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CONCLUSIONS DU DEUXIÈME POINT ET CONCLUSIONS POUR ACTIONS

Dans ce deuxième point, nous avons présenté une revue de littérature historique et narrative de l’orientation entrepreneuriale. Nous rappelons que, dans leur article séminal, Lumpkin et Dess (1996, p.150) expliquent que la conceptualisation de Miller/Covin et Slevin « peut être interprétée de façon restrictive pour expliquer certains types de

comportement »197. Ils proposent ainsi de conceptualiser l’orientation entrepreneuriale comme un ensemble de cinq dimensions indépendantes (focalisées sur le domaine et qui correspondent à la question « où chercher cette orientation ? »; Covin et Wales, 2012). Cependant, nous soutenons que le problème de la conceptualisation de Lumpkin et Dess est que leurs cinq dimensions indépendantes peuvent créer une myriade de combinaisons théoriques (définitionnelles) et empiriques et, par conséquent, générer de nombreuses difficultés concernant l’établissement d’une base de connaissances (voir Wales, 2016). À cet égard, George et Marino (2011) expliquent que la création d’un corps de connaissances requiert un raffinement définitionnel et non une reconstruction définitionnelle (voir également

196 Voir également Wales, Monsen et McKelvie (2011).

197 L’idée est contenue dans la citation originale suivante : « ... may be too narrowly construed for explaining

115 Wales, 2016). Faisant écho à d’autres auteurs (Wales, 2016), nous soutenons ici que la principale force de la conceptualisation de Miller/Covin et Slevin est que les trois dimensions covariantes (focalisées sur le phénomène et qui correspondent à la question « à quoi ressemble l’orientation ? »; Covin et Wales, 2012) peuvent être considérées comme des bases théoriques et empiriques sur lesquelles d’autres construits peuvent venir s’établir, facilitant ainsi la stabilité et l’accumulation des connaissances autour d’un construit principal davantage lié à ce que cela signifie d’être entrepreneurial.

Dans ce travail doctoral, nous retenons donc la conceptualisation unidimensionnelle de Miller (1983) et de Covin et Slevin (1989). Ces auteurs considèrent que l’orientation entrepreneuriale est composée de trois dimensions de niveau organisationnel interdépendantes et covariantes (la prise de risque, l’innovation et la proactivité covarient). Nous ne retenons donc pas la conceptualisation multidimensionnelle de Lumpkin et Dess (1996) comprenant cinq dimensions indépendantes (prise de risque, innovation, proactivité, autonomie et agressivité concurrentielle).

La première justification de ce choix est quantitative. En premier lieu, Miller (1983) montre que les trois dimensions ont des alphas de Cronbach (prise de risque : 0,91; innovation : 0,77; proactivité : 0,81; variable agrégée de 7 items : 0,88; Miller, 1983, p.777) indiquant qu’ils sont fiables et reflètent des aspects clés de l’orientation entrepreneuriale. En deuxième lieu, dans son étude interculturelle, Knight (1997) démontre que l’échelle de Miller-Covin-Slevin198 possède une haute fiabilité, ainsi qu’une haute validité convergente et discriminante199. En troisième lieu, Green, Covin et Slevin (2008)200 présentent l’alpha de Cronbach de la variable orientation entrepreneuriale (0,84 selon Green, Covin et Slevin, 2008, p.365) et démontrent sa validité convergente.

La deuxième justification de ce choix est qualitative. En effet, comme l’explique Miller (1983) : « En général, les théoriciens ne parlent pas de firme entrepreneuriale si elle

modifie la technologie ou la ligne de produits simplement en imitant directement ses concurrents (dans ce cas, elle « innove » selon notre terminologie) tout en refusant de

198 Échelle comprenant deux dimensions et 8 items.

199 Dans son étude, Knight (1997) valide ces trois points, qui font l’objet d’hypothèses spécifiques. 200 Échelle comprenant 9 items.

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prendre le moindre risque. Une certaine proactivité est également nécessaire. De même, les firmes qui prennent des risques et possèdent de gros moyens financiers ne sont pas nécessairement considérées comme entrepreneuriales. Elles doivent aussi réaliser des innovations technologiques ou sur le marché des produits. Ainsi, mettre l’accent, comme nous le faisons, sur la dimension composite s’avère raisonnable sur le plan intuitif » (Miller, 1983,

p.780)201.

Enfin, la troisième justification de ce choix est qualitative. En effet, Bénézech, Karcher et Garcia (2013) montrent que la conceptualisation multidimensionnelle de Lumpkin et Dess (1996) remet en cause le lien entre orientation entrepreneuriale et activités rattachées à l’innovation. Par ailleurs, nous rappelons ici qu’Anderson, Kreiser, Kuratko, Hornsby et Eshima (2015) tout comme Wales (2016) ont récemment réaffirmé le bien-fondé de la conceptualisation unidimensionnelle de Miller-Covin et Slevin.

Nous pouvons également présenter les critiques liées à cette conceptualisation. La première critique est émise par Zahra (1993) qui réfute le modèle conceptuel de Covin et Slevin (1991). En effet, sur la base des 44 propositions contenues dans l’article initial, l’auteur présente une série de propositions dont certaines sont révisées ou supprimées. Selon Zahra (1993), toutes les relations entre les variables (variables externes, stratégiques, internes, de performance et de performance non financière) et la posture entrepreneuriale de la firme sont positives. Cependant, Zahra (1993, p.14-17) précise que la relation entre l’hostilité environnementale et la posture entrepreneuriale de l’environnement est non linéaire. Ensuite, l’auteur ajoute qu’il ne faut pas mélanger le cycle de vie de l’industrie avec les autres dimensions environnementales. Enfin, l’auteur note que la relation entre l’organicité structurelle et la posture entrepreneuriale de la firme est positive mais redondante. En réponse à la critique de Zahra (1993), Covin et Slevin (1993) proposent un certain nombre de contre-arguments. En premier lieu, selon les auteurs, Zahra (1993) ne fait que lister les dimensions d’intensité, de formalité, de champ202 et de durée liées à l’entrepreneuriat sans pour autant

201 « In general, theorists would not call a firm entrepreneurial if it changed its technology or product-line

(“innovated” according to our terminology) simply by directly imitating competitors while refusing to take any risks. Some proactiveness would be essential as well. By the same token, risk-taking firms that are highly levered financially are not necessarily considered entrepreneurial. They must also engage in product-market or technological innovation. Thus our focus upon the composite dimension is intuitively reasonable » (Miller, 1983, p.780).

117 fournir d’explications. En second lieu, ils ajoutent qu’il faut parfois faire des compromis entre la parcimonie et l’exhaustivité théorique. En troisième lieu, Covin et Slevin (1993) expliquent qu’il faut conserver certaines propositions203 ainsi que certaines variables (la sophistication technologique, le cycle de vie de l’industrie, les compétences et ressources organisationnelles). En quatrième lieu, les deux auteurs précisent qu’il est faux de penser que le modèle original ne peut pas avoir de résultats non-financiers. En cinquième lieu et conclusion, Covin et Slevin (1993) expliquent que les deux articles sont complémentaires et qu’aucun des deux, pris séparément, n’est suffisant pour modéliser le phénomène.

La seconde critique est émise par Lumpkin et Dess (1996, p.150) qui expliquent que les cinq dimensions peuvent être combinées différemment selon le type d’opportunité entrepreneuriale poursuivie et ainsi expliquer de nombreux types d’entrepreneuriat.

Les implications théoriques du choix de cette conceptualisation sont nombreuses. En premier lieu, un pont reliant l’orientation entrepreneuriale et la performance est possible. À cet égard, nous rappelons que certains auteurs (Wiklund, 1999; Wiklund et Shepherd, 2003a) ont trouvé une relation positive entre l’orientation entrepreneuriale et la performance de la PME. En second lieu, étudiant l’orientation entrepreneuriale et se situant au niveau organisationnel (Covin et Slevin, 1991; Slevin et Terjesen, 2011; Wales, Patel, Parida et Kreiser, 2013; Anderson, Kreiser, Kuratko, Hornsby et Eshima, 2015; Wales, 2016), nous sommes amenés à mettre au jour des limites frontières contextuelles204 importantes (Saporta, 1997; Johns, 2006; Suddaby, 2010). Outre le continuum des critères tels que la taille, le secteur ou le marché (Julien, 1990), les chercheurs peuvent s’intéresser aux effets des valeurs religieuses (par exemple, le protestantisme) et culturelles (par exemple, l’éthique protestante; Weber, 2003) et ainsi montrer la symétrie existant entre les valeurs culturelles et les valeurs organisationnelles (Ashkanasy, Gupta, Mayfield et Trevor-Roberts, 2004). Les chercheurs peuvent également faire la distinction entre certains pays européens et asiatiques, qui ne connaissent pas les mêmes taux de chômage ou de croissance. Enfin, les chercheurs peuvent s’attacher à spécifier les effets des caractéristiques sectorielles (les variations sectorielles des niveaux d’abondance de ressources et d’opportunités) ainsi que les effets de la structure et du cycle de vie de la firme (Rousseau et Fried, 2001).

203 Selon Covin et Slevin (1993), il faut conserver les propositions nos13, 14, 23, 24, 25, 26, 29 et 30. 204 Traduction littérale de « contextual boundary limits ».

118 Les implications managériales du choix de cette conceptualisation sont importantes. Par exemple, nous pouvons conseiller les dirigeants de PME sur le degré d’anticipation de leur organisation (Kalika, 1991). À cet égard, nous pouvons les aider à surmonter les difficultés relatives à la perception et à la fabrique de sens (sensemaking) concernant les changements environnementaux (Weick, 1979; Thomas, Clark et Gioia, 1993; Weick, 1993, 1995), à la compréhension et à l’interprétation (Daft et Weick, 1984) des informations, à la prise de décision, qui rompent avec les situations déjà connues, ainsi qu’à celle relative à la mise en œuvre des décisions et à l’affrontement des résistances. Enfin, nous pouvons les aider à incorporer, à créer et à réorganiser les compétences (Teece, Pisano et Shuen, 1997; Teece, 2007) et à prendre des décisions qui cassent les cadres moyens-fins (Gaglio, 1997) en vue de prendre les concurrents de court (Miller, 1983). Plus généralement, nous pouvons conseiller les dirigeants sur les capacités organisationnelles, c'est-à-dire sur « les routines sociales

complexes qui déterminent l’efficience avec laquelle les firmes transforment, de façon physique, les entrées en sorties »205 (Collis, 1994, p.145). Ces conseils sur les processus (Ginsberg et Venkatraman, 1985) sont importants, car Collis (1994) explique que l’avantage concurrentiel basé sur ces capacités et possédé par une firme est précaire et qu’il peut, à tout moment, être supplanté par des capacités plus développées et possédées par des concurrents de cette firme.

Respectant le paradigme de l’opportunité (Stevenson et Jarillo, 1990; Bygrave et Hofer, 1991; Venkataraman, 1997; Shane et Venkataraman, 2000; Verstraete et Fayolle, 2005), paradigme appartenant au champ de l’entrepreneuriat et mobilisé, parmi d’autres, dans ce travail doctoral, nous passons maintenant de l’étude de l’orientation entrepreneuriale (liée à l’exploitation d’opportunités) à l’étude de la vigilance entrepreneuriale (liée à la découverte de l’opportunité) située plus en amont du processus. Toujours en écho à la citation de Ricœur (1983) présentée en introduction, nous présentons donc ci-après une revue de littérature sur l’entrepreneuriat et la vigilance (vue comme appartenant au champ plus large de l’entrepreneuriat).

L’objectif de ce troisième point est de présenter une revue historique et narrative sur la vigilance et de montrer que, bien que les chercheurs aient déjà étudié différents thèmes

205 « [O]rganizational capabilities […] [are] the socially complex routines that determine the efficiency with

119 incluant celui de l’opportunité, ils n’ont que très peu étudié le sous-thème lié à la vigilance entrepreneuriale envers les opportunités d’affaires. Nous faisons donc une revue de littérature historique et narrative des différents thèmes déjà bien étudiés en entrepreneuriat (incluant l’opportunité). Cette revue va ensuite nous permettre de faire le contraste avec le petit nombre de travaux portant sur le sous-thème de la vigilance.

3 REVUE DE LITTÉRATURE HISTORIQUE ET NARRATIVE SUR