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LA RÉCEPTION FREUDIENNE DE SCHOPENHAUER

B. Le rapport de Freud à la philosophie

3. Arthur Schopenhauer : le référent philosophique de la psychanalyse ?

Les références à Schopenhauer, dans l’œuvre freudienne, sont d’une grande importance. Si elles ne sont pas très nombreuses, relativement à la taille imposante des écrits de Freud, elles sont pour le moins significatives en terme de théorisation, mais surtout d’évolution de la théorie. La thèse défendue par Paul-Laurent Assoun sur ce point, reprise par Gabriel Peron, est justement que la philosophie de Schopenhauer sert de référent philosophique à l’élaboration de la psychanalyse. Ellenberger insiste lui aussi sur le fait que « la perspective philosophique de Freud s’apparente à celle de Schopenhauer » (Ellenberger, 1970, p. 652). Cette convergence entre les deux auteurs, à la vue du

1 C’est notamment le cas de Jean-Philippe Ravoux qui, dans son ouvrage De Schopenhauer à Freud : l’inconscient en question, dénonce la volonté de Freud d’expliquer par l’inconscient tous les phénomènes. Il cite à cette occasion François Jacob, pour résumer l’idée selon laquelle le fondateur de la psychanalyse « a réponse à toutes les questions, dans tous les domaines. Sans hésitation, il décrit non seulement l’état présent de l’univers, mais aussi son origine et même son devenir » (Ravoux, 2, p. 63-64). Il critique également le fait que Freud ait voulu faire découler une explication du monde de sa définition du psychisme – définition qu’il n’a jamais cherché, selon lui, à remettre en question. Il utiliserait le même procédé que Spinoza, faisant découler le monde en déroulant le concept d’inconscient (ce qu’aurait fait Spinoza avec celui de substance).

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discours de Freud sur la philosophie et de sa définition de la nature de la psychanalyse, ne peut prendre la forme d’un dialogue. C’est ce que l’analyse des références à Schopenhauer nous a montré : tout rapprochement, toujours allusif, extérieur, bref, et imprévisible, est immédiatement suivi d’une remise en cause de la perspective philosophique comme simplement intuitive, comme n’étant tout au plus qu’une simple anticipation jamais confirmée, et donc dépourvue de vérité intrinsèque. La vérité intuitive du philosophe est toujours dépendante d’une vision du monde, d’un monisme totalisant, empêchant toute investigation empirique. Il n’est donc pas question d’un dialogue de Freud avec Schopenhauer, qui reviendrait à entrer sur le terrain de la philosophie et de ses problématiques. Il s’agit bien plus d’un référent, d’un représentant de ce qui, en philosophie, est le plus à même de rendre compte du travail théorique de la psychanalyse.

En effet, dans le flot d’attaques portées contre la philosophie, il est le seul à mériter des éloges. Peut-être Kant aussi en mérite-t-il, aux yeux de Freud, mais s’il y trouve grâce c’est en grande partie, nous dit Assoun, parce que Kant se voit compris à travers les lunettes schopenhaueriennes. Derrière Kant se dresserait là encore Schopenhauer. Si les conclusions de Paul-Laurent Assoun sont intéressantes, il semble cependant important de les questionner. En effet, l’idée d’une reprise de l’interprétation schopenhauerienne de Kant, tout comme l’idée que le modèle schopenhauerien de complémentarité entre science et philosophie soit un guide pour le positionnement freudien vis-à-vis de la philosophie, nous semblent poser de multiples problèmes.

Une lecture schopenhauerienne de Platon et Kant

Comme le montre clairement Paul-Laurent Assoun, Freud se livre à une lecture orientalisée de Platon. L’une des preuves décisives est l’idée que Freud exprime à propos du Banquet : « contrairement à l’opinion courante, je suis disposé à admettre que Platon avait subi, indirectement au moins, l’influence des idées hindoues » (cité par Assoun, 1976, p. 201) ; allant même jusqu’à se référer à un passage des Upanishad exprimant, plus fortement encore que Platon, l’idée d’une unité primitive des sexes, et de leur division consécutive. Mais « d’où vient donc cette interprétation « orientaliste » » de Platon ? La thèse de Paul-Laurent Assoun est claire : « elle n’est pas une improvisation de Freud, mais s’inscrit dans un paradigme très déterminé, qui rattache Freud à Arthur Schopenhauer » (Assoun, 1976, p. 202). Schopenhauer serait le référent philosophique médiatisant le rapport de Freud à Platon : d’une part, parce qu’il établit un lien entre la sagesse hindoue et Platon, et d’autre part, parce qu’il reconnaît la profonde parenté entre

175 sa philosophie et les textes fondateurs des religions orientales (Védas et Upanishad).1

Le statut de référent philosophique accordé à Schopenhauer, médiatisant l’accès à la philosophie, est nettement plus évident à propos de Kant. Ce qui signale de manière la plus marquée la lecture schopenhauerienne que Freud peut faire de Kant, c’est d’une part la lecture psychologisante de l’esthétique transcendantale, et, d’autre part, la reprise, dans la Métapsychologie, de la distinction kantienne entre phénomène et chose en soi. Ces deux éléments sont soulignés également par Paul-Laurent Assoun, respectivement aux pages 201, 214 à 217 et 221 à 223, de son ouvrage. Cependant, le second n’est qu’effleuré et demande un questionnement à part entière – c’est pourquoi nous réserverons l’essentiel de notre discussion pour le point suivant de notre chapitre, à propos de la notion d’inconscient. Il s’agit, en deux mots, d’une analogie (que Freud ne développera pas ni ne tentera d’expliciter) entre la relation conscience/inconscient dans le psychisme, et celle du phénomène et de la chose en soi. À savoir, l’inconscient serait la chose en soi du psychisme, le conscient n’en serait que l’apparence, la façon dont nous percevons les faits psychiques. Cette affirmation, en soi très importante, est complétée par l’idée que, contrairement à ce que l’on pourrait penser (puisque la chose en soi, pour Kant, est inconnaissable), l’inconscient, « l’objet intérieur, est moins inconnaissable que le monde extérieur » (Freud, 1915, p. 74). Ainsi, la possibilité d’une connaissance, qui plus est intérieure, de la chose en soi renvoie manifestement à l’acception schopenhauerienne de cette notion – non pas forcément dans son « contenu », comme Volonté, mais dans sa connaissabilité.

Pour ce qui est de la vision psychologisante de l’esthétique transcendantale, directement inspirée de Schopenhauer, elle se manifeste dans un passage important de son essai Au-delà du principe de plaisir :

« Je me permets d’effleurer en passant un thème qui mériterait une discussion très approfondie. En présence de certaines données psychanalytiques que nous possédons aujourd’hui, il est permis de mettre en doute la proposition de Kant, d’après laquelle le temps et l’espace seraient les formes nécessaires de notre pensée [Denken] » (Freud, 1920, p. 76 ; GW, vol. XIII, p. 27).

Cette contestation de l’esthétique transcendantale s’adresse ici à Kant, mais ne renvoie pas à autre chose qu’à sa compréhension schopenhauerienne. En effet, Freud intègre ici les modifications radicales que Schopenhauer fait subir à la perspective transcendantale de Kant : c’est lui, et non Kant, qui va défendre l’idée que le temps et l’espace sont des formes nécessaires de notre pensée. Car dire cela, c’est conférer une nature intellectuelle à l’intuition, ce qu’a toujours refusé Kant. La distinction entre la sensibilité (à laquelle s’appliquent les formes en question) et l’entendement semble s’être abolie, comme sous

1 Nous renvoyons ici au chapitre de l’ouvrage de Assoun sur le rapport de Freud à Platon, et notamment le point 4, qui traite de cette question de l’interprétation schopenhauerienne de Platon à laquelle se livre Freud : cf. Assoun, 1976, p. 201-205.

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la plume de Schopenhauer. L’opposition à l’idée, attribuée à Kant mais dont l’origine se situe dans l’interprétation schopenhauerienne de ce dernier, et selon laquelle tous les processus de pensée soient régies par l’espace et le temps, s’explique simplement par le fait que, pour lui, le psychique inconscient n’est pas soumis au temps1 !

Ces deux éléments, prouvant une lecture schopenhauerienne de Kant, et faisant de Freud, aux yeux de Pierre Raikovic, non plus seulement un lecteur de Schopenhauer, mais son « émule », soulèvent plusieurs difficultés. Ces éléments sont essentiels pour comprendre la relation qui peut exister entre Freud et Schopenhauer, tant d’un point de vue historique, que d’un point de vue théorique. Concernant l’aspect théorique, nous y reviendrons dans la deuxième partie de ce chapitre, où il nous faudra affronter cette question de l’inconscient comme chose en soi du psychisme, la connaissance d’une telle chose en soi apparaissant à Freud comme possible et plus claire encore que celle de l’extérieur. Comment ne pas ici être frappé par la ressemblance des déclarations de Freud avec la redéfinition schopenhauerienne de la chose en soi, évoquée au Chapitre I ?

La psychologisation de l’esthétique transcendantale nous renvoie, là encore, explicitement à Schopenhauer, et nous ne pouvons que souscrire à l’interprétation de Paul-Laurent Assoun, selon laquelle Schopenhauer serait le médiateur de la relation de Freud à Kant. Schopenhauer serait-il bel et bien le référent philosophique de Freud ? Ce que dit Freud ne devrait-il pas dans ce cas être conforme à la lettre schopenhauerienne ? S’agit-il d’un réinvestissement d’éléments clés de la doctrine schopenhauerienne ou bien Schopenhauer ne serait-il pas plutôt une sorte de lentille déformant la vue de Freud durant sa lecture de Kant ?

C’est dans le sens du plagiat que va l’interprétation de Pierre Raikovic, dans son ouvrage Le sommeil dogmatique de Freud. Réinvestissant le système d’interprétation de Paul-Laurent Assoun, et le « dépassant », il affirme qu’une telle lecture schopenhauerienne de Kant est le fondement de la profonde filiation existante entre Schopenhauer et Freud, le philosophe ayant toute la primauté sur le fondateur de la psychanalyse. Sinon, comment pourrait-on expliquer la compréhension schopenhauerienne de Kant ? Comment rendre compte de la nature schopenhauerienne des idées freudiennes, opposées à celles de Kant, si ce n’est par un procédé de plagiat ? Il y aurait donc une identité essentielle entre Schopenhauer et Freud, ce dernier empruntant au premier certaines idées fondamentales, et dont il serait aujourd’hui logique d’accorder au philosophe la primauté et l’originalité2. C’est, par exemple, nous dit Raikovic, parce qu’il calque l’inconscient sur la Volonté, que Freud le déclare comme étant la chose en soi…

1 Cf. Assoun, 1976, p. 210.

2 Sur cette interprétation, voir Raikovic, 1994, p. 131-132.

177 Nous penchons, pour notre part, pour la seconde idée avec toutefois une certaine reformulation : Freud a eu la vue déformée, et ne reprend en aucun cas les thèses schopenhaueriennes. Seulement, il ne s’agit pas de lecture, mais bien d’une discussion autour de deux éléments célèbres de la pensée de Kant compris suivant les termes schopenhaueriens. Cela ne nécessite pas que la lecture de Kant soit déformée par une lecture préalable de Schopenhauer, ni même par une connaissance précise de sa théorie de la connaissance. Une telle méprise peut fort bien s’expliquer par une reformulation erronée des idées de Kant qui n’aurait rien de personnel ; peut-être Freud a-t-il discuté cette formulation telle qu’elle lui est advenue. De plus, il faut impérativement noter, contre l’interprétation de Raikovic, que Freud critique ces idées soi-disant reprises à Schopenhauer ! En effet, lorsqu’il affirme que l’inconscient est la chose en soi du psychique, plus aisément connaissable que l’extérieur (alors qu’il rejette l’intuition et cherche à fonder une science, c'est-à-dire une connaissance conceptuelle, de l’inconscient), il n’est aucunement schopenhauerien. Tout comme il s’oppose à la définition schopenhauerienne de la chose en soi, il s’oppose à l’idée que toute pensée soit régie par les formes du temps et de l’espace, puisque le psychisme inconscient est hors du temps. Il se trompe d’ennemi : pensant viser Kant, il s’attaque en fait à l’interprétation qu’en donne Schopenhauer. Est-ce là du plagiat ? Assurément non. Il s’agit là d’une déformation, comme une sorte de preuve de ce que nous évoquions plus haut – et qui pourrait venir corroborer la première interprétation concernant la question de Freud comme lecteur de Schopenhauer. En effet, dès 1915, dans la Métapsychologie, Freud, en discutant de la chose en soi, répondait à Schopenhauer sans le savoir. Pensant discuter avec Kant, c’est en fait celui qui se présente comme son disciple qui est ici l’objet de la critique. Et voilà, historiquement, l’élément troublant. Conceptuellement, il ne peut s’agir de plagiat, comme nous le verrons plus clairement encore par la suite, mais historiquement se manifeste ici encore une ambiguïté, et une preuve que Schopenhauer faisait partie, plus ou moins selon les périodes, et de manière plus ou moins directe, de l’horizon philosophique freudien. Que Schopenhauer soit le référent philosophique de Freud, cela semble établi. Que Freud plagie Schopenhauer et lui reprenne ses idées essentielles, cela demande à être tranché. Nous y reviendrons tout au long de cette seconde partie. Il reste, avant de passer à l’étude proprement conceptuelle, à aborder la question du modèle de complémentarité entre science et philosophie, second élément important des développements de Paul-Laurent Assoun, posant lui aussi de nombreux problèmes.

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Le modèle de complémentarité entre science et philosophie

La psychanalyse « offre le spectacle d’une construction épistémique, logiquement et génétiquement entée sur un projet philosophique, mais qui se constitue par arrachement, et finalement par discontinuité radicale et motivée avec l’origine philosophique » (Assoun, 1976, p. 128). D’où le double positionnement de Freud : à mi-chemin entre médecine – souci clinique, recherche empirique, analyse et construction d’une théorie psychologique à partir de l’observation ; et activité spéculative qui se nourrit de

« l’origine philosophique » que décèle Assoun. Position double, à la fois riche, à la fois perpétuellement en équilibre sur un fil tendu au-dessus du vide… Cette position intermédiaire, si elle explique beaucoup de l’intérêt et de l’originalité de la psychanalyse, ainsi que de l’apport de Freud à l’histoire de la pensée, témoigne de beaucoup de contradictions, dont certaines fondamentales.

Comment concilier l’exigence de guérison, et la profonde aspiration à la santé par la cure (basée sur une foi intrinsèque en la puissance de la rationalité sur les motions pulsionnelles), et le réinvestissement supposé de l’irrationalisme schopenhauerien, l’affirmation réitérée que l’homme n’est pas maître dans sa propre maison, que la psychanalyse a été la première à montrer aux hommes la profonde détermination des faits psychiques conscients par des motivations inconscientes ? Cela semble difficile, sauf si on distingue deux époques dans l’œuvre freudienne. Nous ne distinguerons pas, comme le fait Pierre Raikovic, une période rationaliste – grosso modo la première topique de 1895 à 1917 – et une période où sera réinvesti l’irrationalisme schopenhauerien – la seconde topique, à partir de 1918 avec le début de la rédaction de l’essai Au-delà du principe de plaisir et la prépondérance du thème de la mort. Bien au contraire, nous aurions tendance à inverser cette vision des choses : l’irrationalisme freudien serait l’œuvre de la première topique, dans laquelle l’inconscient, menant sa vie propre, indépendamment du temps et de la logique, possède les pleins pouvoirs et agit comme bon lui semble, indépendamment de la raison. Évidemment, il n’est pas question de faire une partition radicale, de distinguer une période totalement irrationaliste, d’une période purement rationaliste. A l’intérieur d’une même période, la tendance au rationalisme ne cesse d’osciller, les propos de Freud s’en approchant puis s’en éloignant. Nous voudrions simplement faire remarquer que l’idée que nous avançons ici et que nous développerons plus loin, témoigne d’une tendance générale, et que, à nos yeux, la tendance de la première topique n’est pas plus rationaliste que la seconde, bien au contraire. Nous y reviendrons plus en détail par la suite, pour ne pas nous éloigner de ce qui nous occupe ici, c’est-à-dire la question historique.

Nous l’avons vu : ce sont les accusations de plagiat, adressées à Freud après la publication par Juliusburger d’un article dans le Schopenhauer Jarbuch, qui ont motivé

179 les justifications freudiennes vis-à-vis de la lecture de Schopenhauer et du rapport de sa théorie avec les développements philosophiques. Freud a été jusqu’à reconnaître, dans sa correspondance, une baisse d’originalité1. C’est à partir de ce moment, de cette tentative de réduction de la psychanalyse à une sorte de schopenhauerianisme appliqué, comme le considère également Thomas Mann2, que Freud éprouve le besoin de se justifier, et de clarifier son rapport à la philosophie en général, et à Schopenhauer en particulier. En effet, cette réduction reviendrait à greffer une « vision du monde » sur la théorie psychanalytique, ce que Freud a toujours récusé. L’indépendance de la science doit être préservée de toute source philosophique. En ce cas, comment expliquer les liens étroits de Freud avec la philosophie ? Comment comprendre l’abondance des références philosophiques, la présence de Schopenhauer à des moments clés de la construction théorique, notamment dans la période spéculative ?

Paul-Laurent Assoun propose une interprétation particulière de cette attitude freudienne : selon lui, Freud réinvestit le modèle du rapport entre science et philosophie développé par Schopenhauer lui-même au début de son ouvrage, De la Volonté dans la nature. En d’autres termes, Freud utilise le « modèle épistémologique de Schopenhauer » (Assoun, 1976, p. 270). De ce fait, il faudrait penser le rapport entre nos deux auteurs comme complémentaire : l’un fournissant une description métaphysique du monde par l’intuition, par le donné intime ; l’autre apportant les données empiriques, spécifiquement scientifiques, c’est-à-dire psychologiques, qui feraient écho aux thèses proprement philosophiques, et permettraient ainsi de contrôler leur validité.

Cependant, ce n’est pas exactement ce que dit Paul-Laurent Assoun : l’image des deux mineurs qui, faisant l’un et l’autre leur chemin, finissent par entendre le pic de l’autre, et par se retrouver, est ici légèrement mais significativement détournée. Cette image, nous dit Assoun, « exprime très exactement le sens de la référence philosophique freudienne, traduisant l’écho métaphysique de ses théories anticipant et légitimant, mais écho bref et lointain autant que nécessaire » (Assoun, 1976, p. 272). Comment comprendre cet « écho bref et lointain », cette « « réconciliation » de la terre scientifique et du ciel spéculatif, mais vue de la terre ferme » (Ibid.) ? Il ne faut pas le comprendre, nous dit-il, comme complément : « en ce sens le discours scientifique n’en a pas besoin ». Il faut y voir un

« écho qui, en répercutant, de l’autre côté de la frontière, le dire scientifique par la parole philosophique, le remplit de sa substance ; qui, en répétant, accomplit » (Ibid.).

Certes, une telle interprétation nous fournit une grille de lecture intéressante et nous permet de faire disparaître un nombre non négligeable d’ambiguïtés qui parcourent le discours freudien. Seulement, la vérification d’une telle interprétation présage de

1 « Juliusberger a fait quelque chose de très bien avec les citations tirées de Schopenhauer, mais mon originalité est ostensiblement en baisse » (Freud, Abraham, Correspondance, 1969, p.103).

2 Cf. Thomas Mann, Freud und die Zukunft, Vienne, Bormann-Fisher, 1936.

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nombreuses difficultés. Premièrement, cela implique que Freud ne s’aventure jamais sur le terrain de la métaphysique, demeurant toujours à distance. Si, le cas échéant, il devait passer « de l’autre côté de la frontière », il faudrait que ses dires soient profondément conformes à ceux de Schopenhauer. Voilà une première chose essentielle à vérifier.

Deuxièmement, l’idée schopenhauerienne d’une complémentarité entre science et philosophie, ne veut pas dire qu’il faut se contenter d’un écho lointain, obscur, vague, jamais explicité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit chez Freud à propos de Schopenhauer.

Que penser de cette imprécision ? Si c’est bien le modèle qu’utilise Freud, soit il n’était alors pas en mesure de le fonder, soit il n’est pas question d’une concordance de fond. Le modèle de Schopenhauer implique, non pas un « mélange des genres », le savant et le philosophe restant dans leurs domaines respectifs, mais un dialogue, un échange fécond, une discussion sur le monde selon deux points de vue qui peuvent apprendre l’un de l’autre. Or, Freud a toujours manifestement refusé un tel échange, et nous ne serions pas loin de la vérité en disant que si un tel modèle lui servait de guide, sa démarche

Que penser de cette imprécision ? Si c’est bien le modèle qu’utilise Freud, soit il n’était alors pas en mesure de le fonder, soit il n’est pas question d’une concordance de fond. Le modèle de Schopenhauer implique, non pas un « mélange des genres », le savant et le philosophe restant dans leurs domaines respectifs, mais un dialogue, un échange fécond, une discussion sur le monde selon deux points de vue qui peuvent apprendre l’un de l’autre. Or, Freud a toujours manifestement refusé un tel échange, et nous ne serions pas loin de la vérité en disant que si un tel modèle lui servait de guide, sa démarche