaître. Pour Schopenhauer, en effet, « selon [son] système, le monde tout entier n’est que l’objectivation, le miroir de la Volonté, qui l’accompagne pour l’amener enfin à se connaître elle-même » (Schopenhauer, 1819, p. 340, trad. mod. ; SW, Band I., p. 371).

Nous ne pouvons ici que nous référer une nouvelle fois à l'ouvrage de Vincent Stanek, La métaphysique de Schopenhauer, dans lequel il se livre à un éclairage de l’œuvre schopenhauerienne à partir de cette thèse fondamentale selon laquelle « le monde est la connaissance de soi de la Volonté »1. Nous constatons que nos développements sur l’inconscient et plus spécialement encore sur la question de la Volonté-de-connaître, rejoignent ces analyses et nous conduisent à réinterpréter le rapport entre Volonté et intellect. La totale dépendance de l’intellect vis-à-vis de la Volonté, établie dans le Livre II du Monde, n’est pas remise en cause dans le Livre III. Il s’agit simplement d’une autre

1 Voir le bel ouvrage de Vincent Stanek, La métaphysique de Schopenhauer (Paris : Vrin, 2010), dans lequel l’auteur se livre à un éclairage de l’œuvre schopenhauerienne à partir de la thèse fondamentale selon laquelle « le monde est la connaissance de soi de la Volonté ».

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forme de connaissance, d’un acte différent de la Volonté. La contemplation esthétique n’est pas une pure activité de l’intellect : à proprement parler, si l’on se réfère Chapitre XIX des Suppléments, l’intellect n’est l’agent de rien. Seul la Volonté agit, et l’acte de connaître dans le cas de la contemplation n’est pas moins son œuvre, que dans la simple connaissance utilitaire. Simplement, ce que recherche là le pur sujet de la connaissance, affranchi des exigences de la Volonté, mais non dépourvu de toute Volonté (ce qui est proprement impensable), c’est la connaissance en soi. L'individu y est poussée par « une tendance (…) cachée et inconsciente », ce qui prouve l'origine volontaire de l'acte de contemplation1. C’est ainsi, à partir de cette notion de Volonté-de-connaître, qu’il faut comprendre Schopenhauer lorsqu’il dit que « le monde visible tout entier n’est que l’objectivation, le miroir de la Volonté, qui l’accompagne afin qu’elle se connaisse elle-même » (cf. Schopenhauer, 1819, § 52).

La notion de Volonté-de-connaître nous permet de penser le rapport entre Volonté et intellect, non en termes d’opposition, mais de complémentarité. Si on oppose si souvent la nature de la représentation et celle de la Volonté, n’avons-nous pas tendance à oublier les dimensions métaphysiques et empiriques, où l’intellect apparaît comme un « produit » de la Volonté, comme un outil au service des fins de l’individu (conservation), et donc comme l’objectivation de la Volonté-de-connaître ? Le cas de l’art peut-il faire exception et bouleverser cet état de fait métaphysique ? Certes non, il y participe même entièrement, car la contemplation n’est que le résultat d’un acte de la Volonté, comme la nature inconsciente de la tendance à accéder à la connaissance en soi nous le prouve. C’est de la Volonté que dépend la connaissance en tant qu’elle seule agit : le cerveau (intellect) en tant qu’objectivation de la Volonté-de-connaître répond au besoin de connaître le monde pour sa propre conservation, mais participe également à cette profonde tendance de la Volonté à parvenir à l’essence des choses, c’est-à-dire à une connaissance claire d’elle-même.

1 Si la contemplation esthétique se traduit par un affranchissement de la Volonté (est, pour le dire en terme kantien désintéressée), cela ne signifie pas que la Volonté soit totalement étrangère à la contemplation. Elle en fournit l'énergie, l'élan, nécessaire. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre en compte les considérations schopenhauerienne sur le génie. En effet, le génie est, par nature, un être qui possède une Volonté démesurée. D'où sa plus grande tendance à la folie que ses semblables.

69 2. Une essence fondamentalement dénuée de conscience

Une omniprésence de l’absence de conscience

Il ressort des précédentes considérations sur l’absence de conscience de la Volonté, que l’essence de l’homme n’est pas la conscience, ni la connaissance. Elle est même hors du champ de la conscience et échappe proprement à notre connaissance intuitive (représentation). La nature première de l’Homme, comme celle des autres êtres, n’est pas intellectuelle, mais affective, corporelle et dépourvue de conscience. Ce renversement dans la définition de la nature humaine, qui fait de la connaissance un produit de la Volonté, est clairement affiché par Schopenhauer. Le passage le plus net sur ce point apparaît dans De la Volonté dans la nature, puisqu’il affirme qu’« au contraire de l’opinion qui a régné jusqu’ici sans exception aucune, je dis que la connaissance ne conditionne pas la Volonté, bien que la Volonté conditionne la connaissance » (Schopenhauer, 1836, p. 61 ; SW, Band III., p. 322). Elle la conditionne en tant qu’elle est produite par la Volonté1, mais également orientée et influencée par elle, comme nous pourrons le voir de manière plus détaillée dans le Chapitre III de cette étude.

Si Schopenhauer n’est pas le premier dans l’histoire de la philosophie, ni le premier des philosophes allemand du XIXème siècle2, à prendre en compte la notion d’inconscient, il est le premier à établir métaphysiquement la primauté de l’absence de conscience sur la conscience. La rupture et donc l’originalité de Schopenhauer sur cette question, notamment vis-à-vis des penseurs modernes, réside dans le renversement métaphysique qui fait de la conscience un état dérivé d’un état non-conscient et qui y échappe totalement. L’absence de conscience n’est plus seulement cognitive, comme chez Leibniz par exemple, elle fait partie intégrante de la nature profonde de l’être. En effet, Leibniz, avec sa théorie des petites perceptions inconscientes, avait affirmé que notre perception consciente était le résultat d’une multitude de petites perceptions inconscientes. Il faisait alors la distinction entre le perçu et l’aperçu : il y a du perçu (perceptions inconscientes) qui n’est pas aperçu (aperception consciente). Ainsi, l’aperçu conscient émerge du perçu inconscient. Il s’agit là d’une inconscience cognitive sur laquelle repose notre perception consciente3. Ainsi, ce n’est pas seulement que la

1 Cet état de fait est manifesté sur un plan empirique, comme nous l’avons largement souligné dans ce chapitre, par la dépendance des fonctions cérébrales aux fonctions végétatives et inconscientes des organismes animaux.

2 Pour la présence de la notion d’inconscient chez Kant, Fichte, Schelling et Hegel voir Sebastian Gardner,

“Schopenhauer, Will and the Unconscious”, in The Cambridge Companion to Schopenhauer, Christopher Janaway (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 386-393.

3 Voir Günter Gödde, 1999, Traditionslinien des “Unbewußten“, Schopenhauer – Nietzsche – Freud, Gießen, Psychosozial-Verlag, 2009, pp. 29-31.

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connaissance s’élabore de manière inconsciente (Schopenhauer ne développe d’ailleurs aucunement l’idée d’un inconscient cognitif au sens leibnizien), c’est bien la faculté de connaissance elle-même qui est le produit d’une force aveugle et dépourvue de conscience.

Cette rupture, nous pouvons la déceler dans l’ensemble des considérations de ce premier Chapitre. Tout d’abord sur un plan métaphysique, par la caractérisation négative de la Volonté comme dépourvue de conscience. Elle s’est ensuite manifestée, d’un point de vue physiologique, d’une part, par la vie des plantes et, d’autre part, par la dépendance des fonctions de la connaissance (fonctionnement du cerveau) à des fonctions organiques dépourvues de conscience (fonctions végétatives). Nous l’avons également mis en lumière au sujet de l’amour, où la Volonté de l’espèce illusionne les individus, les guidant inconsciemment dans le choix de leur partenaire. Enfin, jusque dans la nature profonde de l’intellect, et même jusque dans l’art, où nous avons vu l’absence de conscience de la Volonté se manifester comme « tendance (…) cachée et inconsciente » à la connaissance en soi du monde. Nous pouvons ainsi mesurer pleinement combien, pour Schopenhauer, la conscience est un état secondaire et dérivé de la Volonté. L’essence de l’homme, ce n’est donc pas la conscience, l’intellect ou encore l’âme immatérielle des religions théistes, mais la Volonté, une tendance aveugle et dépourvue de conscience, qui tend perpétuellement vers sa propre conservation (Volonté de vivre) et la pleine connaissance d'elle-même (Volonté-de-connaître).

Une philosophie de l’absurde ?

Nous voudrions ici discuter la thèse de Clément Rosset sur l’absurdité de la Volonté.

Un tel qualificatif pourrait sembler, a priori, en tant qu’elle est caractérisée par l’absence de conscience et de connaissance, c’est-à-dire en tant qu’elle est dite aveugle, tout à fait justifié. La Volonté est toute entière tension aveugle vers la vie. Seulement, peut-on pour autant qualifier la Volonté d’absurde ? Je voudrai ici apporter quelques éléments pour contrer cette conception.

Premièrement, affirmer que la Volonté est absurde, c’est la reconnaître à la fois comme dépourvue de toute logique et à la fois comme dénuée de sens. Il est évident que la Volonté comme chose en soi est hors du champ de la représentation, et donc de la

Premièrement, affirmer que la Volonté est absurde, c’est la reconnaître à la fois comme dépourvue de toute logique et à la fois comme dénuée de sens. Il est évident que la Volonté comme chose en soi est hors du champ de la représentation, et donc de la