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La première étape de notre recherche devait nous permettre d'explorer la métaphysique de Schopenhauer, et de définir avec précision la nature et le rôle de la notion d'inconscient. Nous avons pu constater que les occurrences de l'inconscient dans l'œuvre du philosophe, couvrait l'ensemble de ses considérations métaphysiques. Nous pouvons donc affirmer, suite à nos développements, que la notion d'inconscient occupe un place centrale dans la philosophie schopenhauerienne, et qu'elle joue un rôle primordial. En effet, dans les Nachlass, Schopenhauer va jusqu'à déclarer que « tout ce qui est originel, tout ce qui constitue l’être véritable est inconscient [unbewußt] (...) Toutes les propriétés véritables du caractère ou de l’esprit de l’homme sont par conséquent inconscientes [unbewußt] » (HN, vol. III, p. 439). Ainsi, avec Vincent Stanek, nous sommes contraint de conclure que la conscience n'est pas ce qui permet de fonder l'être du sujet1. La conscience demeure passive, dépendante de la Volonté, en tant qu'elle en est le produit.

Elle est, pour reprendre les mots de Schopenhauer, l'efflorescence suprême de cet être fondamentalement dénué de conscience.

De ce fait, « tout ce qui est primordial dans l’homme comme tel, et par conséquent tout ce qui est authentique, agit inconsciemment [unbewußt] comme les forces naturelles (Schopenhauer, 1851, p. 895). Par suite,

« Ce qui a pénétré par la conscience y devient une représentation ; (...) la manifestation de cette conscience est, dans une certaine mesure, la communication d’une représentation. En conséquence, toutes les qualités vraies et éprouvées du caractère et de l’intellect sont à l’origine inconscientes [unbewußte], et ce n’est que comme telles qu’elles produisent une profonde impression. Tout ce qui est conscient, étant retouché et intentionnel, dégénère donc en affectation, c’est-à-dire en tromperie. Ce que l’homme accompli inconsciemment [Was der Mensch unbewußt leistet] ne lui coûte aucun effort, mais aucun effort ne peut y suppléer. C’est là le caractère des conceptions originelles qui constituent le fond et le noyau de toutes les créations véritables. Voilà pourquoi seul

1 « En faisant de l'inconscient le synonyme de l'être, Schopenhauer destitue la conscience de sa capacité à fonder l'être du sujet, en renvoyant ce fondement à l'espace hors champ de l'inconscient » (Stanek, 2010, p.

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ce qui est inné est authentique et valable ; ceux qui veulent accomplir quelque chose, que ce soit dans le commerce, la littérature ou la peinture, doivent obéir aux règles sans les connaître » (Ibid.).

La dimension inconsciente de l'homme correspond donc à ce qu'il y a d'essentiel et de plus authentique. Sitôt l'apparition de la conscience, tout dégénère en tromperie, tout demande un effort, et n'est plus naturel et véritable. Schopenhauer reprend ici les idées soulevés dans le passage précité du volume III des Nachlass. Le fond de l'être est inconscient, et c'est de cette partie de nous-mêmes que proviennent les véritables qualités du caractères et de l'intellect.

Ces déclarations de Schopenhauer généralise et systématise l'importance de l'inconscient au sein de sa philosophie. Nous nous sommes attachés, dans cette première partie, à mettre en lumière les détails de cette présence centrale de la notion d'inconscient au sein de son œuvre. À partir d'un relevé exhaustif de l'ensemble des occurrences des termes « erkenntnislos » (et « ohne Erkenntnis »), « Bewußtlosigkeit », « bewußtlos » (et

« ohne Bewußtsein »), et « unbewußt », nous avons constater une omniprésence de la notion d'inconscient sous la plume de Schopenhauer. Nous avons voulu rendre compte, à partir des trois niveau de considérations retenu, de la cohérence interne du propos de Schopenhauer, et de sa profonde intégration tant dans sa métaphysique de la Volonté, que dans la théorie de la connaissance qu'elle présuppose.

Envisageant cette essence dépourvue de conscience, « nous avons donc constaté que le monde en soi était la Volonté ; nous n’avons reconnu dans tous ses phénomènes que l’objectité de la Volonté, nous avons suivi cette objectité depuis l’impulsion dépourvue de connaissance [wom erkenntnislosen Drange] des forces obscures de la nature jusqu’à l’action la plus consciente [bewußtvollsten] de l’homme » (Monde, trad. mod., p. 514 ; SW, Band I., p. 557). Nous avons constater qu'en tant que Volonté-de-vivre, Volonté de l'espèce et Volonté-de-connaître, elle agissait en deçà de la conscience. Cette conscience, partie émergé de l'intellect, qui se constitue mystérieusement sur fond de Volonté. Ce miracle par excellence demeure un mystère. Néanmoins, nous avons pu déceler, dans l'activité même de l'intellect, les actions de la Volonté non accompagnées de conscience.

De l'inférence dans la perception visuelle, à l'association d'idées, en passant par la formation même de la représentation et la présence de raisonnements inconscients (méditation, rumination), nous avons partout déceler la présence active de cette Volonté dénuée de conscience. L'analyse des rouages de l'intellect, en tant qu'objectivation de la Volonté de connaître, témoigne de la nature proprement volontaire de la connaissance.

Enfin, c'est justement cet enracinement de l'intellect dans la Volonté, qui explique la modification, la coloration et la déformation que peut subir la connaissance. Le primat de la Volonté sur l'intellect se ait ici directement sentir, et Schopenhauer s'attache à le fonder sur notre expérience psychologique. Ainsi, quelque soit l'objet considéré, toujours nous retrouvons la Volonté et la dimension affective de notre être.

151 La nécessité de cette première partie apparaît désormais avec une plus grande clarté.

En effet, elle nous a permis d'explorer de manière systématique la présence et le rôle de la notion d'inconscient dans l'œuvre de Schopenhauer. Toutes ces considérations, et notamment celles du chapitre III, nous font sentir la nécessité, et donc la profonde légitimité, de la question du rapport entre Schopenhauer et Freud. Cette première étape dans notre cheminement nous permet ainsi de poser avec le plus de précision possible les bases d'une comparaison objective entre les œuvres de Schopenhauer et de Freud. Notre seconde partie va avoir pour but d'analyser et de comparer les écrits de ces deux auteurs sur la notion centrale d'inconscient et sur des notions fondamentales de la psychanalyse (pulsion, refoulement, ça, rêve et folie)

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