• Aucun résultat trouvé

VOLONTÉ ET INCONSCIENT : l’INCONSCIENT COMME « CHOSE EN SOI » ?

A. Le primat de l’irrationnel ?

Le primat de l’irrationnel, l’affirmation que l’homme n’est pas maître dans sa propre maison, que les faits et actes conscients sont déterminés par des faits et des actes inconscients, etc., sont des éléments que beaucoup de commentateurs retrouvent à la fois chez Schopenhauer et chez Freud. Ce dernier, comme nous l’avons vu, place même Schopenhauer avant lui pour ce qui est de cette troisième blessure narcissique de l’homme : ce serait lui en effet qui aurait établi que l’homme n’est pas maître dans sa propre maison. Peut-on voir ici un rapprochement entre Volonté et Inconscient ? L’Inconscient ne serait-il pas le nom de l’obscurité de la Volonté, considéré du point de vue psychique ? Le rapprochement entre Freud et Schopenhauer, du fait de l’utilisation par ces deux auteurs de l’expression kantienne de « chose en soi », semble être possible.

C’est ce qu’il nous faut examiner ici de plus près.

Reprise de la distinction kantienne

Ce rapprochement radical des deux auteurs est affirmé par Edouard Sans, lorsqu’il écrit qu’« en réalité, il faut transposer le mystère des forces naturelles à l’ensemble des motivations psychologiques. En sorte que la volonté humaine, domaine, chez Kant, de l’ « inconnaissable » (chose en soi), est plus précisément chez Schopenhauer le domaine de l’inconscient, au sens où l’entendront Nietzsche et Freud » (Sans, 1990, p. 35).

Inconscient freudien et Volonté schopenhauerienne se retrouveraient ainsi dans un même domaine, seraient pour ainsi dire sur le même niveau. À en croire Edouard Sans, il y aurait donc une continuité manifeste entre Schopenhauer, Nietzsche et Freud. Seulement, n’est-ce pas conférer à l’inconscient freudien le statut d’un inconscient au sens romantique : un principe de production, dépassant de loin le simple point de vue psychique ? N’est-ce pas accréditer l’idée, émise notamment à deux reprises par

185 Ellenberger, d’une « philosophie de l’inconscient de Schopenhauer »1, rapprochant ainsi Schopenhauer de Von Hartmann ?

À la seconde question, nous avons déjà répondu par la négative : Schopenhauer ne développe pas une philosophie de l’inconscient, et n’aurait sans doute jamais accrédité une telle idée. La première question, quant à elle, nous renvoie à l’épineux problème de la nature de l’inconscient chez Freud – auquel nous reviendrons plus en détail dans notre point 2.). Il nous faut ici, afin de clarifier notre propos faire une rapide définition. La notion d’inconscient chez Freud possède trois sens bien distincts2 :

L’Inconscient (Ics) comme instance psychique.

L’inconscient refoulé, c’est-à-dire l’inconscient produit par le refoulement (auquel il faut ajouter le contenu de l’héritage phylogénétique).

L’inconscient « disponible », que nous nommons habituellement le préconscient.

En d’autres termes, nous avons un Inconscient comme système psychique (contenant), un contenu réellement inconscient suite à son refoulement de la conscience, et un contenu préconscient, dépourvu de la qualité conscience, mais disponible à tout moment. Sur cette question des différents sens de l’inconscient, Freud ajoute une chose importante : il considère en effet que « le sens le plus ancien et le meilleur du mot « inconscient » est le sens descriptif » (Freud, 1933, p. 98). Ainsi, est appelé

« Inconscient un processus psychique dont il nous faut supposer l’existence parce que, par exemple, nous le déduisons de ses effets, mais dont nous ne savons rien. Nous avons alors la même relation avec lui qu’avec un processus psychique chez un autre individu sauf que c’est précisément un des nôtres » (Ibid.).

Le sens descriptif ici retenu, renvoie au sens le plus étymologique du terme : c’est un élément dont nous n’avons pas conscience, et dont, du coup, nous ne pouvons rien dire.

Un contenu inconscient est donc inconnaissable, et s’il nous apparaît ce n’est que médiatement, jamais directement. En cela, nous serions a priori tenté de rapprocher Freud de Schopenhauer : la Volonté n’est pas connaissable directement, nous n’avons affaire qu’à ses manifestations. Selon Freud, il en irait de même pour l’inconscient qui n’est accessible que par l’analyse (pour ce qui est du refoulé), par l’observation des cas cliniques et de l’expérience quotidienne (pour le préconscient – les souvenirs notamment), ou par un travail théorique (délimitant l’Ics). D’où l’intervention de Kant, perçu avec des lunettes schopenhaueriennes, comme nous le faisions remarquer

1 Voir Ellenberger, 1970, p. 283. Il utilise également, pour qualifier Schopenhauer, l’appellation de

« philosophe de l’inconscient », p. 582, et le lie essentiellement à von Hartmann.

2 Voir sur ce point Freud, 1933, p. 100.

186

précédemment, et de la question de la chose en soi qui traverse l’œuvre de Freud – notamment dans la Métapsychologie. Freud y affirme qu’« il ne reste pas d’autre solution à la psychanalyse que de déclarer les processus psychiques inconscients en soi et de comparer leur perception par la conscience à la perception du monde extérieur par les organes des sens » (Freud, 1915, p. 73). Les processus psychiques sont en soi inconscients, l’inconscient serait ainsi la chose en soi du psychisme1, et la perception consciente que nous en avons, en serait le phénomène. Et il y a le même rapport entre les choses telles qu’elles sont et telles qu’elles nous apparaissent, et l’inconscient et le nécessairement en réalité tel qu’il nous apparaît » (Freud, 1915, p. 74).

L’interprétation schopenhauerienne de la conception freudienne se laisse plutôt voir dans la phrase suivante, dans laquelle Freud s’empresse d’infléchir ce recours à la chose en soi, en affirmant « que l’objet intérieur est moins inconnaissable que le monde l’idée schopenhauerienne d’un rapport d’expression (ce qui condamne d’ailleurs, nous le verrons, tout rapprochement avec Schopenhauer). Nous pouvons aller plus loin et dire que Freud, dans sa perspective analytique, pouvait très bien affirmer que, ce qui est à l’intérieur – l’inconscient, nous pouvons en avoir une plus grande connaissance que ce qui est à l’extérieur, sans pour autant avoir recours à Schopenhauer. Troublante, cette connaissabilité plus grande de l’inconscient n’est pas pour autant un héritage schopenhauerien ; s’il en est un, il n’est certainement pas issu d’une lecture des œuvres du philosophe.

Nous pouvons donc dire, avec Binswanger, que Freud estimait la chose suivante : « de même que Kant postulait derrière le phénomène la chose en soi, de même il postulait

1 « Remarquons que Freud utilise une formulation philosophique : en effet il s’agit d’exprimer le sens philosophique du changement de statut de la conscience, qui passe de l’état d’essence-principe à celui de qualité-accident, tandis que l’inconscient est haussé à l’état d’« en soi » psychique » (Assoun, 1976, p. 88).

2 La référence à cette thèse philosophique pour expliquer le rapport entre inconscient et conscient est déjà présente dans L’interprétation des rêves : « L’inconscient est le psychique proprement réel, aussi inconnu de nous dans sa nature interne que le réel du monde extérieur et qui nous est livré par les données de la conscience tout aussi incomplètement que l’est le monde extérieur par les indications de nos organes sensoriels » (Freud, 1900, p. 668). À noter dans ce passage l’insistance sur la réalité de l’inconscient.

187 derrière le conscient, qui est accessible à notre expérience, l’inconscient, qui ne peut jamais être l’objet d’une expérience directe » (Binswanger, dans Parcours, discours et Freud, p. 275). Si l’inconscient peut devenir l’objet d’une connaissance, et être même mieux connu que l’extérieur, ce qui pourrait faire écho à Schopenhauer, la nature de cette connaissance achève de démontrer que ce n’est pas à Schopenhauer que Freud emprunte sa vision de la chose en soi. Tout au plus a-t-elle été légèrement déformée dans sa transmission jusqu’à Freud par un schopenhauerianisme « atmosphérique ». Hypothèse invérifiable dont nous pourrions même nous passer, puisque loin de rapprocher les deux auteurs, une telle modification marque le début d’une séparation, qui ne va cesser de se creuser.

Quelle connaissance de l’inconscient ?

Expliquons-nous. L’idée, apparemment partagée par Schopenhauer et Freud, que la chose en soi est connaissable, nous oblige à questionner la nature de cette connaissance.

Pour ce qui est de Schopenhauer, nous l’avons vu, elle peut être de deux types : immédiate (affective) ou médiate (représentative). Seulement, la seconde repose sur la première : c’est parce que nous éprouvons notre être comme Volonté que nous pouvons la déceler dans les phénomènes. Le fond de cette connaissance n’est pas à rechercher dans la représentation, forcément trompeuse, mais dans l’expérience immédiate et affective du Leib. Or, une telle démarche, reposant entièrement sur l’intuition (au sens où Freud emploie ce mot, c’est-à-dire l’expérience subjective, personnelle, aboutissant à une connaissance non rationnelle), et apparaissant aux antipodes de la conception freudienne de la science, ne se retrouve pas chez Freud. Pour Schopenhauer, comme il l’affirme dans le § 32 des Parerga, « notre pouvoir de connaître, tout comme notre œil, ne peut que diriger son regard vers l’extérieur et non vers l’intérieur. Aussi lorsque le sujet connaissant tente de se tourner vers l’intérieur afin de se connaître, il ne contemple qu’épaisses ténèbres, il pénètre dans un vide absolu » (Schopenhauer, 1851, § 32, p. 447 ; traduction modifiée). La connaissance intuitive (au sens ici de Schopenhauer), issue des sens, et ayant pour forme la représentation, est absolument incapable de nous livrer une quelconque connaissance de l’intérieur. Notre essence, que Schopenhauer désigne par l’expression « chose en soi » comme nous l’avons déjà précisé, à laquelle il fait subir un glissement qui n’apparaît pas chez Freud, n’en est pas pour autant inconnaissable. « Bien au contraire, [et c’est là] l’intuition initiale du Monde (…), nous avons accès à cette réalité nouménale qu’est la Volonté et (…) un tel accès ne consiste précisément pas dans la représentation » (Henry, 1988, p. 90). Nous y accédons par l’épreuve pathique des affections du corps propre. Affection que Michel Henry qualifie de « révélation originelle

188

de la Volonté à elle-même », précisant que

« cette révélation c’est celle du Désir en nous, c’est l’épreuve intérieure, irreprésentable et incontestable que nous faisons de notre propre corps ou que ce corps fait de lui-même en tant que ce désir qui nous traverse, avec lequel nous nous identifions sans jamais pouvoir prendre à son égard le moindre recul, sans pouvoir nous le re-présenter » (Ibid., p. 91).

La perspective de Freud, qui se revendique scientifique au même titre que les sciences naturelles, refuse toute subjectivité, toute expérience intime, toute connaissance non-rationnelle : il cherche à exprimer, et du même coup expliquer, cette part obscure du psychisme à partir d’expériences et d’observations minutieuses. L’expression la plus claire et la plus tardive de Freud à propos de la scientificité de la psychanalyse, et qui évoque une nouvelle fois cette idée de chose en soi, se situe dans son Abrégé de psychanalyse, rédigé en 1938. En effet, il y affirme que, « dans notre domaine scientifique, comme dans tous les autres, il s’agit de découvrir derrière les propriétés (les qualités) directement perçues de l’objet, quelque chose d’autre qui dépende moins des particularités de nos organes sensoriels et qui se rapproche davantage de ce qu’on suppose être l’état de choses réel » (Freud, 1938, p. 70). Nouveau détournement de l’idée de chose en soi : ce qu’il y a derrière l’apparence, devient le véritable objet de la psychanalyse, comme de toute science. La réalité n’est pas ce qui est aperçu par les sens, et la psychanalyse, en tant que science, cherche ce qu’il y a derrière, cherche à atteindre la chose en soi. Nous ne pouvons qu’être perplexe face à une telle déclaration, même si, à la suite immédiate, Freud concède qu’un tel état de chose réel ne nous est pas accessible, du simple fait que pour sommes « obligés de traduire toutes nos déductions dans le langage même de nos perceptions ». C’est là le « désavantage dont il nous est à jamais interdit de nous libérer » et c’est justement à cela « que l’on reconnaît la nature et la limitation de notre science » (Freud, 1938, p. 70)1.

La science, à en croire cette affirmation, ne concerne pas les phénomènes, mais cherche, à partir de leur étude à voir au-delà de nos perceptions sensorielles, à déceler la réalité profonde des choses. Comment expliquer une telle définition ? Freud ne se livrerait-il pas ici à une justification de la méthode psychanalytique, en prétendant l’inscrire dans le champ scientifique proprement dit, à partir d’une subversion de la conception kantienne de la connaissance, et de la partition entre phénomène et chose en soi ? Nous devons émettre la conclusion suivante : Freud n’a définitivement pas compris la distinction kantienne, et cette incompréhension n’est pas le résultat d’une déformation par des « lunettes » schopenhaueriennes. Freud tente de préciser son propos, lorsqu’il affirme que « le bénéfice qu’apporte le travail scientifique par rapport à nos perceptions

1 « Certes, nous n’espérons pas atteindre ce dernier puisque nous sommes évidemment obligés de traduire toutes nos déductions dans le langage même de nos perceptions, désavantage dont il nous est à jamais interdit de nous libérer. Mais c’est là justement que l’on reconnaît la nature et la limitation de notre science » (Freud, 1938, p. 70).

189 sensorielles primaires, c’est la découverte de connexions et d’interdépendances présentes dans le monde extérieur et qui peuvent, de façon plus ou moins fidèle, se reproduire ou se refléter dans le monde intérieur de notre pensée. Cette connaissance nous permet de

« comprendre » certains phénomènes du monde extérieur, de les prévoir et parfois de les modifier » (Freud, 1938, p. 71). Le propre de la science serait d’établir des relations à propos de l’extérieur, avec la limitation de devoir les traduire dans le langage de nos perceptions, relations qui peuvent servir de modèle pour ce qui se passe à « l’intérieur » de notre pensée. « C’est de la même façon que nous procédons en psychanalyse. Nous avons pu découvrir certains procédés techniques qui nous permettent de combler les lacunes qui subsistent dans les phénomènes de notre conscience utilisant donc nos méthodes techniques comme les physiciens se servent de l’expérimentation » (Ibid.).

Comment comprendre une telle définition ? La science vise à établir des relations dépassant nos simples perceptions. De telles relations entre les phénomènes seraient plus réelles, plus proches de « l’état des choses réel » que notre perception. La science nous donnerait une connaissance possédant un degré de réalité supérieur à notre intuition, aux données fournies par nos sens. Cependant, les déductions théoriques et scientifiques doivent s’exprimer dans le langage de nos perceptions et condamner l’accès direct à la réalité. En effet, selon Freud, « la réalité demeurera à jamais « inconnaissable » » (Ibid.).

La science peut seulement s’en approcher en nous donnant des connexions, qui peuvent ensuite être appliquées à ce qui nous demeure inaccessible : le monde intérieur de notre pensée. De ce fait, si nous devons inférer « l’existence d’une quantité de processus en eux-mêmes « inconnaissables »1 » (Freud, 1938, p. 71), nous pouvons en avoir une connaissance scientifique en transposant les déductions apprises de l’extérieur, vers l’intérieur.

Ce passage possède une grande importance pour trois raisons. Premièrement parce qu’il fonde l’opposition radicale entre Schopenhauer et Freud sur la question de la connaissance. Et ce pour deux raisons. D’une part, parce que pour Freud la connaissance permettant de saisir la réalité a une origine extérieure et non intérieure comme chez Schopenhauer. Et d’autre part, parce que cette connaissance est d’ordre rationnel, conceptuel : c’est la science qui nous fournit le modèle, les connexions, les déductions susceptibles de nous apporter la connaissance du « monde intérieur de notre pensée ». Au contraire de Schopenhauer, qui voit dans les théories scientifiques, et notamment psychologiques, un outil indispensable et précieux pour confirmer ce qu’a établi la théorie de la connaissance, et la définition de l’intuition comme reposant entièrement sur une

1 D’une manière plus nuancée, laissant la porte ouverte à une éventuelle connaissance des phénomènes inconscients, il affirmait déjà ce fait dans le Métapsychologie : « Ils [les phénomènes psychiques inconscients] nous sont, à l’heure actuelle, parfaitement inaccessibles par leurs caractères physiques ; aucune représentation physiologique, aucun processus chimique ne peut nous fournir une idée de leur nature » (Freud, 1915, p. 69).

190

base affective.

Deuxièmement, ce passage nous apprend que la méthode freudienne, qui se revendique scientifique, cherche à exprimer l’inconscient (réalité du psychisme) avec du conscient qui en est la simple apparence. Freud y voit là une limitation de sa science, comme de toutes les autres. Or, ce n’est pas ce dont il s’agit ici : la psychanalyse cherche des connexions et des relations de dépendance entre des objets auxquels elle n’a pas accès, en supposant qu’ils fonctionnent de la même manière que les phénomènes psychiques observables. Non seulement une telle démarche repose sur une chosification de l’inconscient : le psychisme inconscient est ainsi une somme d’objets dont il importe de déterminer les relations et les connexions, et ainsi de fournir une théorie universellement valable et effective ; mais elle repose également sur la subversion de la distinction kantienne, à partir de laquelle il redéfinit la nature de la science, afin d’affirmer la possibilité d’une science de l’inconscient. Freud, se posant la question de la réalité des

« souhaits inconscients », concède qu’« il faut naturellement la dénier à toutes les pensées de transition et intermédiaires », et conclut en disant que l’on « est bien forcé de dire que la réalité psychique est une forme d’existence particulière qui ne doit pas être confondue avec la réalité matérielle » (Freud, 1900 et 1919 [dernière phrase], p. 675). La psychanalyse prétend ainsi établir des connexions entre des objets, dont la réalité est problématique, et dont l’existence est déduite à partir d’autres phénomènes qu’elle estime être ses représentants. Cette affirmation corrobore l’aspiration de la psychanalyse à la scientificité, mais également sa profonde différence avec les sciences de la nature : si Freud estime utiliser les mêmes procédés, ces derniers ne s’appliquent pas à la même réalité, et cette réalité est inexpérimentable. Par ailleurs, l’effectivité des objets, qui doivent témoigner de son existence, demeure invérifiable.

L’utilisation de la distinction kantienne, faisant de l’inconscient une chose en soi, conduit inévitablement « Freud à chosifier cet Être auquel il donne le nom d’Inconscient, nous ramenant à une théologie affirmative qui croit pouvoir déterminer la nature de l’Être des êtres » (Raikovic, 1994, p. 87). Caractériser l’inconscient, c’est fournir l’essence du conscient, c’est offrir l’être de la pensée. A cela vient s’ajouter une vision restrictive de l’inconscient, puisque, comme le fait remarquer Pierre Raikovic, « Freud ne connaît, de ce qui échappe à la conscience, que ce qui demeure caché « dans » un Inconscient et ceci à travers une représentation « chosifiante » de la vie de l’esprit » (Ibid., p. 25-26). Il ajoute par la suite que « dans la conception freudienne, l’Inconscient dérive d’une construction objective appartenant à une sorte de physique mentale qui participe à l’idée de science naturelle. Ne pouvant se rendre compte de ce que la philosophie forme ses concepts le plus loin possible de cette attitude, Freud ne peut apercevoir la

191 problématisation du non-conscient dans la philosophie1 » (Ibid.). Or, il ne fait aucun doute qu’une telle théorisation était présente dans la philosophie depuis la naissance du concept de conscience, chez Descartes. Même si Freud a ici considéré la chose en soi à partir de Schopenhauer, la pensant connaissable, il rate totalement la portée de la redéfinition schopenhauerienne en pensant parvenir à la connaître par les concepts, par une science descriptive. Nous serions tentés dès à présent de qualifier cette attitude de totalement non-schopenhauerienne, et, a fortiori, de parfaitement rationaliste.

Enfin, le troisième élément que ce passage de l’Abrégé de psychanalyse permet d’éclairer, c’est la position de Freud vis-à-vis de la notion de chose en soi. Nous avons souligné, en accord avec plusieurs commentateurs, la compréhension schopenhauerienne de la chose en soi, notamment dans le passage de la Métapsychologie, où Freud affirme que la réalité intérieure est moins inconnaissable que la réalité extérieure. Nos actuels développements autour de ce passage de 1938 nous permettent de remettre en cause cette interprétation : pour Freud la réalité demeure bel et bien inconnaissable. Si la réalité du

Enfin, le troisième élément que ce passage de l’Abrégé de psychanalyse permet d’éclairer, c’est la position de Freud vis-à-vis de la notion de chose en soi. Nous avons souligné, en accord avec plusieurs commentateurs, la compréhension schopenhauerienne de la chose en soi, notamment dans le passage de la Métapsychologie, où Freud affirme que la réalité intérieure est moins inconnaissable que la réalité extérieure. Nos actuels développements autour de ce passage de 1938 nous permettent de remettre en cause cette interprétation : pour Freud la réalité demeure bel et bien inconnaissable. Si la réalité du