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LA RÉCEPTION FREUDIENNE DE SCHOPENHAUER

A. Présence de Schopenhauer

Le nom de Schopenhauer apparaît relativement peu dans l’œuvre de Freud, mais bien souvent il est utilisé à des moments décisifs de l’élaboration de la théorie, et porte sur des thèmes centraux du discours : le rêve, le refoulement, la sexualité, la mort, etc. Nous avons dénombré au total seize références de Freud à Schopenhauer dans l’œuvre publiée, sachant que quatre d’entre elles sont purement anecdotiques. Nous avons également relevé trois occurrences essentielles du nom de Schopenhauer dans la correspondance de Freud, intervenant sur des questions théoriques (notamment dans son rapport à la philosophie ou à l’histoire des idées). Toutes ces références, qui seront reprises et analysées dans les chapitres qui suivent, témoignent du rôle du philosophe dans l’élaboration théorique de la psychanalyse, au moins en ce qui concerne la seconde période, à partir de 1915. Avant de questionner le statut de Schopenhauer comme référent philosophique de la psychanalyse, thèse figurant dans l’ouvrage de Paul-Laurent Assoun, Freud, la philosophie et les philosophes, et plus généralement d’interroger le rapport de Freud à la philosophie, nous voudrions ici déterminer le rôle et la portée des références à Schopenhauer dans l’œuvre freudienne.

La référence à Schopenhauer

Comme nous l’évoquions plus haut, les références de Freud à Schopenhauer sont peu nombreuses mais concernent des thèmes essentiels du discours psychanalytique : l’inconscient, le refoulement, les rêves, la folie, la mort, etc. Elles évoquent également, pour quelques unes d’entre elles, les considérations que portait Freud à l’égard du personnage, de la philosophie ou de l’œuvre de Schopenhauer. Elles peuvent relever de la simple anecdote, comme lorsque, dans L’homme au rat, Freud raconte que, pour distinguer deux sortes différentes de connaissance (entre la connaissance oubliée et celle dont on ne connaît la véritable portée) :

« Les sommeliers qui servaient Schopenhauer, dans l’auberge qu’il avait coutume de fréquenter, le

« connaissaient » dans un certain sens, à une époque où il était inconnu à Francfort comme ailleurs, mais ils ne le « connaissaient » pas dans le sens que nous attachons aujourd’hui à la connaissance de Schopenhauer » (Freud, L’homme aux rats, G.W., vol. VII, p. 418 ; cité par Assoun, 1976, p.

226).

Cette citation incongrue, marque selon Paul-Laurent Assoun l’attachement affectif que Freud portait à Schopenhauer, attachement s’expliquant selon lui par le processus d’identification entre le solitaire de Vienne et le solitaire de Francfort, entre deux esprits,

157 en avance sur leur temps (estimaient-ils) mais ignorés, voire même rejetés, par leur époque. Au-delà des citations anecdotiques1, d’autres passages nous montrent combien l’importance de Schopenhauer pour Freud ne s’arrête pas au simple personnage : c’est l’influence théorique, dont il est question dans de nombreux passages, qui fait l’essentiel des références à Schopenhauer. Présenté comme un précurseur de la psychanalyse, dont l’influence est soulignée par Freud lui-même à plusieurs reprises, Schopenhauer occupe une place unique dans l’œuvre freudienne. En effet, « il n’a pas seulement soutenu la thèse du primat de l’affectivité et de l’importance prépondérante de la sexualité, mais il a même eu connaissance du mécanisme du refoulement » (Freud, 1925, p.

100). À en croire Freud, trois piliers de la psychanalyse – théorie du refoulement (sur laquelle repose la notion même d’inconscient comme instance psychique), la prépondérance de la sexualité et le primat de l’affectivité (des motions inconscientes sur le conscient) – seraient d’ores et déjà présents dans l’œuvre de Schopenhauer, légitimant ainsi non seulement la présence du philosophe comme précurseur, mais également le discours analytique lui-même.

Reconnaître l’antériorité de Schopenhauer sur des points essentiels, tel que le refoulement par exemple, a pour conséquence de faire sentir à Freud que son

« originalité est ostensiblement en baisse » (Freud, Abraham, Correspondance, 1969, p.

103). En effet, il va même jusqu’à concéder à Schopenhauer une place (à ses côtés ?) sur le podium des trois figures qui ont infligé à l’homme la plus grande humiliation :

« Vous avez raison de dire que l’énumération que je fais dans mon dernier article peut donner l’impression que je revendique ma place à côté de Copernic et de Darwin. Mais malgré cette apparence je n’ai pas voulu renoncer à cette intéressante idée et c’est pourquoi j’ai mis en avant Schopenhauer » (Lettre de Freud à Abraham, 25 mars 1917 – cité par Jones, 1955, t. II, p. 241).

Des dires mêmes de Freud, on voit Schopenhauer se placer aux côtés de Copernic et Darwin, comme celui qui a infligé à l’homme sa troisième blessure, celle intime, c’est-à-dire celle trouvant sa source dans le fait qu’il n’est pas maître dans sa propre maison, que sa vie intérieure, ses pensées, ses désirs, etc. vivent et s’expriment à travers lui, sans lui ; qu’il est ainsi soumis et totalement déterminé par des motions pulsionnelles inconscientes. Déclaration importante et lourde de sens pour la reconnaissance de Schopenhauer comme précurseur de la psychanalyse, et il nous faudra y revenir de manière plus détaillée par la suite (cf., infra, Chapitre VII).

Cependant, le rapport de proximité entre Schopenhauer et Freud laisse apparaître deux difficultés de nature à le remettre en question. En effet, Freud se défend de toute influence directe de Schopenhauer sur son élaboration théorique, d’une part parce qu’il affirme

1 Nous pouvons en relever trois autres de ce type : Freud, 1900, p. 304 et p. 554-555 ; et, Freud, 1921, G.W., vol XIII, p. 110 (cité par Assoun, 1976, p. 248), où Freud évoque « la parabole célèbre de Schopenhauer sur les porcs-épics souffrant du froid ».

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avoir lu « Schopenhauer très tard dans [sa] vie »1, et, d’autre part, parce que ces larges concordances ne seraient que des points de contact entre des intuitions philosophiques et un travail minutieux, scientifique. Freud veut ainsi se défendre de toute réduction de la psychanalyse à la philosophie, et joue sur un rapport de complémentarité pour dépasser (esquiver ?) la question de la « filiation » et de l’origine philosophique de ses développements. Deux éléments qui demandent à être plus amplement développés.

Freud, lecteur de Schopenhauer ?

Freud a-t-il lu Schopenhauer ? Oui, Freud l’avoue lui-même à plusieurs reprises dans son œuvre. Quand exactement a-t-il lu Schopenhauer, et surtout, qu’en a-t-il lu exactement ? Voilà la question importante donnant lieu à de multiples débats et interprétations. À s’en référer à ce que nous dit le fondateur de la psychanalyse, il n’aurait

« lu Schopenhauer que tard dans [sa] vie ». Affirmation présente dans son ouvrage Freud sur lui-même publié en 1925, qui semble accréditée par un extrait de sa correspondance dans lequel il stipule, en 1919, que s’intéressant de près au thème de la mort, il en est venu « pour la première fois » à lire Schopenhauer :

« J’ai choisi maintenant comme aliment le thème de la mort, j’y suis venu en butant sur une curieuse idée des pulsions et me voici obligé de lire tout ce qui concerne cette question, comme par exemple, et pour la première fois, Schopenhauer. Mais je ne le lis pas avec plaisir » (lettre à Lou-Andréas Salomé, juillet 1919 ; cité dans Dictionnaire de la psychanalyse, 1997, Paris : Fayard, p. 69).

Si on laisse de côté les implications théoriques majeures d’une telle déclaration, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, il semblerait bien que Freud ne se soit pas attelé à la lecture de Schopenhauer avant la fin des années 1910, après la rédaction des articles regroupés sous le titre de Métapsychologie, mais peu ou prou au moment de la rédaction de l’essai Au-delà du principe de plaisir, et plus largement avant les développements de la deuxième époque. Or, il ne précise en aucun endroit ce qu’il a réellement lu de Schopenhauer. Nous rencontrons ici un problème d’interprétation puisque malgré ces déclarations, il semblerait bien que Freud ait pris connaissance d’au moins certains passages de l’œuvre de Schopenhauer et ce notamment par l’intermédiaire de « l’omniscient » Otto Rank, qui dès 1906, avait fait lire à Freud des passages du Monde, dans lesquels il était question de la folie et de ce que la psychanalyse nommera le

1« Les larges concordances de la psychanalyse avec la philosophie de Schopenhauer (...) ne peuvent se déduire de ma familiarité avec sa doctrine. J’ai lu Schopenhauer très tard dans ma vie » (Freud, 1925, p. 100).

159 refoulement. Freud évoque cela dans le célèbre passage de son ouvrage Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique (ce qui ne manque pas de signification) :

« En ce qui concerne la théorie du refoulement, j’y suis certainement parvenu par mes propres moyens, sans qu’aucune influence m’en ait suggéré la possibilité. Aussi l’ai-je pendant longtemps considérée comme originale, jusqu’au jour où Otto Rank eut mis sous mes yeux un passage du Monde comme volonté et représentation, dans lequel Schopenhauer cherche à donner une explication de la folie. Ce que le philosophe dit dans ce passage au sujet de la répulsion que nous éprouvons à accepter tel ou tel côté pénible de la réalité s’accorde tellement avec la notion du refoulement, telle que je la conçois, que je puis dire une fois de plus que c’est à l’insuffisance de mes lectures que je suis redevable de ma découverte » (Freud, 1914, p. 96-97).

En 1914 déjà, Freud reconnaît l’insuffisance de ses lectures et, tout en ne niant pas la remarquable intuition de Schopenhauer, continue à vanter sa « découverte ». Il s’empresse d’ailleurs d’ajouter une restriction qui nous donne une indication importante sur sa perception d’un éventuel héritage schopenhauerien. En effet, nous dit-il, « d’autres ont lu et relu ce passage, sans faire la découverte en question, et il me serait peut-être arrivé la même chose, si j’avais eu, dans ma jeunesse, plus de goût pour les lectures philosophiques » (Ibid.). Persistant à présenter le refoulement comme une découverte psychanalytique, Freud manifeste ici son désir de gloire, ne voulant reconnaître à Schopenhauer, comme lors de chaque référence, qu’une anticipation par l’intuition d’une découverte scientifique dont il serait le tenant. C’est pourquoi il semble difficile de voir dans ce passage, comme dans l’article « Refoulement » du Dictionnaire de la Psychanalyse de Elisabeth Roudinesco et Michel Plon1, que Freud reconnaît qu’il n’est pas l’inventeur du refoulement… Ainsi, c’est Rank « l’omniscient », dès 1906, « qui assume la fonction de révéler à Freud sa parenté avec Schopenhauer, sur ce point particulier » (Assoun, 1976, p. 229).

Un autre élément troublant, pour remonter plus encore dans le temps, est la présence dans son ouvrage majeur L’interprétation des rêves, de 1900, d’un résumé de la conception schopenhauerienne du rêve énoncé dans l’Essai sur les apparitions, présent dans les Parerga et Paralipomena2. Présence pour le moins troublante puisque Freud fait ici une place de choix au raisonnement de Schopenhauer en le reconnaissant comme

« déterminant pour toute une série d’auteurs » (Freud, 1900, p. 65). Il fait également référence, aux pages 98 et 124, à deux phrases présentes dans le même essai3.

1 Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la Psychanalyse, Paris : Fayard, 1997, p. 883.

2 Si Freud ne cite pas le titre de l’ouvrage de Schopenhauer auquel il se réfère, il en cite la date de publication 1851.

3 Il s’agit respectivement des phrases suivantes, la seconde étant reprise telle quelle mais sans référence : « Cette même omniscience en nous qui fait qu’en rêve chaque corps naturel agit en conformité exacte avec ses propriétés essentielles, a aussi pour conséquences de faire agir et parler chaque être humain en conformité avec son caractère » (Schopenhauer, 1851, p. 194) ; « On peut donc considérer le rêve comme une courte folie, et la folie comme un long rêve » (Schopenhauer, 1851, p. 195).

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Un dernier élément, sans doute le plus important pour expliquer l’attitude de Freud vis-à-vis de Schopenhauer, est la publication par Otto Juliusburger en 1913 dans le Schopenhauer-Jahrbuch, d’un article cherchant à établir un lien théorique entre les développements psychanalytiques et la philosophie d’Arthur Schopenhauer. L’article, dans lequel l’auteur s’attache à compiler un certain nombre de citations de Schopenhauer pour mettre en avant son originalité, vaudra même à Freud des accusations de plagiat dont il cherchera à se défendre – notamment comme nous l’avons déjà constaté dans Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique à propos du refoulement. C’est d’ailleurs à partir de cette date, en 1913, que Freud commence à parler ouvertement de son rapport à Schopenhauer : les références où il est question de renvoyer à une idée généralement bien connue du philosophe, s’accompagnent dès lors systématiquement d’une justification. Il s’agit, pour lui, d’assurer, d’une part, son indépendance vis-à-vis de la position philosophique – qui appartient à un mouvement plus large de rejet pur et simple de la métaphysique – et, comme son corrélat, d’autre part, son originalité pleine et entière. Il n’y a que dans la correspondance où Freud concède que « Juliusburger a fait quelque chose de très bien avec les citations tirées de Schopenhauer, mais mon originalité est ostensiblement en baisse » (Freud, Abraham, Correspondance, 1969, p.103). Il s’agira alors pour Freud, face à cette publication et l’accusation de plagiat, de se défendre, non forcément de tout rapport à Schopenhauer – qu’il ne semble absolument pas récuser mais bien au contraire concéder, mais de sa dépendance vis-à-vis du texte et de toute influence préalable à l’élaboration des concepts centraux de la psychanalyse. Si Freud reconnaît une similitude, voire même une certaine anticipation de ses thèses par Schopenhauer, il ne manque jamais de manifester son étonnement et de se défendre contre toute influence de la métaphysique schopenhauerienne. C’est donc dès 1914, l’opposition entre science et philosophie qui devient l’argument freudien : la démarche scientifique de Freud a (re)trouvé, par elle-même, les vérités des philosophes.

Avant d’aborder ce point et d’éclaircir le rapport conflictuel de Freud à la philosophie, il nous faut tenter d’apporter une réponse à cette question de la lecture de Schopenhauer.

Comme nous venons de le voir, se joue ici la question de l’influence de la philosophie de Schopenhauer dans l’élaboration théorique de la psychanalyse. Et cette question est d’autant plus importante que l’ambiguïté est omniprésente dans les déclarations freudiennes. En effet, Schopenhauer étant présent dès 1900, comment expliquer la déclaration de Freud en 1925, lorsque celui-ci affirme n’avoir lu Schopenhauer que tard dans sa vie ? Comment affirmer également sa totale indépendance par rapport aux écrits du philosophe, l’absence d’une influence directe de ses concepts sur la psychanalyse, alors que Freud a semble-t-il eu sous les yeux de nombreux textes de Schopenhauer et ce dès les prémisses de la rédaction de sa théorie (puisque ce dernier est déjà présent à cinq reprises dans L’interprétation des rêves de 1900) ?

161 Deux interprétations sont ici possibles, comme s’attache à l’établir Peter Welsen1. Il existe d’après lui deux attitudes possibles vis-à-vis de cette contradiction présente dans les déclarations freudiennes :

- Soit Freud a purement et simplement « refoulé ou passé sous silence une lecture antérieure de Schopenhauer » afin de préserver « son image de penseur original » (Welsen, 2011, p. 145) et satisfaire son « désir de gloire » (Ravoux, 2007, p. 38), désir qui apparaît, pour Jean-Philippe Ravoux, comme un véritable obstacle épistémologique.

- Soit Freud a effectivement pris la décision de lire Schopenhauer tard dans sa vie, aux alentours de 1918-1919 à en croire la lettre à Abraham, « mais qu’avant cette décision, il soit entré d’une autre manière en contact avec sa pensée » (Welsen, p.

146). Le contraire est clairement impossible puisque, d’une part Freud fait référence à Schopenhauer dès 1900, mais surtout il n’a sans doute pas pu échapper à la présence « atmosphérique » de Schopenhauer, notamment dans les années 1870-1880, et plus particulièrement en raison de ses amitiés avec Paneth et Lipiner, et sa participation aux cours de philosophie de Brentano durant deux années2.

Il est délicat de trancher entre ces deux interprétations tant l’ambiguïté des déclarations freudiennes est grande. Nous nous rangeons à l’opinion de Peter Welsen en affirmant que la seconde nous semble bien plus plausible que la première. Reste à savoir, ce qu’il sera sans doute impossible à déterminer, dans quelle mesure et par quels moyens Freud fut en contact avec des textes ou des idées de Schopenhauer. La gloire de la pensée schopenhauerienne et la proximité de Freud avec la philosophie dans ses jeunes années, laissent présager une forte imprégnation par les idées de Schopenhauer. Il faut donc ici, tout comme sur la question plus précise de l’inconscient psychique, voir une influence non pas directe, mais indirecte, une imprégnation par « l’air du temps ». Il est cependant important de noter que, si les caractères généraux de la pensée de Schopenhauer (notamment son « irrationalisme » et son affirmation de la prédominance de la sexualité) pouvaient être présents de manière atmosphérique, il est certain que l’ensemble des débats sur la notion d’inconscient ne l’était pas moins – bien au contraire. Seulement, il semble assez certain que concernant la notion d’inconscient, l’influence indirecte de Schopenhauer soit limitée…

Il faut pourtant, à mon sens, fortement relativiser cette seconde interprétation, voire

1 Cf. Welsen, « Schopenhauer précurseur de Freud », in Schopenhauer et l’inconscient, (dir.) J-C. Banvoy, Ch. Bouriau et B. Andrieu, Nancy : PUN, 2011, pp. 141-163.

2 Freud est inscrit de manière volontaire au cours de philosophie de Brentano de 1874 à 1876. Cf. Welsen, 2011, p. 147 ; Jones, 1953, p. 172 ; et Zentner, 1995, p. 163 sq.

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même redonner certains droits à la première : à une lecture, certes non systématique et peut-être même indirecte – par des citations chez d’autres auteurs, de textes du philosophe ou du moins de commentaires détaillés sur certains aspects de la pensée de Schopenhauer.

L’élément le plus flagrant à l’appui de cette idée est la présence, déjà soulignée, d’un développement précis et clair de la conception schopenhauerienne du rêve figurant dans l’Essai sur les apparitions et les faits qui s’y rattachent, publié dans les Parerga et Paralipomena. On peut donc supposer qu’un tel résumé – certes court – n’a pu se faire sans une lecture de ce que dit Schopenhauer du rêve (ce qui aurait été logique dans la perspective de son travail synthétique sur la question) ou une lecture de plusieurs résumés (sans doute assez complets) de ce qu’en dit le philosophe. En effet, Freud affirme explicitement que « ce qui a été déterminant pour toute une série d’auteurs, c’est le raisonnement développé en 1851 par le philosophe Schopenhauer » (Freud, 1900, p. 65).

On ne peut alors douter que Freud connaissait, au moins indirectement, plusieurs textes parlant de la conception schopenhauerienne du rêve, et qu’il y ait de fortes chances pour qu’il se soit trouvé confronté à des citations de Schopenhauer sur cette question. Cela semble être la moindre des choses pour pouvoir reconnaître son rôle dans l’histoire des théories du rêve…

Le second point, plus essentiel encore sur cette question de l’influence de Schopenhauer, est la reprise d’éléments théoriques dans l’élaboration spéculative de la seconde époque. Car si la seconde interprétation vaut sans nul doute pour l’élaboration théorique de la première topique et de la première théorie des pulsions, elle n’est aucunement valable pour la seconde. D’une part, en effet, la période dite spéculative de Freud, à partir de l’essai Au-delà du principe de plaisir, fait une plus grande place à la référence philosophique et notamment à celle de Schopenhauer. D’autre part, le thème de la mort, qui occupe maintenant presque pleinement Freud, est reconnu comme le thème à

« l’entrée de toute la philosophie » depuis Schopenhauer. Même si Freud reviendra sur ses déclarations en 1933, affirmant que finalement, ce qu’il dit sur la mort n’est « même pas du vrai Schopenhauer », il n’en demeure pas moins que le philosophe apparaît comme l’une des sources majeures de l’élaboration théorique de la seconde époque.

Freud ne serait pas ainsi redevable à Schopenhauer de « sa découverte », mais il semblerait que les écrits du philosophe aient joués un rôle important dans les développements conceptuels à partir de 1918-1919.

S’il semble probable que Schopenhauer n’ait pas eu d’influence directe sur la première époque théorique de Freud – ou du moins simplement limitée à la question du rêve, il a directement nourri les travaux spéculatifs qui naissent après la période 1918-1919. Nous pouvons en avoir une certitude grâce à la déclaration de Freud dans sa lettre à Abraham,

S’il semble probable que Schopenhauer n’ait pas eu d’influence directe sur la première époque théorique de Freud – ou du moins simplement limitée à la question du rêve, il a directement nourri les travaux spéculatifs qui naissent après la période 1918-1919. Nous pouvons en avoir une certitude grâce à la déclaration de Freud dans sa lettre à Abraham,