1. L’obligation préalable de considérer le recours aux modes de PRD avant de
1.1. L’exécution de l’obligation
1.1.4. Le respect de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne
de la personne
L’ex-président de la Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse, Gaétan Cousineau, avait par ailleurs exprimé la crainte que l’obligation
de considérer le recours aux modes de PRD avant d’entreprendre un recours
judiciaire n’entre en contradiction avec le premier alinéa de l’article 23 de la Charte
des droits et libertés de la personne
400, qui indique que
[t]oute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de
sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la
détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation
portée contre elle
401.
Selon nous, l’obligation de considérer le recours aux modes de PRD avant de
s’adresser aux tribunaux respecte le droit d’accès au tribunal prévu à l’article 23 de
la Charte des droits et libertés de la personne
402. En effet, le devoir de
considération prévu au troisième alinéa de l’article 1 NCPC crée une obligation de
nature chronologique et, par conséquent, elle ne vise en aucune manière à établir
la prépondérance de la justice extrajudiciaire sur celle des tribunaux
403. De plus,
398 Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 62.
399 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 12 (Bertrand St-Arnaud). Voir aussi Charte
québécoise, supra note 24, art 23, 52.
400 Ibid.
401 Voir Assemblée nationale, Journal, 19 janvier 2012, supra note 86 à la p 2 (Gaétan Cousineau). Voir aussi Assemblée
nationale, Journal, 11 septembre 2013, supra note 28 à la p 46 (Jacques Frémont). Il est à noter que cette disposition possède un statut quasi constitutionnel en vertu de l’article 52 de cette Charte, qui indique qu’« [a]ucune disposition d'une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n'énonce expressément que cette disposition s'applique malgré la Charte ». À ce sujet, voir Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 10.
402 Charte québécoise, supra note 24.
403 Voir Assemblée nationale, Journal, 31 janvier 2012, supra note 22 à la p 36 (Jean-Marc Fournier). À ce sujet, l’avocat
Robert-Jean Chénier, membre du Comité sur la procédure civile du Barreau du Québec, signale que « l'obligation faite aux parties de considérer les modes privés de résolution avant de s'adresser aux tribunaux ne doit pas avoir pour effet de créer une hiérarchie entre les modes privés et le système de justice civile » : Assemblée nationale, Journal, 13 septembre 2013,
supra note 86 à la p 2 (Robert-Jean Chénier). Voir aussi Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 à la p 10. Bien que
le législateur ne souhaite effectivement pas établir de hiérarchie entre les modes de PRD et les institutions judiciaires, l’Observatoire du droit à la justice signale que les articles 1 à 7 NCPC ont pour effet d’accorder une priorité aux modes de PRD et que celle-ci donne à penser que le recours aux tribunaux constitue dès lors « une solution de dernier recours » [italiques dans l’original] : Observatoire du droit à la justice, Mémoire PL, supra note 295 à la p 15. Dans le même ordre d’idées, la professeure Sylvette Guillemard signale que les articles 1 à 7 NCPC semblent confiner la justice étatique dans un rôle de second plan : Guillemard, Mémoire PL, supra note 97 à la p 21. L’auteure rappelle toutefois qu’« [i]l n’est pas
75
l’article 7 NCPC, qui précise les rapports entre les modes de PRD et les institutions
judiciaires
404, indique que « [l]a participation à un mode privé de prévention et de
règlement des différends autre que l'arbitrage n'emporte pas la renonciation au
droit d'agir en justice » [nos italiques]
405. Le droit de toute personne de saisir les
tribunaux, qui est d’ordre public
406, est dès lors protégé
407. La seule exception au
principe de la non-renonciation au droit d’ester en justice est donc la participation à
un processus arbitral. À ce sujet, le premier alinéa de l’article 622 NCPC précise
en effet que
[l]es questions au sujet desquelles les parties ont conclu une convention d'arbitrage
ne peuvent être portées devant un tribunal de l'ordre judiciaire, alors même qu'il
serait compétent pour décider de l'objet du différend, à moins que la loi ne le
prévoie
408.
De plus, le troisième alinéa de l’article 622 NCPC énonce que
[l]es parties ne peuvent par leur convention déroger aux dispositions du présent titre
qui déterminent la compétence du tribunal, ni à celles concernant l'application des
principes de contradiction et de proportionnalité, le droit de recevoir notification d'un
acte ou l'homologation ou l'annulation de la sentence arbitrale [nos italiques]
409.
Cet article, qui reprend principalement le droit en vigueur
410, a ainsi pour objectif de
garantir le respect de certaines dispositions qui relèvent de l’ordre public,
cette perspective, il apparaît important que les modes de PRD et les tribunaux ne soient pas perçus comme des concurrents, mais bien comme des espaces de justice complémentaires qui bonifient l’offre de justice civile en faveur des citoyens.
404 Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 46 (Bertrand St-Arnaud).
405 Art 7, al 1 NCPC. Le recours judiciaire conserve dès lors « une place de choix dans l’offre de justice au Québec » :
Réseau pour une approche transformative, Mémoire PL, supra note 121 à la p 5. Voir aussi Barreau du Québec, Mémoire
PL, supra note 28 à la p 11.
406 Voir Charte québécoise, supra note 24, art 23, 52 ; Assemblée nationale, Journal, 8 octobre 2013, supra note 1 à la p 46
(Bertrand St-Arnaud).
407 Suivant le premier alinéa de l’article 7 NCPC, les parties peuvent toutefois convenir, eu égard à leur différend, de ne pas
exercer leur droit d’agir en justice pendant l’instance, « sauf si cela s'avère nécessaire à la préservation de leurs droits », par exemple pour éviter la prescription : Assemblée nationale, Journal, 10 janvier 2014, supra note 391 à la p 18 (Bertrand St- Arnaud). Le Barreau du Québec avait toutefois recommandé de retirer les mots « sauf si cela s'avère nécessaire à la préservation de leurs droits », prévus au premier alinéa de l’article 7 NCPC, afin de ne pas restreindre la possibilité pour les parties de se retirer d’un mode de PRD pour exercer un droit devant le tribunal et pour éviter qu’un juge puisse alors « […] reprocher à une partie son retrait trop hâtif du processus […] » : Barreau du Québec, Mémoire PL, supra note 28 aux pp 11-12.
408 Art 622, al 1 NCPC. Il peut néanmoins arriver qu’une partie saisisse le tribunal d’un litige portant sur une question au
sujet de laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage. Dans ce cas, l’une ou l’autre des parties peut demander le renvoi du dossier à l’arbitrage. Le NCPC précise que cette demande devra dorénavant être soulevée « dans les 45 jours de la demande introductive d'instance ou dans les 90 jours lorsque le litige comporte un élément d'extranéité » : art 622, al 2 NCPC. Cet élément de droit nouveau a ainsi pour but d’améliorer l’efficacité du processus arbitral en s’assurant que le renvoi s’effectue le plus rapidement possible, dans une perspective d’accessibilité économique et temporelle de la justice civile. À ce sujet, voir Assemblée nationale, Journal, 10 janvier 2014, supra note 391 à la p 42 (Bertrand St-Arnaud) ; ibid à la p 43 (Luc Chamberland).
409 Art 622, al 3.