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Les stratégies de communication: entre clameur et

Chapitre III : Silence, métaphysique et science

III.3. Les stratégies de communication: entre clameur et

Si beaucoup de silence effraie, beaucoup de bruit se révèle également insupportable. L'absence de tout contact, de la moindre interaction verbale met l'individu dans une situation de stupeur et d'interrogation. Le défi de solitude et d'isolement secoue l'être et le force à se tourner vers l'extérieur. Cependant, toute personne soumise à une surabondance de bruit s'indigne et se révolte face à ce tapage dont ses sens auditifs réclament la fin. Quand les passions se déchaînent, il ne faut pas s’attendre au calme, car le comportement des individus qui s’y retrouvent est hostile au silence. Il ne faut pas s’étonner de ce que le silence n'y règne pas, d’autant plus que la foule est généralement source de productions sonores de toutes sortes, allant du plus faible au plus grand bruit. Pendant que des mots fusent de part et d’autre, des objets sont agités, créant ainsi une situation où le bruit fait sa loi. Les gens se parlent en pareils cas, généralement sans préparation préalable, des propos sont émis à tort et à travers. Le sens n'est plus la motivation première qui est derrière les paroles que l’on entend indistinctement dans ce décor sonore presque indescriptible. Toutefois, il convient de souligner que le silence n’est pas éradiqué, puisqu’à cet instant précis certaines gens ne reçoivent pas distinctement ce qui se dit autour d'eux. D’autres font semblant de se parler franchement, alors qu’en réalité ils ne se disent rien. En fait, ce qui se passe, c’est qu’au fond, chacun se méfie de l’autre tout en jugeant, pendant ce temps, que ce n’est pas le bon endroit pour se dire certaines choses, surtout des sujets sensibles. Malgré tout le bruit auquel nous assistons, des silences existent et persistent. En tous les cas, pour avoir une meilleure compréhension du silence sur l’espace social, il va falloir l’inscrire dans le champ lexical de la discrétion et du secret. Être en mesure de garder un secret est un des critères qui permettent à un individu de se voir confier des réalités importantes et sérieuses. Pendant que ces réalités circulent dans un cercle fermé d’un groupe d’individus, un autre groupe reste dans l’ignorance de ces secrets qui lui sont inaccessibles. Et ceux qui risqueraient de deviner ce qui leur est dissimulé ne tiendront qu’un discours de silence, car sous-tendu par des expressions telles que « Je pense que… », « À mon avis… », « Je crois savoir que… », « Il y aurait…». Ce discours de supputations, puisqu’étant uniquement fondé sur des bribes superficielles

et des présomptions, est plus du bavardage, des mots dans le vent qu’un savoir : il ne trahit guère que l'ignorance. Un bavardage qui cherche à s’inviter dans ce silence plein d’informations qui l’exclut, qui le tient à distance et qui le maintient dans les

ténèbres : « Le bavardage s’oppose à une certaine angoisse342. » Pour comprendre

cette volonté de circonscrire le discours, c’est-à-dire de cette décision qui consiste à priver un certain groupe d’individus des réalités et des idées, considérons cette notion

de « new club343 » dans Party Time. Dans leur esprit, les différents membres de ce

club entendent vivre et partager les mêmes valeurs de l’intérieur et isoler l’extérieur. Ces jeunes s’identifient à une idéologie et à un choix de vie, desquels ils entendent exclure le reste de la société qui véhicule d'autres valeurs qu’ils ne partagent pas. Au cours de ces rencontres, des silences se font ; tout ce qui n’est pas convenu pour une discussion est vite repoussé ou réprouvé, comme nous pouvons le noter ici à travers les précisions de Terry à Dusty : « It’s not up for discussion, that it’s not on anyone’s

agenda344 ». Tout ce qui se dit ou se fait à l’intérieur doit y rester ; aucun mot ne doit

filtrer, tout est censé se limiter dans ce périmètre qui leur est commun et, où ils se retrouvent. Et en nous référant à Betrayal, nous pouvons voir alors que la satisfaction affichée par Jerry vient du fait qu’il n’a pas de téléphone dans cet appartement où il vient passer des moments d’intimité avec Emma. Loin du bruit, de toute indiscrétion visuelle et auditive, ils ont réussi à commettre des infidélités pendant cinq bonnes années.

Emma: Do you like it? Our home?

Jerry: It’s marvellous not to have a telephone345.

À ce propos, nous serions tentés d’avancer que si par le passé, les apartés étaient plus valables au sein d’un groupe, aujourd’hui, ils se déroulent entre une personne qui est physiquement présente à un endroit et une autre qui ne l’est que par sa voix. Les échanges téléphoniques sont des apartés dits modernes dans la mesure où deux individus, au minimum, peuvent se parler à des kilomètres, et ce parmi leur environnement humain immédiat. De par leur définition, ces micro-discussions sont toujours incises dans de vastes programmes verbaux auxquels les « télé-

342 Pierre Van Den Heuvel, Parole, Mot, Silence, p. 61. 343Party Time, Plays 4, p. 294.

344Party Time, Plays 4, p. 296.

communicants » se plaisent à ne pas faire face. En procédant de la sorte, c’est-à-dire en s’aménageant un espace d’échanges privés, ils se coupent du reste du groupe et créent délibérément des silences entre eux. Par exemple, dans The Last Tycoon, Rodriguez ne saura jamais avec précision ce que Didi échange avec son correspondant téléphonique. Même s’il peut entendre les répliques de celle-là, il ne pourra jamais comprendre ce que dit celui-ci. Il est présent au même endroit que Didi, mais il est exclu de sa réalité verbale. C'est dire qu'il a beau entendre des bribes de ce qui se dit autour de lui, Rodriguez n'en saisira jamais l'essentiel et l'intégralité du contenu de l'échange auquel il assiste. Il n'aura qu'une compréhension imprécise et parcellaire de ce que Didi échange avec son correspondant au téléphone.