3. L’évolution du concept d’« accès à la justice » dans le cadre de la procédure
3.1. La valeur émancipatrice de la disposition préliminaire, des principes
De manière générale, la procédure civile se définit comme l’« ensemble des règles
qui, en matière civile, régissent l’organisation et la compétence des tribunaux, le
déroulement des procès, l’appel et l’exécution volontaire ou forcée des
jugements » [nos italiques]
309. De façon analogue, le Réseau pour une approche
transformative du conflit définit la procédure civile comme « la succession des
actes nécessaires à l’exercice des recours devant les tribunaux, allant de
l’introduction de l’action à l’exécution ou à l’appel des jugements » [nos
italiques]
310. Ainsi, de par sa nature « judiciaire », le Code de procédure civile a
traditionnellement véhiculé une approche « institutionnelle » de l’accès à la justice.
309 Reid, Dictionnaire, supra note 127, sub verbo « procédure civile ».
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À ce sujet, l’Observatoire du droit à la justice mentionne ce qui suit :
[l]e Code de procédure civile a généralement été perçu comme un outil qui fournit à
l’avocat l’ensemble des règles nécessaires pour intenter un recours judiciaire devant
les tribunaux. Pour cette raison, il a entretenu chez les praticiens une conception
restreinte de l’accessibilité à la justice qui se définit uniquement en termes de
procédures judiciaires [italiques dans l’original]
311.
Or, cette conception restreinte de l’« accès à la justice » est maintenant révolue
312.
À cet égard, la disposition préliminaire du NCPC indique ce qui suit :
[l]e Code de procédure civile établit les principes de la justice civile et régit, avec le
Code civil et en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre
C-12) et les principes généraux du droit, la procédure applicable aux modes privés de
prévention et de règlement des différends lorsque celle-ci n'est pas autrement fixée
par les parties, la procédure applicable devant les tribunaux de l'ordre judiciaire de
même que la procédure d'exécution des jugements et de vente du bien d'autrui.
Le Code vise à permettre, dans l'intérêt public, la prévention et le règlement des
différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d'esprit de
justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à assurer
l'accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l'application juste, simple,
proportionnée et économique de la procédure et l'exercice des droits des parties dans
un esprit de coopération et d'équilibre, ainsi que le respect des personnes qui
apportent leur concours à la justice.
Enfin, le Code s'interprète et s'applique comme un ensemble, dans le respect de la
tradition civiliste. Les règles qu'il énonce s'interprètent à la lumière de ses dispositions
particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font l'objet de ses
dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet [nos
italiques]
313.
311 Observatoire du droit à la justice, Mémoire PL, supra note 295 à la p 14. 312 Ibid.
313 Tel que le signale le directeur à la Direction du contentieux du ministère de la Justice du Québec, Luc Chamberland, cette
disposition préliminaire « est de droit nouveau et elle servira de pierre d'assise pour interpréter le Code » : Chamberland,
Code, supra note 86 à la p 1. Le texte de cette disposition est en effet « aussi important que les principes directeurs » :
Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 40e lég, 1re sess, vol 43, n° 75
(9 octobre 2013) à la p 27 (Luc Chamberland) [Assemblée nationale, Journal, 9 octobre 2013]. L’ex-ministre de la justice Bertrand St-Arnaud souligne que les deux premiers alinéas de la disposition préliminaire visent ainsi « à situer le code dans l'ensemble législatif et à le rattacher aux lois qui lui sont fondamentales, tout en notant sommairement l'essence et les objectifs de la procédure de même que les principes d'interprétation applicables à ces règles » : Assemblée nationale,
Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 9 (Bertrand St-Arnaud). Les propos de l’ex-ministre s’inspirent d’ailleurs des
enseignements de la Cour suprême du Canada tirés de la décision phare Lac d’Amiante du Québec Ltée c 2858-0702
Québec, 2001 CSC 51, [2001] 2 RCS 743, dans laquelle l’honorable juge LeBel précise de façon fort éloquente les liens
particuliers qui unissent le Code de procédure civile, le Code civil du Québec et la Charte québécoise, supra note 24. Par ailleurs, le troisième alinéa de la disposition préliminaire indique expressément que le NCPC « s'interprète et s'applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste », ce qui est conforme à l’article 41.1 de la Loi d’interprétation RLRQ 1964, c I-16 qui précise que « [l]es dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet » : Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 10 (Bertrand St-Arnaud). Le Barreau du Québec estime toutefois que « l’utilisation de l’expression « tradition civiliste », ainsi que le fait de faire uniquement référence à la Charte des droits et libertés de la personne dans la disposition préliminaire a pour effet de nier la mixité du droit procédural québécois et l’application de la Charte canadienne des droits et
libertés. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41 affirme en
effet que le Québec jouit de traditions et cultures juridiques mixtes de common law et de droit civil, selon les matières, dans le respect des sources d’un droit mixte : Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 60.
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La disposition préliminaire énonce ainsi expressément que le NCPC régit non
seulement la procédure applicable devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, mais
aussi celle applicable aux modes de PRD lorsqu’elle n'est pas autrement fixée par
les parties
314. De plus, le NCPC introduit les principes de la procédure applicables
aux modes de PRD dans ses tous premiers articles
315et il comprend désormais un
livre entièrement consacré à la médiation et l’arbitrage
316.
Le NCPC reconnaît donc clairement que les modes de PRD sont « partie
intégrante de la justice civile »
317. Le législateur vise ainsi à adapter l’offre de
justice civile « au visage humain du citoyen »
318en lui permettant de s’émanciper
de la « justice litigieuse »
319, de la « culture de l’affrontement »
320et du « monopole
judiciaire »
321. En affirmant que les modes de PRD « sont inclus dans la notion de
justice civile »
322, le législateur poursuit en effet l’objectif d’établir « une justice
moderne, pluraliste et pragmatique qui est au service de ceux pour qui elle
existe »
323. En somme, le NCPC souhaite favoriser « l'accès à une justice d'un
autre niveau »
324.
314 Disposition préliminaire, al 1 NCPC. 315 Voir ibid, art 1-7.
316 Il s’agit du livre VII qui comprend les articles 605-655 NCPC.
317 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 9 (Bertrand St-Arnaud). Voir aussi Chambre des
notaires du Québec, Mémoire déposé lors du mandat « Consultations particulières sur le projet de loi n° 28 », 2013 aux pp 11-12, en ligne : Assemblée nationale du Québec <http://www.assnat.qc.ca> ; Protecteur du citoyen, Mémoire PL,
supra note 28 à la p 4. Les notes explicatives indiquent à ce sujet que le NCPC a notamment pour objectif « d’affirmer
l’existence des modes privés et volontaires de prévention et de règlement des différends » : PL 28, Loi instituant le nouveau
Code de procédure civile, supra note 23, notes explicatives au para 4. Voir aussi Barreau du Québec, Mémoire PL, supra
note 28 à la p 9. La justice civile peut dès lors émaner des seules « volontés qui se rencontrent » : Assemblée nationale,
Journal, 18 janvier 2012, supra note 34 à la p 43 (Jean-Marc Fournier). Cette reconnaissance encourage ainsi le
développement d’une justice consensuelle axée sur la communication, l’entraide et la coopération. À ce propos, l’ex-ministre de la justice Bertrand St-Arnaud indique que le NCPC permet de s’engager vers « une justice du XXIe siècle, qui fait davantage appel à la médiation, à la conciliation […] » : Assemblée nationale, Journal, 11 septembre 2013, supra note 28 à la p 39 (Bertrand St-Arnaud). Voir aussi Vallée, Commentaires, supra note 28 à la p XIII.
318 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 39e lég, 2e sess, vol 42, n° 59 (19
janvier 2012) à la p 32 (Jean-François Roberge).
319 Ibid à la p 27 (Louise Lalonde).
320 Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 51 (Linda Bérubé).
321 Antaki, Règlement, supra note 32 à la p 12, para 16-17. Le professeur Antaki précise à cet égard que
« [l]e développement social et politique des derniers siècles a […] livré le citoyen, âme et portefeuille liés, à un triple monopole. Les discordes passent nécessairement par le monopole des avocats qui les transforment en litiges avant de les canaliser vers un monopole judiciaire qui classe les anciens partenaires en demandeurs et défendeurs, gagnants et perdants, après les avoir soumis au monopole de la règle juridique » : ibid au para 17. L’auteur conclut que « [l]e monopole des tribunaux sur les litiges, somme toute récent, est un incident dans la vie des démocraties et n’a pas de raison de perdurer de façon absolue » : ibid au para 16.
322 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 12 (Bertrand St-Arnaud). Voir aussi Observatoire du
droit à la justice, Mémoire PL, supra note 295 à la p 15.
323 Assemblée nationale, Journal, 18 janvier 2012, supra note 34 à la p 12 (Thierry Bériault). Le NCPC cherche ainsi à
« rapprocher pour vivre en harmonie » : ibid à la p 14 (Jean-Marc Fournier). Les modes de PRD « ont donc vocation à favoriser la recherche, la reconnaissance de la justice comme élément fondamental de la société » : Assemblée nationale,
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À ce sujet, l’ex-ministre de la justice Bertrand St-Arnaud signale que les modes de
PRD sont en effet « fort efficaces et porteurs de règlement de litige dans des délais
courts, à un coût moindre et dans un climat bien plus serein »
325. Abondant dans
ce sens, le Barreau du Québec mentionne que ces modes « présentent l’avantage
d’être plus conviviaux, accessibles et rapides »
326, en comparaison avec le recours
judiciaire traditionnel. Cette optimisation de l’offre de justice permet ainsi au
concept d’« accès à la justice » de s’affranchir de la conception restreinte
traditionnellement véhiculée par le Code de procédure civile. À cet égard, les
honorables juges Louis LeBel et Marie Deschamps, de la Cour suprême du
Canada, s’expriment en ces mots :
[a]u Canada, le concept d’accès à la justice ne comprend plus seulement l’accès au
système judiciaire public. Dans le passé, les juges se montraient réticents à
abandonner leur mainmise sur la résolution des litiges. Ils estimaient même que le
règlement alternatif des différends ne respectait pas les impératifs de la protection
des droits des parties. Cette ère est révolue
327.
Conformément aux enseignements des juges LeBel et Deschamps, le législateur
reconnaît donc, dans le cadre du NCPC, que le concept d’« accès à la justice »
comporte deux versants : le versant judiciaire classique et le versant
extrajudiciaire
328.
justice, de bien-être collectif et d'efficacité […] » : Assemblée nationale, Journal, 10 septembre 2013, supra note 84 à la p 32 (Thierry Bériault). Les modes de PRD permettent ainsi d’optimiser l’offre de justice : Réseau pour une approche transformative, Mémoire PL, supra note 121 à la p 6.
324 Assemblée nationale, Journal, 18 janvier 2012, supra note 34 à la p 17 (Jean-Marc Fournier). À cet égard, l’ex-ministre
de la justice Jean-Marc Fournier précise que « le courant vis-à-vis des modes alternatifs […] est un courant qui fait voir une justice un peu plus large que simplement celle qui règle un problème d'ordre juridique » : ibid à la p 52 (Jean-Marc Fournier). Les modes de PRD permettent en effet aux personnes d’« accéder à un deuxième niveau de justice où on ne cherche pas simplement à régler le conflit mais à rapprocher des adversaires » : ibid à la p 18. En émancipant la question de l’accès à la justice de l’approche institutionnelle dominante, le NCPC poursuit l’objectif d’entraîner un véritable changement de culture : Assemblée nationale, Journal, 24 septembre 2013, supra note 42 aux pp 4518-19 (Alexandre Iracà). Le législateur vise ainsi à offrir aux justiciables québécois « une justice digne de ce nom » : ibid à la p 4515 (Rita de Santis). Voir aussi ibid à la p 4519 (Karine Vallières).
325 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 40e lég, 1re sess, vol 43, n° 69 (10
septembre 2013) à la p 2 (Bertrand St-Arnaud). Les modes de PRD offrent ainsi des espaces de justice relativement peu coûteux et rapides, en regard de l’état « lamentable du système qu'on propose à nos citoyens en termes de coûts et de délais […] » : Assemblée nationale, Journal, 24 septembre 2013, supra note 42 à la p 4510 (Gilles Ouimet).
326 Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 8.
327 Seidel c Telus Communications, 2011 CSC 15 au para 54, [2011] 1 RCS 531, juges LeBel et Deschamps (dissidents,
mais pas sur ce point).
328 La question de l’« accès à la justice » apparaît dès lors beaucoup plus vaste que l’accès aux tribunaux. À ce sujet, voir
notamment Association du Barreau canadien, Égalité, supra note 41 à la p 18 ; Marc Galanter, « La justice ne se trouve pas seulement dans les décisions des tribunaux » dans Mauro Capelletti, dir, Accès à la justice et État-providence, traduit par René David, Paris, Economica, 1984, 151 à la p 167 [Galanter, « Justice »].