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2. Le phénomène du « décrochage judiciaire » : un symptôme révélateur de la

2.2. Les causes du phénomène

2.2.2. L’hypothèse du manque d’accès à la justice

Tel que nous l’avons évoqué précédemment, le manque d’accès à la justice

constitue l’une des principales hypothèses avancées pour expliquer la diminution

du nombre de dossiers ouverts devant les institutions judiciaires

83

. À ce propos,

l’ex-porte-parole de l’opposition officielle en matière de justice, Véronique Hivon,

76 Voir Comité de révision, supra note 45 à la p 11 ; Lafond, Accès, supra note 12 à la p 45 ; Winkler, supra note 45 à la p 3. 77 Voir Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1982-1983, Québec, 1983 à la p 49. L’augmentation du seuil de

compétence monétaire d’une cour peut toutefois entraîner une diminution équivalente du nombre de dossiers ouverts devant d’autres tribunaux. À titre d’exemple, le ministère de la Justice estime que l’augmentation du seuil monétaire de compétence de la Cour provinciale, qui est passé de 6 000$ à 10 000$ le 1er avril 1983, pourrait expliquer la diminution de 23,6% du

nombre de dossiers ouverts devant la Cour supérieure en matière civile entre 1982 et 1983 : Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1983-1984, Québec, 1984 à la p 47.

78 À ce propos, le ministère de la Justice fournit l’exemple de la mise en œuvre de la politique de judiciarisation systématique

en matière de sécurité routière qui entraîna, au début des années 1980, une hausse marquée du nombre de dossiers ouverts en cette matière : Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1982-1983, supra note 77 à la p 50.

79 Par exemple, le ministère de la Justice estime que l’augmentation de 8,4% du nombre de dossiers ouverts à la Cour

supérieure en matière familiale de 1982 à 1983 est attribuable à l’introduction de la nouvelle procédure de demande conjointe en séparation de corps, cette procédure étant susceptible de rendre l’exercice de ce recours « plus facile et plus humain » : Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1983-1984, supra note 77 à la p 47.

80 À cet égard, il est à noter qu’une mauvaise conjoncture économique est susceptible d’augmenter le nombre de dossiers

ouverts en matière de faillite tandis qu’une reprise économique tend à diminuer ce nombre : Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1982-1983, supra note 77 à la p 49.

81 À titre d’exemple, le ministère de la Justice mentionne que l’adoption de la Charte de la langue française, RLRQ 1977,

c C-11 a entraîné une hausse temporaire du nombre de dossiers ouverts en matière de raison sociale : Ministère de la justice du Québec, Rapport annuel 1982-1983, supra note 77 à la p 50.

82 À ce sujet, en 1979, l’introduction de la codification administrative « 04 » désignant la Cour supérieure, Chambre de la

famille, a entraîné une diminution du nombre de dossiers ouverts devant la Cour supérieure, Chambre civile (codification administrative « 05 »), puisque les dossiers en matières familiales ont alors été transférés à la Chambre de la famille. Voir Comité de révision, supra note 45, ann 2.

83 Voir Ministère de la Justice, Évaluation, supra note 45 à la p 8 ; Winkler, supra note 45 à la p 3. Voir aussi O’Barr, supra

note 45 à la p 159 ; Comité de révision, supra note 45 à la p 11. Puisque cette hypothèse n’a pas encore été vérifiée scientifiquement, elle doit cependant être considérée avec circonspection. Au sujet de l’importance de faire preuve de prudence et de retenue dans l’analyse des facteurs susceptibles d’expliquer la baisse de fréquentation des tribunaux civils, voir notamment Lafond, Accès, supra note 12 aux pp 45-47.

18

signale que la désaffection du système judiciaire par les justiciables québécois

peut en effet s’expliquer par les coûts et les délais qui résultent des procédures

judiciaires, en particulier les interrogatoires préalables à l’instruction et les

expertises

84

. À cet égard, l’ex-ministre de la justice Jean-Marc Fournier mentionne

que ces procédures sont effectivement « coûteuses en temps, en énergie et en

argent »

85

. À titre d’illustration, le ministère de la Justice du Québec souligne

qu’une seule journée d’interrogatoire préalable à l’instruction peut « facilement »

coûter plus de 3 000$ aux parties

86

.

84 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 39e lég, 2e sess, vol 42, n° 62

(1er février 2012) à la p 28 (Véronique Hivon) [Assemblée nationale, Journal, 1er février 2012]. À ce sujet, elle précise ce qui

suit : « avoir des expertises qui s'opposent, ça peut entraîner, dans beaucoup de cas, des frais importants, des coûts pour la justice significatifs et qui sont un frein à l'accès à la justice » : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la

Commission des institutions, 39e lég, 2e sess, vol 42, n° 57 (17 janvier 2012) à la p 19 (Véronique Hivon) [Assemblée

nationale, Journal, 17 janvier 2012]. Dans le même ordre d’idées, l’ex-ministre de la justice Bertrand St-Arnaud signale que « les frais d'expertise et la durée des procès sont les deux principaux obstacles associés à l'accès à la justice civile » : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 40e lég, 1re sess, vol 43, n° 69

(10 septembre 2013) à la p 2 (Bertrand St-Arnaud) [Assemblée nationale, Journal, 10 septembre 2013]. En commission parlementaire, l’ex-ministre de la justice Jean-Marc-Fournier a également fait remarqué qu’« [i]l est assez documenté qu'au niveau des expertises cela devient un irritant, un empêchement même à exercer des recours, et une des considérations que nous avons avec un avant-projet de loi, un nouveau code de procédure civile, c'est de répondre justement à ce décrochage

judiciaire et d'essayer de trouver les avenues pour y arriver » [nos italiques] : Assemblée nationale, Journal, 17 janvier 2012, supra note 84 à la p 15 (Jean-Marc Fournier).

85 Ibid à la p 2.

86 Ministère de la Justice, Évaluation, supra note 45 à la p 39. Le rapport précise en outre que la transcription des

interrogatoires hors cours est « rarement produite » : ibid. À cet égard, le Code de procédure civile prévoit en effet que « [l]a partie qui a procédé à un interrogatoire en vertu des articles 397 ou 398 peut introduire en preuve l'ensemble ou des extraits

seulement des dépositions ainsi recueillies » [nos italiques] : art 398.1, al 1 Cpc. Le deuxième alinéa de l’article 221 de

l’avant-projet de loi instituant le NCPC, 2ᵉ sess, 39ᵉ lég, Québec, 2011, modifiait toutefois l’art 398.1, al 1 Cpc en indiquant que chacune des parties pourrait dorénavant produire, en tout ou en partie, la déposition recueillie. Aux termes des consultations publiques, le législateur n’a cependant pas repris cette proposition dans le cadre de la rédaction du projet de loi 28, en maintenant la règle prévalent à l’article 398.1 Cpc. À ce sujet, voir notamment Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 1 (André Bois) ; ibid à la p 9 (Marc Gagnon) ; Assemblée nationale, Journal, 1er février

2012, supra note 84 à la p 28 (Joséane Chrétien) ; Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des

institutions, 40e lég, 1re sess, vol 43, n° 71 (13 septembre 2013) à la p 3 (Jocelyn Verdon) [Assemblée nationale, Journal,

13 septembre 2013] ; Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 45 (Jean-François Longtin) ; Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 39e lég, 2e sess, vol 42, n° 59

(19 janvier 2012) à la p 45 (Jean-Pierre Ménard) [Assemblée nationale, Journal, 19 janvier 2012] ; ibid à la p 45 (Jean-Marc Fournier) ; Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 43 (André Boudreau) ; Assemblée nationale,

Journal, 11 septembre 2013, supra note 28 à la p 16 (André Boudreau). Le deuxième alinéa de l’article 227 NCPC prévoit

donc que « [l]a déposition fait partie du dossier des parties et celle qui a procédé à l'interrogatoire peut soit en produire l'ensemble ou des extraits à titre de preuve soit ne pas la produire ». Selon l’avocat André Bois, il n’était effectivement pas nécessaire de modifier l’article 398.1 Cpc, étant donné que la preuve des coûts élevés des interrogatoires préalables à l’instruction demeure « purement anecdotique » : Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 2 (André Bois). En dépit du manque de données scientifiques à ce sujet, le juge Yves-Marie Morissette fait néanmoins remarquer que les interrogatoires préalables à l’instruction, qui trouvent leur origine aux États-Unis, n’ont jamais été intégrés au droit anglais en raison précisément des coûts et des délais parfois considérables qu’ils entraînent : Yves-Marie Morissette, « Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions » (2009) 50 C de D 381 à la p 390. Dans ce contexte, afin de réduire les barrières économiques qui découlent apparemment des interrogatoires préalables et des expertises, l’article 18 NCPC précise expressément que le principe de proportionnalité s’applique dorénavant aux « moyens de preuve » choisis par les parties et aux « démarches » qu’elles entreprennent. À ce sujet, voir Luc Chamberland, Le nouveau Code de procédure civile commenté, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 à la p 11 [Chamberland, Code]. L’article 4.2 Cpc a en effet une portée plus restreinte, puisqu’il prévoit que le principe de proportionnalité ne vise que les « actes de procédure ». Les juges de la Cour d’appel du Québec qui ont été consultés par le Comité d’évaluation de la réforme de la procédure civile, adoptée en 2002, avaient d’ailleurs mentionné que le libellé de l’article 4.2 Cpc pouvait ainsi laisser croire que la règle de la proportionnalité ne visait que les actes de procédure écrite et qu’il fallait dès lors que le législateur intervienne afin de préciser que les moyens de preuve étaient également soumis à l’application de cette règle. Voir Ministère de la Justice, Évaluation, supra note 45 à la p 59. L’article 18 NCPC répond ainsi à cette préoccupation, dans une perspective d’efficacité et d’accessibilité de la justice civile.

19

Dans le même ordre d’idées, l’ex-porte-parole de l’opposition officielle en matière

de justice, Gilles Ouimet, estime que plusieurs citoyens délaissent ainsi les

tribunaux parce qu’ils n’ont ni les ressources financières requises ni le temps

et l’énergie nécessaires pour faire valoir leurs droits et pour « affronter le système

de justice »

87

. En raison de ces contraintes économiques, temporelles

et psychologiques, bon nombre de citoyens abandonneraient en effet leurs recours

et renonceraient ainsi à l’exercice de leurs droits

88

.

Le phénomène du « décrochage judiciaire » pourrait aussi être imputable à la

diminution de la confiance des justiciables à l’égard du système judiciaire

89

.

Plusieurs études démontrent en effet que la confiance des justiciables québécois

et canadiens envers les institutions judiciaires est en baisse

90

. Selon l’Association

du Barreau canadien, cette diminution de la confiance de la population envers le

système judiciaire témoignerait ainsi d’une perception selon laquelle la justice est

inaccessible et inéquitable

91

.

87 Assemblée nationale, Journal, 24 septembre 2013, supra note 42 à la p 4510 (Gilles Ouimet).

88 Assemblée nationale, Journal, 18 janvier 2012, supra note 34 à la p 42 (Jean-Marc Fournier). Voir aussi Comité de

révision, supra note 45 aux pp 10-11 ; Forget, « Affaire », supra note 44 à la p 40 ; Lafond, Accès, supra note 12 à la p 33 ; Robert Pidgeon, « La gestion d’instance », allocution du juge en chef associé de la Cour supérieure de Québec, division de Québec, 2 octobre 2009 à la p 2 ; Hubert Reid, « Le justiciable est-il toujours au centre des réformes de la justice civile ? » dans Pierre Noreau, dir, Révolutionner la justice : constats, mutations et perspectives, Les journées Maximilien-Caron 2009, Montréal, Thémis, 2010, 45 à la p 49. L’Association du Barreau canadien estime que les barrières économiques, notamment les coûts – réels ou perçus – liés en particulier aux services des avocats seraient par ailleurs en grande partie responsables d’un autre phénomène, à savoir l’augmentation de la représentation seule des citoyens devant les instances administratives et judiciaire : Association du Barreau canadien, Égalité, supra note 41 à la p 8. Le Barreau du Québec signale à cet égard que « [l]e phénomène grandissant des justiciables qui se représentent seuls constitue un obstacle majeur à l’accessibilité à la justice, car il en augmente les coûts pour la partie adverse et constitue une entrave à l’efficacité de la justice » : Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 79. Il est à noter que l’article 23 NCPC, qui reprend principalement le droit actuel (art 56 et suiv. Cpc), indique expressément que « [l]es personnes physiques peuvent agir pour elles-mêmes devant les tribunaux sans être représentées; elles doivent le faire dans le respect de la procédure établie par le Code et les règlements pris en son application » [nos italiques]. Cette règle constitue désormais un principe directeur de la procédure civile. Voir Chamberland, Code, supra note 86 à la p 14.

89 Voir Comité de révision, supra note 45 à la p 11.

90 Voir notamment Noreau, « Accès », supra note 43 aux pp 15, 30-31 ; Julian V. Roberts, La confiance du public dans la

justice pénale : bilan des dernières tendances 2004-2005, Sécurité publique et protection civile Canada, Ottawa, novembre

2004 ; André Tunc, « En quête de justice » dans Mauro Capelletti, dir, Accès à la justice et État-providence, traduit par René David, Paris, Economica, 1984, 303 aux pp 315-16 ; Lachapelle, supra note 43 ; Noreau, « Justice », supra note 43 à la p 46 ; Lafond, Accès, supra note 12 aux pp 26-32 ; Commission du droit du Canada, La transformation des rapports

humains par la justice participative, 2003 à la p 97, en ligne : Publication du gouvernement du Canada

<http://publications.gc.ca> [Commission du droit du Canada, Transformation] ; Forget, « Affaire », supra note 44 à la p 42 ; Malboeuf, « Confiance », supra note 43 ; Ministère de la Justice du Québec, Sondage auprès de la population sur la

confiance à l’égard du système de justice, Québec, Léger Marketing, 28 août 2006 [Ministère de la Justice, Confiance].

91 Association du Barreau canadien, Égalité, supra note 41 à la p 6. De ce point de vue, cette baisse de confiance peut être

considérée comme une composante de la dimension psychologique de l’accès à la justice. Sur ce sujet, voir Association du Barreau canadien, Metrics, supra note 43 aux pp 4-9. Une étude menée par le chercheur Ab Currie révèle par ailleurs que plus les personnes connaissent des problèmes juridiques, moins ils ont une opinion favorable des lois et du système judiciaire : Ab Currie, Les problèmes juridiques de la vie quotidienne : La nature, l’étendue et les conséquences des

problèmes justiciables vécus par les Canadiens, Ministère de la Justice du Canada, 2009 aux pp 90-91, en ligne :

<http://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/sjc-csj/sjp-jsp/rr07_aj1-rr07_la1/>. Lors de cette étude, 72% des répondants n’ayant eu aucun problème juridique ont déclaré avoir une opinion favorable au sujet de l’équité de la législation et du système de

20

Enfin, la désaffection des tribunaux civils serait également attribuable à la

complexification des dossiers judiciaires

92

. À ce sujet, le ministère de la Justice du

Québec indique que les causes portées devant les tribunaux civils sont

effectivement de plus en plus complexes et qu’en dépit de la décroissance du

nombre de dossiers ouverts devant les instances judiciaires, les procès se

déroulent généralement sur une plus longue période

93

. À titre d’illustration, le

graphique suivant montre qu’entre 2008 et 2012, le nombre de dossiers ouverts

devant la Cour du Québec, Chambre civile, a diminué, tandis que le nombre

d’heures d’audience est quant à lui demeuré stable.

Graphique 6

Nombre de dossiers ouverts et d’heures d'audience devant

la Cour du Québec entre 2008 et 2012 (matières civiles)

94

Ainsi, tel que le signale le professeur Pierre Noreau, de l’Université de Montréal,

parallèlement à la diminution du nombre de recours intentés devant les institutions

justice alors que cette proportion baisse à 40% chez ceux qui ont connu sept problèmes juridiques ou plus. Cette enquête démontre également que les personnes qui ont comparu devant un tribunal judiciaire ou administratif ont généralement une opinion moins favorable à propos de l’équité des lois et du système judiciaire : ibid aux pp 91-92.

92 Assemblée nationale, Journal, 1er février 2012, supra note 84 à la p 28 (Véronique Hivon). 93 Ministère de la Justice, Évaluation, supra note 45 à la p 21.

94 Graphique préparé par l’auteur à partir des données statistiques répertoriées dans Cour du Québec, Rapports publics

2008-2009 à 2011-2012, en ligne : Tribunaux.qc.ca <http://www.tribunaux.qc.ca/c-quebec/CommuniquesDocumentation/ fs_communiques.html>.

119 777

92 545

85 778

91 729

53 540

52 735

52 774

52 259

0

20 000

40 000

60 000

80 000

100 000

120 000

140 000

2008-2009

2009-2010

2010-2011

2011-2012

Do

ss

ier

s

et h

eure

s

d

'au

d

ience

Année (du 1

e

septembre au 31 août)

Dossiers

ouverts

Heures

d'audience

21

judiciaires, « l’on assiste à une explosion du nombre de litiges nécessitant trois

jours d’audition et plus, parfois plusieurs semaines, sinon plusieurs mois »

95

. À ce

propos, en commission parlementaire, l’avocat Claude Fabien s’est exprimé en ces

mots :

[l]'un des facteurs majeurs des coûts de la justice réside dans la durée du procès lui-

même. L'augmentation de la durée du procès est une tendance lourde que l'on

observe depuis plusieurs décennies, et rien n'indique qu'elle est prête à s'inverser. Les

procès qui prenaient autrefois une demi-journée […] prennent maintenant plusieurs

jours. Les procès de cinq et 10 jours ne sont plus chose rare. Le phénomène se traduit

par une augmentation des coûts pour les parties qui fait en sorte que le seuil de

rentabilité du procès ne cesse d'augmenter, et l'augmentation généralisée de la durée

des procès a aussi pour effet de faire allonger la file de ceux qui attendent le jour de

leur propre procès et de ralentir d'autant leur propre accès à la justice

96

.

À la lumière de ce qui précède, du fait de l’allongement des procès et de la

croissance de la complexité des litiges, les rôles des tribunaux demeurent

surchargés, bien que le nombre de causes à fixer par le maître des rôles soit,

paradoxalement, en diminution constante

97

. En somme, cette brève analyse du

phénomène du « décrochage judiciaire » a ainsi fait ressortir, de manière originale,

les principaux éléments de la problématique liée au manque d’accès à la justice

civile, à savoir les obstacles économiques, temporels et subjectifs

98

.

95 Pierre Noreau, « Avenir de la justice : des problèmes anciens… aux solutions prochaines » dans Pierre Noreau, dir,

Révolutionner la justice : constats, mutations et perspectives, Les journées Maximilien-Caron, Texte présenté lors d’un

colloque tenu à Montréal, 18 juin 2009, Thémis à la p 3. Cette augmentation du nombre de causes de longue durée a également été signalée par des représentants du réseau des services judiciaires. À ce sujet, voir Ministère de la Justice,

Évaluation, supra note 45 à la p 21.

96 Assemblée nationale, Journal, 18 janvier 2012, supra note 34 à la p 20 (Claude Fabien).

97 Voir Ministère de la Justice, Évaluation, supra note 45 à la p 23. Dans le cadre des travaux parlementaires ayant mené à

l’adoption du NCPC, l’ex-porte-parole de l’opposition officielle en matière de commission des droits de la personne et de protection de la jeunesse et d’accès à l’information, Rita de Santis, estimait d’ailleurs que la promotion des modes de PRD dans le NCPC allait permettre de désengorger les tribunaux : Assemblée nationale, Journal, 24 septembre 2013, supra note 42 à la p 4514 (Rita de Santis). Voir aussi ibid à la p 4520 (Karine Vallières). De l’avis de la professeure Sylvette Guillemard, de l’Université Laval, cet argument constitue cependant une « publicité trompeuse » : Sylvette Guillemard, Mémoire déposé

lors du mandat « Consultations particulières sur le projet de loi n° 28 », 2013 à la p 14, en ligne : Assemblée nationale du

Québec <http://www.assnat.qc.ca> [Guillemard, Mémoire PL]. La professeure Guillemard signale à cet égard que les objectifs poursuivis par les tribunaux étatiques et arbitraux sont comparables, mais que ces objectifs sont très différents de ceux recherchés par la médiation. En effet, tandis que les institutions judiciaires et arbitrales ont pour principale mission de faire trancher des litiges par des experts – les juges et les arbitres – en appliquant le droit, la médiation encourage les parties à régler elles-mêmes leur différend par la voie du dialogue, en s’émancipant du droit. Dans cette perspective, la professeure Guillemard conclut que « [l]a médiation est essentiellement relationnelle, non juridique » : ibid à la p 15.

98 Pour plus d’informations au sujet des obstacles objectifs (p. ex. coûts, délais) et subjectifs (p. ex. barrières

psychologiques, diminution de la confiance) qui freinent l’accès à la justice civile, voir notamment Lafond, Accès, supra note 12 aux pp 49-72.

22

Conclusion

Au terme de cette première partie de notre mémoire, nous constatons que la

problématique liée au manque d’accès à la justice persiste depuis plusieurs siècles

et qu’elle se pose aujourd’hui, à divers degrés, dans toutes les régions du monde.

Cette question, qui comporte des aspects objectifs (p. ex. les coûts, les délais) et

subjectifs (p. ex. les barrières psychologiques, le manque de confiance), est donc

très complexe et d’autant plus difficile à cerner qu’elle intervient dans d’autres

phénomènes tels que l’augmentation de la représentation seule devant les

tribunaux et le « décrochage judiciaire ».

23

Partie II. La méthodologie de la recherche

Introduction

Dans cette deuxième partie, nous précisons la méthodologie de notre recherche.

À cette fin, nous abordons tour à tour les quatre éléments méthodologiques

suivants : (1) la pertinence et les limites de la recherche, (2) les principales

sources documentaires analysées, (3) le cadre théorique de l’« accès à la justice »

et (4) les précisions terminologiques.