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CONCLUSION DU DEUXIÈME POINT

Ce deuxième point a permis de « situer » la Perspective Temporelle, élément particulier du cadre général de « temps psychologique », au regard des recherches temporelles en Management/Organisation et en entrepreneuriat. Il a également permis de présenter un problème et d’identifier un vide théorique concernant ces recherches, vide qui touche à la perception subjective du temps par les dirigeant(e)s, dans le lien que celle-ci peut avoir avec la vigilance entrepreneuriale puis, successivement, les liens 1) entre cette dernière et l’orientation entrepreneuriale et 2) entre cette orientation et la croissance de l’entreprise.

L’objectif du troisième point est d’expliquer plus précisément le but de notre travail doctoral. Nous rappellerons (entre autres) et expliquerons, au travers de deux réponses « raisonnées » et de différentes justifications théoriques possibles, pourquoi notre problématique et nos questions de recherche font sens.

75 « [My work] did not […] aim to explore the roots and the determinants of individual entrepreneurial

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3 LE BUT DU TRAVAIL DOCTORAL

3.1 Introduction

Le but de ce travail doctoral est d’étudier la Perspective Temporelle, la vigilance du propriétaire-dirigeant envers les opportunités d’affaires, l’orientation entrepreneuriale et la croissance de sa PME76.

Quel raisonnement sous-tend une telle étude ? Il faut, d’abord, noter que toutes les opportunités entrepreneuriales comprennent une dimension temporelle. En effet, déjà en 1990, Stevenson et Jarillo (1990) définissaient l’opportunité comme « une situation future

jugée désirable et faisable » (Stevenson et Jarillo, 1990, p.23)77. Dans la même veine mais s’intéressant davantage à l’évaluation de l’opportunité, Haynie, Shepherd et McMullen ont récemment expliqué que « [l]es politiques de décision et d’évaluation des opportunités sont conçues comme des représentations cognitives orientées vers l’avenir de ‘ce qui sera’ en

supposant que l’on doive exploiter l’opportunité soumise à évaluation » (Haynie, Shepherd et

McMullen, 2009, p.338)78.

Ensuite, il faut préciser, en lien avec la définition kirznerienne de la vigilance, qu’il est probable qu’un dirigeant de PME vigilant soit plus enclin à s’engager dans des activités entrepreneuriales, transformant son entreprise en une entreprise entrepreneuriale qui génère, in fine, de la croissance79. Nous rappelons ici que l’entreprise entrepreneuriale est

76 Faisant écho à d’autres travaux qui portent sur les relations positives entre le focus attentionnel futur du dirigeant, la détection d’opportunités technologiques et le développement d’innovations basées sur ces dernières (Yadav, Prabhu et Chandy, 2007), nous pouvons faire un lien entre la vigilance envers les opportunités d’affaires et l’orientation entrepreneuriale. En effet, outre la définition de l’entrepreneuriat donnée par Shane et Venkataraman (2000), Miles et Snow (1978) expliquent que le type organisationnel prospecteur (prospector) regroupe des organisations qui recherchent constamment des opportunités, qui créent souvent le changement et l’incertitude auxquels les concurrents doivent répondre et qui s’intéressent fortement à l’innovation produit et marché. Enfin, suivant d’autres travaux majeurs (Bruyat, 1993; Bruyat et Julien, 2001), nous pouvons relier la vigilance individuelle et l’orientation entrepreneuriale organisationnelle (incluant l’innovation), car l’individu et la création de valeur (par exemple, à travers l’innovation) sont reliés de manière dialogique.

77 L’idée est contenue dans la citation originale suivante : « a future situation which is deemed desirable and

feasible » (Stevenson et Jarillo, 1990, p.23).

78 L’idée est contenue dans la version originale suivante : « opportunity evaluation decision policies are

constructed as future-oriented, cognitive representations of ‘what will be’ assuming one were to exploit the opportunity under evaluation » (Haynie, Shepherd et McMullen, 2009, p.338).

50 définie comme « [u]ne [entreprise] qui est engagée dans l’innovation produit-marché, qui entreprend des projets quelque peu risqués et qui est la première à proposer une innovation proactive prenant les concurrents de court » (Miller, 1983, p.771)80.

3.2 Une justification théorique liée à la contribution envisagée

En lien avec ce qui est précisé ci-dessus, Wright et Stigliani (2013) notent en 2013 qu’il est encore possible d’apporter une contribution significative aux processus contextualisés qui sous-tendent la croissance. Cela suppose, alors, de s’intéresser :

1) aux cognitions, aux expériences, aux apprentissages et aux types d’entrepreneurs, avant de s’intéresser,

2) à l’accessibilité et à la configuration des ressources, 3) aux types, aux mesures et aux modèles de croissance.

Ainsi, ces auteurs écrivent : « … nous avons besoin d’en savoir plus sur la façon dont les

processus cognitifs de l’entrepreneur façonnent la croissance […], la façon dont ils

accèdent aux ressources et les configurent pour atteindre la croissance […], et de savoir

s’ils sont influencés par une plus grande variété de dimensions contextuelles que cela n’était le cas précédemment, et comment celles-ci influencent les différents modèles et types de croissance » (Wright et Stigliani, 2013, p.3)81.

Faisant écho à leurs propos, nous souhaitons contribuer à une compréhension plus fine et plus profonde de la participation de la Perspective Temporelle (construit cognitif et motivationnel de niveau individuel; Zimbardo et Boyd, 1999)82 dans le

Patzelt et Shepherd, 2009; Wiklund et Shepherd, 2011; Cassia et Minola 2012; Rosenbusch, Rauch et Bausch, 2013; Wales, Patel et Lumpkin, 2013; Saeed, Yousafzai et Engelen, 2014...) mettent au jour une relation positive entre orientation entrepreneuriale et performance (dont la croissance est une sous-dimension; voir, par exemple, Brush et Vanderwerf, 1992; Murphy, Trailer et Hill, 1996; St-Pierre et Cadieux, 2011).

80 L’idée est visible dans la version originale suivante : « one that engages in product-market innovation,

undertakes somewhat risky ventures, and is first to come up with “proactive” innovations, beating competitors to the punch » (Miller, 1983, p.771).

81 « [W]e need to know more about how the entrepreneur’s cognitive processes shape growth […], how they access and configure resources to achieve growth […], whether these are influenced by a wider variety of

contextual dimensions than previously recognised, and how these influence different patterns and types of growth » (Wright et Stigliani, 2013, p.3).

82 Bien que la Perspective Temporelle soit un construit de niveau individuel, nous pourrions aussi lier le temps collectif et les ressources collectives en faisant 1) un lien entre le temps social (Durkheim, 2013) et la conscience

51 processus entrepreneurial (Shane et Venkataraman, 2000; Shane, 2003) constitué de la découverte (approchée au travers de la vigilance entrepreneuriale) et de l’exploitation (approchée au travers de l’orientation entrepreneuriale) des opportunités83 et, in fine, dans la croissance de la PME (Julien, 2007).

3.3 La problématique

Ainsi, nous précisons que notre problématique, c’est-à-dire la « question générale […]

que […] [notre] recherche s’efforce de satisfaire [et] l’objectif que […] [nous] cherch[ons] à

atteindre » (Allard-Poesi et Maréchal, 2007, p.34), est de mieux comprendre :

« comment le dirigeant et sa PME agissent pour générer de la croissance ».

Une première réponse à cette question générale (ou problématique) implique de comprendre les éléments qui composent la croissance de la PME. Sur ce point, nous pourrions d’abord dire que la croissance de la PME est la réponse à une conjonction harmonieuse d’un dirigeant, figure centrale de ce type d’entreprise (Julien, 1990) au modèle proxémique (Torrès, 2000, 2004, 2006, 2007a, 2007b), et d’une PME dite « entrepreneuriale » (c'est-à-dire qui prend des risques, qui innove et qui prend ses concurrents de court; Miller, 1983; Covin et Slevin, 1989). Nous pourrions ajouter que le dirigeant d’une PME qui croît découvre, en premier lieu, une opportunité d’affaires que les autres dirigeants n’ont pas vue (Kirzner, 1973, 1983; Gaglio et Katz, 2001; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012) et qu’il met ensuite en place une stratégie organisationnelle à base de prise de risque, d’innovation et de proactivité (Covin et Slevin, 1991).84 Enfin, nous pourrions encore dire que le dirigeant d’une PME qui croît a,

collective, d’une part, et la connaissance collective, d’autre part (Spender, 1996) et 2) un lien entre les connaissances et les ressources (Spender et Grant, 1996).

83 Nous précisons ici que l’opportunité d’affaire (ou l’événement déclencheur selon Mourmant, 2009) constitue pour nous le Zeitgeber au niveau environnemental turbulent (Emery et Trist, 1965; Bourgeois et Eisenhardt, 1988; D’Aveni, 1995) ou inter-organisationnel dynamique et imprévisible (Lawrence et Lorsch, 1994; Mintzberg, 2002; Baum et Wally, 2003; Sirmon, Hitt et Ireland, 2007).

Nous pouvons alors rapprocher cette situation de la notion d’équilibre ponctué (c'est-à-dire lorsqu’une évolution majoritairement incrémentale est entrecoupée de périodes de changements majeurs), déjà étudiée (Miller et Friesen, 1980; Tushman et Romanelli, 1985; Tushman et Anderson, 1986; Gersick, 1991, 1994).

En effet, l’entraînement peut créer un changement de rythme pour la firme devant se synchroniser avec l’opportunité présente à l’extérieur (Pettigrew, 1987). Dans ce contexte, le manager joue un rôle dans la création d’un climat favorisant le changement à l’intérieur de la firme (Pettigrew, 1987).

52 dès le départ, une perception et une expérience individuelles du temps (Lewin, 1997; Zimbardo et Boyd, 1999) favorables qui le placent dans de bonnes conditions psychologiques pour découvrir et exploiter les opportunités d’affaires (Shane et Venkataraman, 2000). Par conséquent, cette première réponse nous amène à conduire une recherche exploratoire, centrée sur les éléments constitutifs de la croissance de la PME.

Une seconde réponse, plus cumulative, peut être de chercher, outre la mise au jour d’éléments constitutifs spécifiques (par exemple, la Perspective Temporelle, la vigilance aux opportunités d’affaires et l’orientation entrepreneuriale), à développer une compréhension fine de la (des) causalité(s) et des liens existant entre l’ensemble de ces éléments ainsi qu’entre l’orientation entrepreneuriale et la croissance. Ici, nous cherchons donc, après la mise au jour des éléments constitutifs, à comprendre comment ces éléments agissent et interagissent pour produire de la croissance. Par conséquent, cette seconde réponse nous amène à conduire une deuxième recherche, plus explicative qu’exploratoire, centrée sur l’explication des liens de causalité existant entre les différents éléments constitutifs de cette croissance.

3.4 Les questions de recherche

De notre problématique de recherche générale formulée ci-dessus peuvent alors découler trois questions de recherche complémentaires, plus précises et plus opératoires (Allard-Poesi et Maréchal, 2007). Ainsi, nous souhaitons étudier :

management stratégique. En effet, comme le précise Rumelt (1984), « la position concurrentielle d'une

entreprise est définie par un ensemble de ressources et de relations qui lui sont propres et la tâche de la direction générale consiste à ajuster et à renouveler ces ressources et relations à mesure que le temps, la concurrence et l'évolution érodent leur valeur » (Rumelt, 1984, p.557-558). La version originale est la suivante : « a firm’s competitive position is defined by a bundle of unique resources and relationships and [...] the task of general management is to adjust and renew these resources and relationships as time, competition, and change erode their value » (Rumelt, 1984, p.557-558).

Ensuite, nous pouvons noter que, selon Nag, Hambrick et Chen (2007, p.944), « [l]e champ du management

stratégique concerne les principales initiatives intentionnelles ou émergentes, prises par des dirigeants pour le compte des propriétaires et impliquant l’utilisation des ressources internes aux entreprises, en vue d’améliorer leurs performances dans leurs environnements externes ». La version d’origine liée est : « [t]he field of strategic

management deals with the major intended and emergent initiatives taken by general managers on behalf of owners, involving utilization of resources, to enhance the performance of firms in their external environments » (Nag, Hambrick et Chen, 2007, p.944).

Enfin, sur le lien entre management stratégique et entrepreneuriat, nous invitons le lecteur à consulter Meyer, Neck et Meeks (2002).

53 1) Comment la Perspective Temporelle (construit psychologique de niveau individuel) participe-t-elle à la vigilance du dirigeant ?

2) Comment la vigilance du dirigeant participe-t-elle à l’orientation entrepreneuriale de sa PME ?

3) Comment l’orientation entrepreneuriale de la PME participe-t-elle à la croissance de cette dernière ?

Ces questions peuvent être reliées à McKelvie et Wiklund (2010, p.261) qui précisent, dans un numéro spécial portant sur la croissance de la revue Entrepreneurship

Theory and Practice, que « l’une des raisons majeures expliquant […] [le] manque de développement [de la recherche de croissance des entreprises] est l’impatience des chercheurs qui s’attaquent prématurément à la question du combien avant d’apporter des réponses à la question du comment. En d’autres termes, la plus grande partie de la recherche s'est consacrée à expliquer les écarts de croissance entre les entreprises, sans tenir compte du fait qu’il peut exister des différences qualitatives, en fonction de la méthode utilisée par les entreprises pour atteindre cette croissance »85. Il fait donc sens d’étudier les trois questions de recherche « qualitatives » (de type « comment ? ») proposées ci-dessus. Enfin, pour une vue synthétique du travail doctoral, nous présentons la figure qui suit.

85 « [A] major reason for […] [the] lack of development [of firm growth research] is the impatience of

researchers to prematurely address the question of “how much?” before adequately providing answers to the question “how?” In other words, the vast majority of the research has been occupied with explaining differences in growth across firms, not acknowledging that there may be substantially qualitative differences in terms of how firms go about achieving this growth » (McKelvie et Wiklund, 2010, p.261).

54 Figure 2 : Figure de synthèse du travail doctoral

Croissance économique Croissance de la firme

Orientation entrepreneuriale Exploitation Vigilance entrepreneuriale Découverte

Perspective Temporelle

Légende : Bleu : niveau d’analyse interorganisationnel – Orange : niveau d’analyse organisationnel – Jaune : niveau d’analyse individuel

Processus entrepreneurial

Focus de la Thèse