1. L’obligation préalable de considérer le recours aux modes de PRD avant de
1.1. L’exécution de l’obligation
1.1.2. La vocation informative de l’obligation
L’ex-ministre de la justice Jean-Marc Fournier précise que le terme « considérer »
signifie « soupeser, envisager, proposer à son client, se dire qu'il y a d'autres
mécanismes »
370. L’obligation de considérer consisterait donc principalement à
renseigner les parties au sujet de l’existence des modes de PRD et à envisager
avec elles la possibilité d’y recourir
371. Selon l’Observatoire du droit à la justice,
« [c]e devoir implique de la part de l'avocat qu'il détermine avec son client les
avantages et les inconvénients d’utiliser l’un ou l’autre des modes alternatifs de
règlement compte tenu de la nature du différend »
372. Le recours aux modes de
PRD peut ainsi être validement considéré pendant quelques minutes
373.
367 Le Larousse, 2014, sub verbo « inciter », 2014, en ligne : Larousse.fr <http://www.larousse.fr/dictionnaires> [consulté
le 18 octobre 2014].
368 Sur ce point, le Barreau du Québec soutient que la considération des modes de PRD avant de s’adresser aux tribunaux
« doit refléter une incitation » : Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 11. La détermination de la nature « incitative » ou « obligatoire » de la considération à l’égard des modes de PRD est importante, car elle permet d’identifier certains des effets possibles de ce « devoir ». Le Protecteur du citoyen mentionne à cet égard que « [d]ans le cas où le devoir « de considérer » les modes privés de règlement de différends doit être entendu par le citoyen comme étant un incitatif important qui confirme la vision pédagogique du législateur, plutôt qu’une source impérative d’obligation, une partie ne pourrait alors demander aux tribunaux de sanctionner l’inexécution de ce devoir par la partie requérante » : Protecteur du citoyen, Mémoire PL, supra note 28 à la p 6.
369 Voir Commission des droits de la personne, Mémoire PL, supra note 122 à la p 14. Abondant dans ce sens, le Protecteur
du citoyen précise qu’« [e]n plus d’être sujette à interprétation, la confusion qu’entraîne la formulation actuelle ne permet pas au citoyen de circonscrire concrètement les actes qu’il doit poser afin de respecter la règle énoncée. Par conséquent, il lui est impossible de prévoir la sphère de risque ou la sanction à laquelle il s’expose en cas de non-conformité à la règle » : Protecteur du citoyen, Mémoire PL, supra note 28 à la p 7.
370 Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 14 (Jean-Marc Fournier). L’ex-ministre ajoute que
« [c]onsidérer, ce n'est pas entrer dans le jeu de la médiation, c'est se dire, un : Cela existe, est-ce que tu es ouvert à ça ?, deux : Quelles en seraient les conséquences ? Quelle est la conséquence de la médiation, qu'est-ce qu'on va y envisager ? Quelle est la conséquence du processus plus traditionnel, qu'est-ce qu'on va y rechercher ? » : Assemblée nationale,
Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 55 (Jean-Marc Fournier). En dépit des explications fournies par l’ex-ministre,
le Protecteur du citoyen estime que le terme « considérer » demeure beaucoup trop vague et imprécis : Protecteur du citoyen, Mémoire PL, supra note 28 à la p 6.
371 Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 11 (Jean-Marc Fournier). Le devoir de considération
devrait ainsi permettre d’« explorer le niveau de participation désiré par le client […] » : Assemblée nationale, Journal, 19 janvier 2012, supra note 86 à la p 37 (Jean-François Roberge).
372 Observatoire du droit à la justice, Mémoire PL, supra note 295 à la p 6. Voir aussi Observatoire du droit à la justice,
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Afin de respecter l’obligation de considérer les modes de PRD avant de s’adresser
aux tribunaux, l’ex-ministre de la justice Bertrand St-Arnaud précise que l’avocat
pourrait s’adresser à son client en ces mots : « vous savez qu'avant d'intenter une
poursuite qui pourrait vous coûter pas mal de sous, bien avez-vous pensé de plutôt
faire affaire avec un médiateur, ou un conciliateur »
374? L’avocat pourrait
également s’exprimer de la manière suivante :
[s]avez-vous qu'au lieu de la procédure classique du XXe siècle il existe des
nouvelles façons de régler les différends ? Et, par exemple, il y a moyen de faire
appel à un médiateur. Voulez-vous que j'approche l'autre partie pour qu'on fasse
appel à ces façons de régler notre différend, votre différend, plutôt que d'aller dans
la procédure classique d'intenter, demain matin, une procédure devant les
tribunaux
375?
L’obligation de considérer les modes de PRD, prévue au troisième alinéa de
l’article 1 NCPC, s’accomplirait donc en envisageant le recours à ces procédures
et en renseignant adéquatement le justiciable de leurs avantages et inconvénients,
de manière à ce qu’il « soit informé de tous les choix qui s'offrent à lui et de leurs
conséquences »
376. Le Protecteur du citoyen mentionne à ce propos qu’il est en
effet « indispensable que les citoyens soient mieux informés sur les recours non
judiciaires pouvant s’offrir à eux »
377.
L’information au sujet des différentes solutions offertes et des ressources
disponibles pour prévenir ou régler un différend peut ainsi contribuer à améliorer
l’accessibilité de la justice, notamment sous l’angle de la dimension
informationnelle. En effet, à l’heure actuelle, bien des gens ne règlent tout
simplement pas leurs conflits parce qu’ils ignorent ce qui peut être fait et ne savent
civile », 2011 aux pp 20-21, en ligne : Assemblée nationale du Québec <http://www.assnat.qc.ca> [Observatoire du droit à la
justice, Mémoire APL].
373 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 18 (Bertrand St-Arnaud). 374 Ibid à la p 17.
375 Ibid à la p 18. Le Barreau du Québec estime toutefois qu’« il existe de nombreux cas où l’obligation de considérer la
négociation, la médiation ou l’arbitrage avant de s’adresser aux tribunaux serait inappropriée, voire injuste » : Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 10. Le Barreau précise à cet égard que les personnes vulnérables sur le plan psychologique ou financier de même que les victimes d’actes criminels pourraient avoir besoin de l’intervention des tribunaux pour rétablir l’égalité entre toutes les parties et leur permettre d’accéder à la justice : ibid.
376 Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 52 (Linda Bérubé). Cela signifie, par exemple, que si
le justiciable se montrait intéressé envers la médiation, l’avocat devrait alors indiquer les ressources qui existent et préciser les médiateurs qui sont accrédités. À ce sujet, voir Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 17 (Bertrand St-Arnaud).
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pas où trouver de l’aide
378. Or, des conflits non réglés peuvent s’aggraver et
entraîner des difficultés accrues
379. Dans ces situations, l’accessibilité de
l’information est essentielle, car elle fournit aux personnes des renseignements
utiles qui peuvent les aider à prendre en charge rapidement la résolution de leurs
conflits, avant que la situation ne se détériore
380. À cet égard, le respect du devoir
de considérer les modes de PRD devrait permettre aux justiciables d’avoir une
meilleure vue d’ensemble de l’offre de justice et d’être ainsi plus à même de
choisir, en amont, la solution qui convient le mieux à leurs besoins spécifiques.
Ce devoir de considération, qui vise à « nourrir chez les personnes le désir de
s'entendre »
381, est dès lors susceptible d’« entraîner un changement important
dans la fonction des juristes, qui devront désormais présenter à leurs clients un
ensemble de possibilités pour la résolution des conflits »
382. Cette approche
informative du devoir de considérer, qui s’inscrit dans une perspective instructive et
pédagogique
383, s’harmonise ainsi avec l’article 42 du nouveau Code de
déontologie des avocats
384, qui prescrit que « [t]out au cours du mandat, l'avocat
378 Currie, supra note 91 à la p 95. À ce propos, l’auteur précise que les parties peuvent obtenir de l’information et des
conseils auprès de tiers, notamment des membres de la famille, amis, voisins, collègues de travail, avocats, médiateurs, professeurs, organismes gouvernementaux, syndicats, groupes de soutien et organismes communautaires : ibid à la p 60, n 180.
379 Ibid à la p 96.
380 La professeure Sylvette Guillemard estime qu’il serait d’ailleurs important de prévoir une forme de publicité
gouvernementale destinée à informer les citoyens sur l’existence des modes de PRD et à les renseigner sur le fonctionnement des diverses méthodes qui permettent de prévenir et de régler des différends à l’extérieur des tribunaux : Assemblée nationale, Journal, 2 février 2012, supra note 168 à la p 13 (Sylvette Guillemard). Voir aussi Guillemard,
Mémoire PL, supra note 97 à la p 22, n 38. Abondant dans ce sens, Pierre Noreau indique : « [o]n est dus, je pense, pour
une campagne publique, une campagne communicationnelle claire sur qu'est-ce que ça signifie, d'aller à la cour, puis de quelle façon on peut l'éviter » : Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 20 (Pierre Noreau). Voir aussi Assemblée nationale, Journal, 10 septembre 2013, supra note 84 à la p 51 (Pierre Paul Martin) ; Confédération des organismes familiaux, Mémoire PL, supra note 122 à la p 4. Dans cet ordre d’idées, le Protecteur du citoyen propose qu’une campagne d’information visant à renseigner les citoyens au sujet des modes de PRD soit menée par le ministère de la Justice, en collaboration avec les greffes des palais de justice et les Centre de justice de proximité : Protecteur du citoyen,
Mémoire PL, supra note 28 aux pp 8-9. Afin de permettre un véritable changement de culture, le devoir d’informer les
citoyens au sujet des modes de PRD devrait effectivement s’étendre au-delà du devoir de considérer prévu au NCPC et se poursuivre dans un cadre plus large. À ce sujet, la ministre Vallée indique : « je crois que le gouvernement, autant que les acteurs de notre système de justice, avons un devoir d’information auprès de nos concitoyens pour promouvoir les modes appropriés de règlement des différends. Cette volonté de promotion devrait d’ailleurs être au cœur du prochain plan
stratégique du ministère de la Justice avec la collaboration de nos partenaires : Stéphanie Vallée, allocution lors de la 7e édition de la Table ronde sur la justice participative, présentée au Grand Salon du Club Saint-James de Montréal,
13 novembre 2014, propos transcris par Johanne Landry, « 7e édition de la Table ronde sur la justice participative :
Signature de la Déclaration de principe sur la justice participative », Journal du Barreau (décembre 2014, janvier 2015) 17 en ligne : Barreau du Québec <http://www.barreau.qc.ca> [Vallée, « Justice »].
381 Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 53 (Linda Bérubé).
382 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 12 (Bertrand St-Arnaud). À ce sujet, l’ex-bâtonnier du
Québec, Louis Masson, indique que « le fait de considérer les modes alternatifs de résolution des litiges fait partie
maintenant des mœurs de l'avocat moderne » [nos italiques] : Assemblée nationale, Journal, 2 février 2012, supra note 168
à la p 25 (Louis Masson).
383 Voir Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 18 (Bertrand St-Arnaud). 384 Code de déontologie des avocats, RLRQ c B-1, r 3.