• Aucun résultat trouvé

La Voix des sans voix: entre témoignages et cris du cœur

Chapitre II : Arts, culture et silence

II.3. L’après-guerre et l’émergence d’une écriture de la

II.3.2. La Voix des sans voix: entre témoignages et cris du cœur

Même les témoins les plus fiables n’échappent pas à ce destin que les mots du langage leur réservent. Ils sont confrontés au problème de trouver un langage qui soit capable d’exprimer ce qu’ils ont vécu, senti, ressenti, subi, vu ou entendu : « Nous voulions parler. Et cependant c’était impossible. À nous-mêmes, ce que nous

avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable247. » Aussi semble-t-il

pour témoigner, il faut s’inventer un nouveau moyen d’expression. Harold Pinter appartient à cette génération d'écrivains tels que Charlotte Delbo, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute qui se lancent dans la conquête de l’indicible, de l’inexprimable, de l’ineffable.

Certains écrivains d’après-guerre tels que Beckett et Pinter déconstruisent le langage, lui font perdre sa prétendue unité, cohérence et expressivité, pour le faire ainsi ressembler au monde de ces survivants de la belligérance. Comme la guerre semble créer le rôle de plus d’un inspecteur des ruines, il fallait s’attendre à ce que plusieurs individus soient affectés par ces décombres ou à ce que leurs états psychologique, linguistique et physique en soient fortement marqués comme l’est le protagoniste, Antonin Blond, du roman d’Elsa Triolet, L’inspecteur des ruines. Le constat de La Motte à propos de l’œuvre de Beckett peut s’appliquer aux textes de Pinter qui, eux aussi, seraient construits sur « les décombres du monde, de

l’humanité et du langage248 ». Le langage qu’ils parlent maintenant est comparable à

l’état du monde qui est le leur : c’est un langage fissuré, fragmenté, fragmentaire, absurde, transparent, opaque, à la dérive. Tout est tu, mal dit, dissimulé, omis ou escamoté. L’écriture de l’après-Auschwitz remet en question les capacités du langage

246 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe (essai sur l’absurde), Paris, Gallimard, 1942, p. 115. 247 Robert Antelme, L’Espèce humaine, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1957, p. 9.

à dire cette réalité sans la banaliser, l’exagérer, la minimaliser : sa capacité à la rendre compte de la meilleure manière qui soit est niée. À tel point qu’elle trace de nouvelles voies pour le silence et lui crée un espace pour faire entendre ses voix. Le mode opératoire de ce nouvel outil d’expression est d’une puissance extraordinaire : il exprime ou s’exprime dans le silence du verbal, dans les mots, entre ou derrière eux ou au-delà d’eux. La réalité ou le sens ne sont pas à rechercher dans les discours prononcés, mais surtout dans ce qui se dérobe aux mots qui ne seraient plus rien d’autre que des boucliers sonores.

De tous ces écrivains (Duras, Sarraute, Vercors, Blanchot, Quignard), celui dont la confrontation avec Pinter est la plus pertinente est évidemment Beckett, en particulier parce qu'ils sont dramaturges l'un et l'autre. En ce qu’il s’inspire d’une douloureuse expérience humaine, le langage de Beckett revêt des aberrations et des vides. Se proposer d’étudier le silence dans son écriture et son texte, c’est se prêter donc à un exercice d’analyse de textes hermétiques, car refusant toute imprégnation facile. Une telle orientation trouve sa justification dans les décombres, les ruines du langage, de l’humanité, du monde, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, qui sous-tendent son œuvre. À l'image de ce que le théâtre de Pinter nous donne à voir, celui de Beckett évite de nommer les réalités comme Auschwitz, Hitler, le génocide. Il préfère les montrer au lieu de les décrire. Pour pallier les défaillances du langage, ses limites, ses imperfections, il met en place des stratégies du silence, des techniques qui lui permettent de s’élever au-dessus du dicible pour côtoyer l’indicible ; le langage est déconstruit par la mise en branle d’une manière de s’exprimer. En vérité, ce mal dire n’est rien d’autre qu’une façon de fendre les vieux mots, ces mots usés pour les refaçonner, leur donner un souffle nouveau. Il débouchera sur une parole limpide et florissante. Faire du silence le lit de ses écrits, c’est garder vivace dans l’esprit que ce discours qui ne dit rien et qui refuse de se taire ne le fait que pour déranger ce silence qui est son géniteur et qui, par ailleurs, ne le reconnaît plus du fait de son arrogance et de sa prétention.

Silence tel que ce qui fut Avant jamais ne sera plus Par murmure déchiré D’une parole sans passé

Jurant de ne se taire plus249.

La principale préoccupation de Beckett porte sur les conséquences de cette guerre destructrice. Ses effets physiques et moraux sur l’homme et son monde sont mis en relief par la technique de monstration et non par un effort descriptif ou narratif. L’état de délabrement du monde se reflète sur celui de ses personnages et sur leur langage. C’est une écriture qui porte la marque indélébile du contexte idéo- historique qui, en outre, constitue un terreau fertile pour sa production littéraire : « Déchiquetée, cassée, bombée, son écriture frise, délibérément, l’incohérence et l’insensé, et traduit, par là, même plus radicalement que les ravages au niveau du contenu, l’état de délabrement auquel est réduit le monde250. » On s'accorde à

souligner que cette dévastation du monde par la guerre marque de son empreinte les textes de Beckett qui, par la plume, montre l’éclatement du sens, de l’effondrement des croyances, la déshumanisation, la mise en question du langage. Comme son usager qui se trouve être cet homme qui a perdu sa vraie dimension ontologique, le langage que Beckett nous présente est celui qui a perdu son être du langage. Cet être que nous nommerons le traumatisé de guerre reste face à une sorte de quadrature du cercle, en découvrant « qu’il n’y a rien à exprimer, rien avec quoi exprimer, rien à partir de quoi exprimer, aucun pouvoir d’exprimer, aucun désir d’exprimer et, tout à

la fois, l’obligation d’exprimer251 ». Son œuvre s’attaque au fond et à la forme du

discours. L’organisation syntaxique se voit ainsi décomposée, désarticulée, désintégrée et fragmentée. Quant aux données foncières, il se plaît à suspendre, à voiler, à dissimuler le sens dans les espaces interstitiels. En procédant de la sorte, son projet est d’arriver à remplacer ce langage qui trahit, qui fait faux bond ou qui dit tout à fait le contraire de ce qu’on veut qu’il dise, par le silence. Il préconise une autre alternative, celle d’un silence plein, éloquent, prometteur et palingénésique. « En disant mal, en disant qu’en partie, en restant à côté, l’écriture du silence

beckettienne égale le silence, et elle révèle l’essentiel sans le nommer252 » ; cette

remarque sur la production écrite de Beckett vient corroborer ce que nous disions ci- dessus. Il est conscient que cela ne peut se faire qu’en mettant en scène le langage dans tous ses états, c’est-à-dire avec ses forces et ses faiblesses. Cette nouvelle tâche

249 Samuel Beckett, Poèmes, Paris, Minuit, 1978, p. 36. 250 A. de La Motte, Au-delà du mot, p. 190.

251 S. Beckett, Trois dialogues, Paris, Minuit, 1998, p. 14. 252 A. de La Motte, Au-delà du mot, p. 224.

s’impose plus que jamais, d’autant que les mots du langage habituel se montrent fragiles, aléatoires, non fiables et volatiles : « Chaque fois qu’on veut leur faire exprimer autre chose que des mots, ils s’alignent de façon à s’annuler

mutuellement253. » On peut penser qu’en mettant en accusation l’outil linguistique,

Beckett entend arrêter cette dérive ou ces imprécisions dues aux mots. Il se serait décidé à mettre en valeur le silence, un silence stratégique, car savamment élaboré. Grâce à son éloquence, ce silence vise à effacer ce langage stérile, impuissant, défaillant, imparfait et, au demeurant, déphasé et imprécis, comme l’indique Morvan

(« Tout langage est un écart de langage254»). Si l’on s’en tient à l’entendement de

Beckett, qu’il s’agisse du langage des mots, du corps, des images ou autre forme d’expression, il y aura toujours un important pan d’une réalité qui se montrera insaisissable. Dès qu’on décide de parler de quelque chose, il avoir en tête que l’on ne peut tout dire, car il subsistera toujours des silences, et ce malgré toute la volonté de dire qui habite l’individu. Attendu les déficiences et les carences de nos moyens d’expression, les choses ne seraient que partiellement, voire parcellairement abordés par le locuteur. Encore faut-il rappeler que le rapport de Beckett au langage et aux mots est ambivalent : il cherche à la fois à les adopter et à les bannir. Si certains personnages beckettiens trouvent de la saveur dans les mots qui pourraient étancher

leur « soif de labiales255 », en revanche d’autres trouvent que « dire ne se peut256 ».

Qu’il s’agisse de Textes pour rien ou de Cap au pire, nommer ou dire sont devenus des actes hors de portée de ses personnages. On y entendra successivement, et ce de manière sporadique :

- « Nommer, non, rien n’est nommable257».

- « Dire, non, rien n’est dicible258».

Il est bien clair que le personnage de Beckett se sent mal à l’aise et en péril avec les mots dont il se méfie. Il les soupçonne de pouvoir le trahir, le lâcher à tout moment ou signifier autre chose que sa véritable intention, car faisant seulement référence aux choses auxquelles ils essaient de se coller. Les personnages de Beckett

253 S. Beckett, Le Monde et le Pantalon, Paris, Minuit, 1989, p. 29. 254 S. Beckett, Molloy, Paris, Minuit, 1951, p. 158.

255 S. Beckett, Comment c’est, Paris, Minuit, 1961, p. 168. 256 S. Beckett, Cap au pire, Paris, Minuit, 1991, p. 38. 257 Id.

se montrent insatisfaits du langage et expriment toute la difficulté liée à dire, à trouver une bonne articulation ou à arriver à une bonne compréhension par les mots de ce langage. Dans la même veine, à travers une étude des pièces d’Ionesco (Massacre, Tueur sans gages) et d’Adamov (L’Aveu, Le Professeur Taranne), Jacques Le Marinel fait cet alarmant constat du « divorce entre l’individu et les

mots259 ». Désormais, le langage cesse d’aider ses usagers à nommer le réel, à signer

leur identité, à se comprendre, à comprendre ou à se faire comprendre. L’homme évoluerait dans un monde d’incertitude et de vacuité sonore. Les mots du langage ne souffrent pas uniquement que d’un manque de précision, ils manquent également de clarté. Il ne faut pas compter sur eux pour voir ses pensées traduites clairement et nettement : « Cette phrase n’est pas claire, elle ne dit pas ce que j’espérais260 », se plaint Molloy. Leur relation avec la réalité est fondée sur

l’arbitraire et le fluctuant. Rien ne semble fiable, stable, constant et sûr avec les mots du langage. S’accrocher ainsi aux mots, c’est encourir un risque énorme, celui de se retrouver dépossédé de tout.

Dans L’Innommable, le personnage éponyme déclare avoir peur du pouvoir négatif des mots. Ils pourraient lui faire du mal, et par conséquent il s’en méfie vraiment. Son aveu montre qu’il n’est pas suffisamment armé pour faire face à leur pouvoir de nuisance. Les mots pourraient vouloir signifier autre chose que ce qu’il entend leur faire dire. Sa méfiance est donc dans ces mots-rebelles, désobéissants et

aliénants. « J’ai peur, peur de ce que mes mots vont faire de moi261. » Alors, pour

résoudre ce problème, il décide de mettre l’accent sur la sonorité des mots et non sur ce qu’ils pourraient vouloir signifier à son grand dam. Il veut éviter à tout prix leur traîtrise qui se détecte par des significations personnellement non intentionnelles. Cette dénonciation de ces mots qui sont usés par un recours permanent, abusif et collectif marque la volonté du personnage beckettien d’en finir une bonne fois pour

toutes avec eux. Ces « vieux mots262», ce « charabia263», ces « mots confus264 » que

259 Jacques Le Marinel, La mise en question du langage dans le « nouveau théâtre », Lille, PU de

Lille, 1981, p.134.

260 S. Beckett, Molloy, p. 224.

261 S. Beckett, L’Innommable, Paris, Minuit, 1953, p. 27. 262 Ibid., p. 6.

263 S. Beckett, Textes pour rien, p. 125

les personnages de Beckett dénoncent, fustigent, constituent une preuve de leur dégoût des vocables employés depuis toujours et par tout le monde. Le ressassement verbal, comme l’explique Clov : « Toute la vie les mêmes questions, les mêmes

réponses265 »appauvrit les individus. Ces mots auraient perdu, à ses yeux, les doses de

signification dont ils étaient porteurs. Il les trouve usés ou galvaudés comme tel est le cas avec certains personnages de Pinter, par exemple Nicolas qui, dans One for the Road, n’hésite pas à parler d’un monde d’hommes civilisés (« You’re a civilised

man, so am I266 ») là où on ne peut voir que des pratiques sauvages et barbares :

« Why am I obsessed with eyes ? Am I obsessed with eyes? Possibly. Not my eyes. Other people’s eyes. The eyes of people who are brought to me here [in the interrogation room]. They’re so vulnerable267 ». Or, convient-il de souligner, le

personnage de Beckett a besoin des mots, car les faire résonner même vides de sens lui permet de lutter contre cette angoisse née de sa peur du vide et de son assimilation du silence à l’imminence de la mort. « Cet homme s’accroche à la parole, il parle pour s’entendre parler, il parle pour se prouver qu’il existe et il se sert des mots comme d’une arme pour repousser, ainsi, l’approche de la mort268. »

Pourtant, le manque de ressources verbales pour dire l’indicible ne désarme pas le personnage beckettien. Il ne cesse de se servir des mots même s’il reste convaincu qu’il n’arrivera jamais à bout de cet indicible. « Je ne peux parler de rien, et pourtant

je parle269. » Il en découle que parler même pour ne rien dire, ne rien signifier devient

un acte par lequel le personnage de Beckett brave ce silence qui le hante et qui le

menace d’extinction. Ces « paroles en l’air270 », ce discours creux qu’il nous fait

entendre constitue une sorte de passe-temps qui l’aide à reporter momentanément son esprit sur autre chose que sa situation d’homme condamné à la finitude ; la vie est trop courte, comme l'explique Pozzo, car « elles[les futures mamans] accouchent à

cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau271. » Ceci

vient corroborer une partie de la vision de Pinter du temps. Dans le scénario de The

265 Ibid., p. 147.

266 One for the Road, Plays 4, p. 223. 267 Ibid., p. 224.

268 A. de La Motte, Au-delà du mot, p. 208.

269S. Beckett, L’Innommable, Paris, Minuit, 1953, p. 196. 270 S. Beckett, Eleutheria, Paris, Minuit, 1995, p. 32.

Dreaming Child, l'expérience de Jack montre que le passé ne cesse de se dérober, que l'instant présent de s'écouler et que le futur reste toujours inaccessible. À l'image du destin éphémère de Jack, on peut revenir sur celui de tous les homme et la brièveté de l'existence en citant la bible : « Man that is born of a woman hath a short time to live and is full of misery. He cometh up and is cut down, like a flower. In the

midst of life we are in death272. » En revanche, quand des mots envahissent l’espace

et le temps, les hommes ne portent pas tout le fardeau temporel qui ne pèserait que quand aucune distraction verbale ne se trouve à portée des lèvres. Dans la pièce de S. Beckett, Eleutheria, le vitrier admet que ce qui l’intéresse quand il s’exprime ce n’est nullement de produire du sens : (« Au fond, il n’y a que les mots qui m’intéressent. Je suis un poète qui préfère s’ignorer »), mais plutôt de jouer avec le langage, tel que l'illustre l'échange avec son fils et apprenti, Michel :

Michel. L’ampoule, monsieur.

Vitrier. Eh bien, mets-la ! Quand elle vous a dit… Michel.Où qu’il faut la mettre ! Mais dans le… dans le…dans le truc, quoi, pas dans ton derrière, dans le…dans la DOUILLE, voilà, mets-la dans la douille,

et grouille-toi, andouille […]273.

La production des sonorités en /uj/ est ce qui procure un grand plaisir à ce vieil artisan, à l'instant où il s'adresse à son fils. Or, le poids de l’attente, celle de la mort ne devient surtout insupportable que quand l’être reste dans la solitude, dans l’inaction aussi bien physique que verbale. Le sentiment et la preuve d’existence se trouveraient dans les échanges verbaux, même les moins fructueux, car ils permettent de combler le vide que le silence métaphysique, existentiel qui guette ces êtres pourrait créer après toute démission verbale : « Comme le temps passe quand on

s’amuse274 ! », s’exclame Vladimir. Ainsi en va-t-il presque dans The Birthday Party,

car au moment de se prendre provisoirement congé, Stanley et Petey semblent s’accorder sur un échange verbal ludique qui consiste à dégrader la dernière syllabe de l’adverbe anglais « later » et à la répéter abusivement. Par cette écholalie, ils chercheraient à différer ce silence dont la menace se fait sentir:

Petey: No, never mind.

272The Dreaming Child, Screenplays 3, p.541.

273 S. Beckett, Eleutheria, p.85.

See you later. Ta-ta, Stan. Stanley : Ta. Ta.275.

À l’image d’un autre personnage de Pinter, en l’occurrence Davies dans The Caretaker, qui ne tarit jamais de mots ni du bruissement incessant, ceux de Beckett, tels que ces deux vagabonds dans En attendant Godot ou Eleutheria, ne consentent non plus l’effort à rompre avec les mots face au silence existentiel, à ces voix d’un autre monde qui menacent le leur. D’un côté, on entend un vieux clochard s’obstiner à perpétrer du bruit :

Aston: You’re making noises.

Davies: What do you expect me to do, stop breathing276?

Et de l’autre, on voit quelqu’un qui est conscient de l’inanité de ses paroles mais qui, tout de même, s’entête et persiste dans le recours aux mots, comme le fait Molloy :

« Je ne me taisais pas, voilà, quoi que je dise je ne me taisais pas277. » Puisque

l’existence est une étape qui peut être parfois douloureuse, difficile ou insupportable, The Dumb Waiter est une mise en scène de l’expérience que les êtres humains subissent sur terre. La pièce montre que vivre, c’est apprendre à faire face d’abord au temps qui peut paraître long et ennuyeux, surtout quand nous sommes réduits à l’immobilité et à l’inactivité. En ce sens, notons que toutes les plaintes de Gus s’expliquent en partie par le fait qu’il n’est presque jamais occupé. Le plus souvent, il semble méconnaître que le seul moyen d’occuper son temps, c’est-à-dire de fuir l’ennui, c’est d’éviter en toute circonstance l’oisiveté, comme le souligne Ben : « I’ve got my woodwork. I’ve got my model boats. Have you ever seen me idle? I

never idle. I know how to occupy my time, to its best advantage [...]278. » On le voit,

en trouvant quelque chose à faire, l’être se libère momentanément de ce qui lui paraît devenir parfois dur et insupportable. Toujours est-il que nous sommes fondés à croire qu’à l’instar de Beckett dans En attendant Godot, l’attente à laquelle Pinter fait référence dans The Dumb Waiter n’est rien d’autre que l’intervalle dans lequel s’inscrit la vie tout être humain et qui est compris entre la naissance et la mort. Cette période de temps n’est pas toujours facile, car l’homme se doit de relever bien des défis qui ont pour nom : la foi, le langage, la liberté, la sécurité, etc. Vivre revient à

275 The Birthday Party, Plays 1, p. 10.