• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : La perception de la réalité du bruit

I.5. La mise en échec de l’acte verbal

La question du silence de la contrainte montre l’absence de tout pouvoir de disposer des mots ou de s’en servir librement. Un locuteur potentiel est contraint à se taire ou à taire pour des raisons indépendantes de sa volonté. Dans cette optique, au milieu de la clameur dans The Homecoming, pour éviter de révéler l’identité de la personne qui est avec lui, Lenny trouve une astuce originale et efficace. Au lieu de répondre aux questions de son père, il saisit l’opportunité de réorienter l’échange. En lui posant, à son tour, une question qui paraît à la fois gênante et délicate, Lenny cherche à faire taire la curiosité de son père : « I’ ll tell what, Dad, since you’re in the

106Jean Seidengart, Dieu, l’univers et la sphère infinie : penser l’infinité cosmique à l’aube de la

mood for a bit of a…. chat, I’ll ask you a question. It’s a question I’ve been meaning to ask you for some time. That night… you know…. The night you got me… that

night with Mum, what was it like? Eh107? » Ce qui motive la question de Lenny est

loin de correspondre au souci d’obtenir une quelconque réponse. Sa seule motivation est de freiner le désir de Max d’en savoir plus sur les raisons qui expliquent le tapage nocturne. Il veut en finir verbalement avec lui. Comme nous pouvons le constater sa méthode a porté ses fruits, puisque son père finit par bouder : « Max turns and walks

up the stairs108. » Comme l’on est supposé s’en apercevoir ce silence forcé peut être

d’ordre éthique. L’individu se résout au silence, car la morale lui interdit de réagir par les mots. Alors que du point de vue épistémo-linguistique, quand les mots du langage ne suffisent plus pour permettre de dire quoi que ce soit ou lorsque ce qui est à dire dépasse l’horizon du savoir, c’est alors le silence qui advient. Se limiter à cette donnée, ce serait ignorer la part du silence qu’imposent certaines idéologies qui assimilent la liberté d’expression à la menace ou à de l’indiscipline. En effet, dans un contexte de soupçon général, les gens se surveillent, se guettent et s'épient. Il suffit de remarquer quelques mouvements et gestes pour se décider sans délai. Et si les réunions sont surveillées, les communications téléphoniques le sont au même titre.

Toute tentative d'entrer en contact verbal avec quelqu'un d'autre soit pour l'informer, soit pour s'informer est vite mise en échec. Nous notons un tel incident dans le film, The Quiller Memorandum où Quiller, cet agent secret, a été tout de suite criblé de balles : « Jones inserts a coin, lifts receiver. He begins to dial. He dials one figure and a second figure. A sudden report. Window smashes. Glass falls in. Jones hits interior of box with great force. He falls in a heap, his head cracking against telephone109. » Ce que montre ce passage, ce n'est pas uniquement

l’impossibilité de disposer de la parole librement, mais surtout le refus de transmission de renseignements, voire plus. Car, contraindre quelqu'un au silence définitif, ce n'est pas seulement ensevelir un être, mais faire avant tout disparaître des savoirs et des connaissances. Dans ces circonstances particulières, rien ne pourra combler le vide créé par l'absence physique et intellectuelle de Jones.

107 The Homecoming, Plays 3, p. 44. 108 Ibid., p. 45.

Dans la pièce de Pinter, Precisely, émerge un monde qui est celui de la recherche où pour des intérêts divergents, chaque groupe de chercheurs s’agrippe à ses résultats et rejette en bloc ce que vient de l’extérieur. Soit dit en passant, cette opposition devient beaucoup plus farouche, s’il y a des enjeux de taille tels qu’honneur, prestige et privilèges :

Stephen: That’s what we’re paid for. Roger: Paid a bloody lot too110.

Étant donné que d’importantes sommes d’argent leur ont été allouées, ces deux chercheurs se montrent sans compromis sur leurs résultats. Stephen et Roger sont prêts à en découdre avec toute personne qui serait tentée de soutenir le contraire de ce qu’ils avancent comme données chiffrées. Dans leur extrémisme, ils sont si gagnés par la haine et la violence qu’ils ne peuvent résister à l’idée de faire éliminer physiquement ceux qu’ils désignent comme ennemis :

Stephen: I’m going to recommend that they be hung, drawn and quartered. I want to see the colour of their entrails

Roger: Same colour as the Red Flag, Old boy111.

Ne pas se montrer prêt à admettre la contradiction ou à la supporter, c’est chercher, par tous les moyens, à maintenir toute voix discordante dans le silence. L’esprit de contradiction ou l’esprit critique est ce qui ouvre la voie à des voix. En tout cas, ce que nous voyons poindre à ce niveau, c’est que quand on a le soutien du pouvoir et du peuple, on a beau persister dans l’erreur, c’est cette fausse réalité qui prévaudra là où la vérité détenue par la minorité n’a aucune considération : « You see, what makes this whole barriers doubly disgusting is that the citizens of the country are behind us. They’re ready to go with us on the twenty million basis. They’re perfectly happy! And what are they faced with from these bastards. A

deliberate attempt to subvert and undermine their security. And their faith112. »

110 Precisely, Plays 4, p. 216. 111 Precisely, Plays 4, p. 218. 112Ibid., p. 218-219.