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Quelle vision du dirigeant de PME ?

EN TANT QU’OBJET DE RECHERCHE

5.2.2.5 Quelle vision du dirigeant de PME ?

5.2.2.5.1 Cinq travaux séminaux sur la vision

Tout d’abord, dans leur ouvrage de 1985, Bennis et Nanus soulignent (p.28) que « la gestion de l’attention par l’intermédiaire de la vision revient à définir un centre d’attention, c’est-à-dire une cible »110.

Un an plus tard, Tichy et Devanna précisent, pour leur part, que « la vision est

l’idéal vers lequel nous devons tendre. Elle libère l’énergie nécessaire pour motiver l’organisation dans ses actions. Elle constitue un cadre global servant à guider les responsables dans les décisions quotidiennes et le choix des priorités et elle fournit les paramètres nécessaires pour un opportunisme parfaitement planifié. Une vision fructueuse possède une tension qui est le résultat d’une création découlant à la fois de l’intuition (activité du cerveau droit) et de l’analyse rationnelle (activité du cerveau gauche) » (Tichy et

109 Afin de ne pas être en contradiction, nous distinguons pour l’occasion la direction de la PME assumée par le dirigeant (Degeorge et Chabaud, 2013) de la décision de créer l’entreprise prise par le créateur (Brockhaus, 1982).

77 Devanna, 1986, p.126)111. Reflétant les composantes essentielles de contenu et de communication, ces auteurs expliquent également que la « vision implique la capacité à se

représenter un état futur et à décrire cet état à d’autres personnes pour qu’elles commencent à leur tour à partager le rêve » (ibid., p.138)112.

Ensuite, dans leur article de 1989, Westley et Mintzberg, se référant à de nombreux travaux, observent que le processus comporte trois étapes, à savoir « (1) se faire une image

mentale d’un état organisationnel futur qui (2) à condition d’être clairement exprimé et efficacement transmis aux suiveurs, pourra ensuite (3) permettre à ces derniers de réaliser la vision » (Westley et Mintzberg, 1989, p.17-18)113.

Par ailleurs, Nanus (1992) définit la vision comme « une situation future réaliste,

crédible et attrayante pour […] [l’]entreprise. Il s’agit de […] [la] définition d’une

destination vers laquelle […] [l’]organisation doit se diriger, d’une situation à venir qui

est[,] à de nombreux égards[,] meilleure, plus réussie ou plus désirable pour l’entreprise que l’état actuel » (Nanus, 1992, p.8)114.

Enfin, dans leur ouvrage séminal, Mintzberg, Ahlstrand et Lampel (2005) définissent la vision (p.136) comme : « une représentation intellectuelle de la stratégie qui se crée dans

le cerveau du dirigeant ou, du moins, qui s’exprime par sa voix. Cette vision sert à la fois d’inspiration et de guide ou, si l’on préfère, d’idée directrice ». Les auteurs résument comme

suit les six principes (p.154) de l’école entrepreneuriale de la stratégie :

111 « The vision is the ideal to strive for. It releases the energy needed to motivate the organization to action. It

provides an overarching framework to guide day-to-day decisions and priorities and provides the parameters for planful opportunism. A successful vision has a tension that’s the result of its having been created both from intuition (right-brain thinking) and logical analysis (left-brain thinking) » (Tichy et Devanna, 1986, p.126). 112 « Vision implies the ability to picture some future state and to be able to describe the state to others so that

they begin to share the dream » (Tichy et Devanna, 1986, p.138).

113 « (1) [T]he envisioning of an image of a desired future organizational state […] which (2) when effectively

articulated and communicated to followers [...] serves (3) to empower those followers so that they can enact the

vision [...] » (Westley et Mintzberg, 1989, p.17-18).

114 « [A] realistic, credible, attractive future for […] [the] organization. It is […] [the] articulation of a

destination toward which […] [the] organization should aim, a future that in important ways is better, more

78 1) « [l]a stratégie existe dans l’esprit du leader comme perspective, précisément comme

orientation à long terme, comme vision de l’avenir de l’organisation »[;]

2) « [l]e processus d’élaboration de la stratégie est, au mieux, à moitié conscient, enraciné dans l’expérience et l’intuition115 du leader, qu’il ait conçu lui-même la stratégie ou qu’il adopte celle conçue par d’autres et l’intègre à son propre comportement »[;]

3) « [l]e dirigeant promeut la vision avec détermination, voire obsession, et surveille de

près la mise en œuvre pour pouvoir reformuler au besoin certains détails »[;]

4) « [l]a vision stratégique s’avère donc malléable et, de ce fait, la stratégie entrepreneuriale revêt souvent un caractère à la fois délibéré et émergent: délibéré du point de vue de la vision globale et émergent par la façon dont les détails de la vision se déploient »[;]

5) « [l]’organisation est pareillement malléable. C’est une structure simple obéissant aux directives du leader […] »[;]

6) « [l]a stratégie entrepreneuriale prend plutôt la forme d’un créneau, d’une ou plusieurs ‘poches’ de marché protégées de la concurrence directe ».

5.2.2.5.2 Autres études sur la vision de l’entrepreneur

D’autres travaux se réfèrent à la vision. Senge (1992), par exemple, propose de s’intéresser à la vision partagée. Il note (p.206) que, « de la même façon que les visions

personnelles sont des images que les personnes transportent dans leur tête et dans leur cœur, les visions partagées sont des images que les personnes portent en elles d’un bout à l’autre de l’entreprise. Elles créent un sentiment d’identité qui imprègne l’entreprise et donne de la cohérence à ses différentes activités »116. Et L’auteur de préciser que lorsqu’on parle de vision, on parle de long terme. Complétant cette idée de cohérence, Kotter (1995, p.63) explique que « la vision est révélatrice d’aspirations qui aident à déterminer la direction dans

115 Nous pouvons également noter que l’intuition (Dane et Pratt, 2007; Baldacchino, Ucbasaran, Cabantous et Lockett, 2015) est l’une des qualités de l’entrepreneur (voir Mintzberg et Waters, 1982).

116 « Just as personal visions are pictures or images people carry in their heads and hearts, so too are shared

visions pictures that people throughout an organization carry. They create a sense of commonality that permeates the organization and gives coherence to diverse activities » (Senge, 1992, p.206).

79

laquelle l’organisation doit aller »117. S’appuyant sur Senge (1992) et complétant également cette relation entre vision et long terme, Larwood, Falbe, Kriger et Miesing (1995, p.746) valident l’hypothèse selon laquelle « les différences de contenu entre les différentes visions

des dirigeants […] tiennent à la longueur de portée de la vision »118.

5.2.2.5.3 La vision du dirigeant de PME

Déjà, en 1990, Carrière expliquait que la combinaison de l’approche microéconomique et de l’analyse de la vision stratégique pourrait permettre de lier, de manière prospective et dans le contexte des PME, les visions, les actions et les évolutions sectorielles futures. Un an plus tard, le PMIste Louis-Jacques Filion précise que « le processus visionnaire propose un

cadre d’apprentissage qui fournit à l’entrepreneur une structure de référence[,] l’aidant à mieux articuler son développement » (Filion, 1991, p.36-37)119. Selon lui (p.37), la vision offre cinq avantages. Elle

1) « fournit à la fois un guide et un cadre pour la réflexion et la pratique

entrepreneuriale »120;

2) « permet que l’action et les activités soient unifiées autour d’une idée centrale »121; 3) « encourage l’entrepreneur à exprimer une vision réaliste, crédible et attrayante de ce

vers quoi tend l’entreprise »122;

4) « présente une structure de base stimulante[,] autour de laquelle le tissu social qui

constitue l’organisation peut être greffé »123;

117 « A vision says something that helps clarify the direction in which an organization needs to move » (Kotter, 1995, p.63).

118 « Differences in executives’ vision content […] are related to length of vision horizon » (Larwood, Falbe,

Kriger et Miesing, 1995, p.746).

119 « The visionary process proposes a learning framework providing the entrepreneur with a reference structure

to help him articulate better his development » (Filion, 1991, p.36-37).

120 « [It p]rovides both a guideline and a framework for entrepreneurial reflection and practice » (ibid., p.37). 121 « [It a]llows action and activities to be unified around a central idea » (ibid.).

122 « [It e]ncourages the entrepreneur to articulate a realistic, credible and attractive view of what the enterprise

is heading towards » (ibid.).

123 « [It p]resents a stimulating basic structure around which the social tissue making up the organisation can be

80 5) « invite l’entrepreneur à canaliser les ressources dans une direction particulière. Finalement[,] la vision se matérialisera sous la forme d’une mission et d’objectifs à atteindre »124.

Par la suite, en utilisant la méthodologie de la cartographie cognitive, Cossette (1996) étudie la vision stratégique d’un propriétaire-dirigeant de PME manufacturière québécoise. Deux ans plus tard, Messeghem et Varraut (1998) appliquent le cadre conceptuel de Shapero et Sokol (1982) aux stratégies (stratégie réactive et stratégie proactive) d’adoption d’un modèle d’assurance-qualité en PME. D’après ces auteurs, seule la stratégie proactive comprend la vision stratégique comme élément initiateur et important de l’intention stratégique et du comportement. La même année, Baum, Locke et Kirkpatrick (1998, p.49) montrent que, dans les firmes entrepreneuriales (de 25 employés en moyenne), « les attributs

et le contenu de la vision étaient directement liés à la croissance de l’entreprise, mais aussi fortement liés à cette croissance à travers leur effet sur la communication de la vision »125. Enfin, Baum et Locke (2004) mettent notamment au jour que la vision et les buts sont des prédicteurs très significatifs de la croissance de l’entreprise.

Plus récemment, Filion (2007) a avancé que certaines conditions individuelles et organisationnelles favorisaient le partage de la vision. Le tableau qui suit résume sa proposition.

124 « [It i]nvites the entrepreneur to channel resources in a particular direction. Eventually the vision will

materialise in the form of a mission and objectives to be reached » (ibid.).

125 « [V]ision attributes and vision content were directly related to venture growth, but they also were strongly

related to venture growth through their effect on vision communication » (Baum, Locke et Kirkpatrick, 1998, p.49).

81 Tableau 8 : Conditions individuelles et organisationnelles du partage de la vision

Le dirigeant L’organisation Leadership126.

Connaissance du secteur. Vision attrayante et réaliste. Transparence.

Système de communication. Légitimité.

 Image partagée de l’évolution du secteur.

 Image partagée du potentiel de l’organisation.

 Attitude positive quant au changement.  Loyauté.

 Engagement.

 Culture d’apprentissage.

Source : adapté de Filion (2007, p.356-357).