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TOUJOURS PERSISTANTES À L’OBJET DE RECHERCHE

4.1 Les définitions de Hébert et Link (1989) et de Kuratko (2009)

Notre travail doctoral s’inscrivant dans le champ de l’entrepreneuriat, il convient d’étudier l’entrepreneur et l’entrepreneuriat. Le choix d’une définition de l’entrepreneur est un choix difficile, en raison de la multiplicité des conceptions et de la difficulté à identifier une définition qui reste cohérente avec le projet de recherche proposé. Néanmoins, nous pouvons d’abord nous appuyer sur la définition86 largement citée de Hébert et Link (1989, p.47)87. Ces auteurs définissent l’entrepreneur comme « une personne qui se spécialise dans

la prise de responsabilité et la prise de décisions critiques qui affectent l’emplacement, la forme et l’usage des biens, des ressources ou des institutions »88. Ensuite, une seconde définition, plus récente et davantage destinée à un public d’étudiants qu’à un public d’enseignants-chercheurs, est donnée par Kuratko (2009). Cet auteur définit l’entrepreneur comme « [u]n innovateur ou un développeur qui identifie et saisit des opportunités; convertit

ces opportunités en idées commercialisables, apporte une valeur ajoutée sous la forme de temps, d’efforts, d’argent ou de compétences, et accepte de courir les risques du marché concurrentiel pour mettre en œuvre ces idées et obtenir les récompenses issues de ces efforts » (Kuratko, 2009, p.530)89.

4.2 Différences et évolutions entre ces deux définitions

Quelles sont les différences et les évolutions entre ces deux définitions prises à vingt ans d’écart ? Premièrement, la définition donnée par Kuratko (2009) incorpore les notions récentes d’opportunité d’affaires (Venkataraman, 1997; McGrath et MacMillan, 2000; Shane,

86 Pour une synthèse partielle montrant la diversité des conceptions économiques de l’entrepreneur, voir l’annexe n°1. Pour une définition des termes « entrepreneur » et « entreprise » d’après différents dictionnaires, voir Vérin (2011).

87 Google Scholar indique que leur article est déjà cité plus de 628 fois.

88 « [S]omeone who specializes in taking responsibility for and making judgmental decisions that affect the

location, form, and the use of goods, resources, or institutions » (Hébert et Link, 1989, p.47).

89 « An innovator or developer who recognizes and seizes opportunities; converts these opportunities into

workable/marketable ideas; adds value through time, effort, money, or skills; assumes the risks of the competitive marketplace to implement these ideas; and realizes the rewards from these efforts » (Kuratko, 2009, p.530).

56 2000; Eckhardt et Shane, 2003; Shane, 2003; McMullen et Shepherd, 2006; Alvarez et Barney, 2007; Short, Ketchen, Shook et Ireland, 2010; Barreto, 2012; Tang, Kacmar et Busenitz, 2012; Arentz, Sautet et Storr, 2013; Valliere, 2013; Busenitz, Plummer, Klotz, Shahzad et Rhoads, 2014; Davidsson, 2015) et d’entrepreneuriat vu comme un processus.

Deuxièmement, la définition proposée par Kuratko (2009) inclut la gestion des ressources (argent, compétences…). L’auteur parle également d’un marché concurrentiel (ou

competitive marketplace). Cette définition peut donc être liée à la littérature extensive portant sur les ressources et sur les capacités dynamiques (Wernerfelt, 1984; Barney, 1991; Grant, 1991; Kogut et Zander, 1992; Amit et Schoemaker, 1993; Teece et Pisano, 1994; Wernerfelt, 1995; Teece, Pisano et Shuen, 1997; Eisenhardt et Martin, 2000; Helfat, Finkelstein, Mitchell, Peteraf, Singh, Teece et Winter, 2007; Newbert, 2007; Teece, 2007; Augier et Teece, 2009; Lockett, Thompson et Morgenstern, 2009; Penrose, 2009; Teece, 2009; Barreto, 2010; Kraaijenbrink, Spender et Groen, 2010; Peteraf, Di Stefano et Verona, 2013; Teece, 2014; Helfat et Martin, 2015; Helfat et Peteraf, 2015; Girsault Haas, 2016; Kellermanns, Walter, Crook, Kemmerer et Narayanan, 2016; Pezeshkan, Fainshmidt, Nair, Frazier et Markowski, 2016; Wilden, Devinney et Dowling, 2016).

Troisièmement, les notions de prise de risque et de marché concurrentiel dans lequel il est « préférable » de prendre ses concurrents de court ou de vitesse renvoient à l’orientation entrepreneuriale de la firme (Miller, 1983; Covin et Slevin, 1989, 1991).

Quatrièmement, la définition donnée par Kuratko (2009) inclut la notion de récompense (reward) attribuée pour les efforts consentis. Nous pouvons alors rapprocher cette notion de la littérature sur la croissance de la firme (Delmar, 1997; Davidsson et Wiklund, 2000; Barringer, Jones et Neubaum, 2005; Gilbert, McDougall et Audretsch, 2006; Shepherd et Wiklund, 2009; Wiklund, Patzelt et Shepherd, 2009; Janssen, 2011; Wright et Stigliani, 2013; Koryak, Mole, Lockett, Hayton, Ucbasaran et Hodgkinson, 2015).

4.3 Le problème du choix de la définition de Kuratko (2009)

Le choix de la définition de Kuratko pose un problème majeur : celui de son origine américaine. Choisir cette définition revient à ne pas prendre en compte la recherche européenne et française en entrepreneuriat (Steyaert, 1997; Fayolle, 2003; Saporta, 2003;

57 Verstraete et Fayolle, 2005; Hjorth, 2008; Lasch et Yami, 2008), qui définit l’entrepreneur de manière plus large90 : l’approche nordique de Hjorth (2008), ou encore l’approche française, fondée sur le projet, développée par Brechet et Schieb-Bienfait (2011), et qui laisse une large place aux méthodes qualitatives (Steyaert, 1997; Saporta, 2003; Neergaard et Ulhøi, 2007; Hjorth, 2008; Lasch et Yami, 2008) et au contexte (Steyaert, 1997; Saporta, 2003; Welter et Lasch, 2008; Welter, 2011). Par conséquent, en lien avec cette recherche, nous proposons la définition91 suivante :

« L’entrepreneuriat est la création, la découverte et l’exploitation d’opportunités rentables (Stevenson et Jarillo, 1990; Bygrave et Hofer, 1991; Venkataraman, 1997; Shane et Venkataraman, 2000; Eckhardt et Shane, 2003; Alvarez et Barney, 2007, 2013; Eckhardt et Shane, 2013) à l’intérieur de l’ensemble des entreprises (c’est-à-dire des entreprises nouvellement créées ou déjà existantes; Julien, 2008). L’objectif est de créer de la valeur (Bruyat et Julien, 2001), non seulement pour les entreprises, au travers des activités (Davidsson, Delmar et Wiklund, 2002) et des pratiques quotidiennes (Steyaert et Katz, 2004; Hjorth, 2008), qu’elles soient économiques ou non économiques, innovantes ou non

innovantes (Bruyat et Julien, 2001; Davidsson, Delmar et Wiklund, 2002), mais également pour la société (Acs et Armington, 2004; Steyaert et Katz, 2004) dans laquelle elles sont

imbriquées (Granovetter, 1985; Uzzi, 1996, 1997, 1999) et de qui elles reçoivent les conditions de contexte (Romanelli, 1989; Aldrich, 1990; Gnyawali et Fogel, 1994; Keeble et Walker, 1994; Thornton, 1999; Welter, 2011; Zahra et Wright, 2011) qu’elles auront à gérer ».

4.4 L’entrepreneur est-il le créateur d’une nouvelle firme

et/ou le dirigeant d’une firme déjà créée ?

Plus généralement, il existe des tensions autour de la définition et de l’ontologie de l’entrepreneur. En effet, certains auteurs comme Wennekers et Thurik (1999) distinguent les entrepreneurs des dirigeants (managers) en précisant que « [b]ien que les

90 Nous rappelons ici que le paradigme de l’opportunité d’affaire n’est qu’un des quatre paradigmes de l’entrepreneuriat (Verstraete et Fayolle, 2005; voir également Fayolle, 2003). Or, en incluant l’orientation entrepreneuriale et la croissance de la firme, nous pouvons (également et respectivement) rapprocher notre recherche des paradigmes de l’innovation et de la création de valeur. Par conséquent, nous pouvons dire que notre recherche est une recherche multi-paradigmatique.

91 La définition large présentée ici est la version finale qui fait suite à de nombreuses discussions avec un groupe de trois experts de l’entrepreneuriat ayant accepté de participer à sa création (Per Davidsson, Jerome Katz et Helle Neergaard). Nous les remercions ici vivement et sincèrement.

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dirigeants remplissent de nombreuses fonctions utiles pour l’économie, en particulier l’organisation et la coordination de la production et de la distribution, ils ne peuvent pas être considérés comme les moteurs de l’innovation et de la destruction créatrice. Il s’agit là de la principale fonction des entrepreneurs et intrapreneurs de Schumpeter » (Wennekers et Thurik, 1999, p.48)92. En revanche, d’autres auteurs comme Kirchhoff (1994) attribuent un rôle important au dirigeant en précisant que « [l]’entrepreneuriat est le processus consistant à 1) identifier une invention qui vaut la peine d’être commercialisée; 2) convertir cette invention en produit ou service commercialisable; 3) créer ou identifier une petite entreprise qui assurera la vente du produit ou service; 4) obtenir les ressources nécessaires pour gérer l’entreprise et commercialiser le produit ou service; et 5) gérer l’entreprise avec succès et générer des ventes du produit ou service suffisantes pour permettre la survie et la croissance de l’entreprise » (Kirchhoff, 1994, p.62)93.

Ces tensions importantes sont également présentes dans le calcul du taux d’activité entrepreneuriale total (ou TEA rate; voir Van Stel, Carree et Thurik, 2005) puisque ce dernier ne prend pas en compte l’entrepreneuriat établi (c'est-à-dire les entreprises d’âge supérieur à 42 mois ou 3,5 années selon Nziali et Fayolle, 2012). Or, ceci peut être problématique, notamment pour les entreprises de croissance, dans la mesure où « le cycle de vie typique

d’une nouvelle petite entreprise commence par quatre années de lutte et de faible croissance. Elles sont suivies, au cours des deux années suivantes, d’un sursaut de croissance qui se poursuit pendant au moins deux ans » (Phillips et Kirchhoff, 1989, p.74)94. Par conséquent, il convient de préciser que nous nous faisons l’écho de nombreux travaux (Bird, 1989; Verstraete, 2000; Julien, 2008) et que nous considérons que l’entrepreneuriat prend place aussi bien dans une nouvelle firme (innovatrice ou reproductrice) que dans une firme plus

92 « While the managerial business owners fulfill many useful functions in the economy such as the organization

and coordination of production and distribution, they cannot be viewed as the engine of innovation and creative destruction. This is the major function of Schumpeterian entrepreneurs and intrapreneurs » (Wennekers et Thurik, 1999, p.48).

93 « Entrepreneurship is the process of (1) identifying an invention worthy of commercialization; (2) converting

the invention into a saleable product/service; (3) creating or finding a small firm to sell the product/service; (4) obtaining the resources to operate the firm and sell the product/service; and (5) successfully operating the firm and generating product/service sales so as to achieve firm survival and growth » (Kirchhoff, 1994, p.62). 94 « [T]he life cycle of a typical new small firm begins with four years of struggle and little growth. This is

followed in the next two years with a sudden spurt of growth which continues for at least another two years » (Phillips et Kirchhoff, 1989, p.74).

59 ancienne (évoluant sur un marché ancien ou nouveau)95.

4.5 L’objet de la recherche doctorale : la Petite Entreprise

Dans ce travail doctoral, nous étudions la Petite Entreprise (PE) ; nous l’étudions au travers de la Perspective Temporelle et de la vigilance de son dirigeant, mais également du point de vue de l’orientation entrepreneuriale et de la croissance de la PE en tant qu’organisation. La figure ci-dessous schématise cette question importante :

Figure 3 : La petite entreprise comme objet de recherche

PME

(effectif compris entre 10 et 249 salariés)

PE

(effectif compris entre 10 et 49 salariés)

Dirigeant Firme

(individu plus ou moins entreprenant) (organisation)

Vision Vigilance Perspective Temporelle OE* Croissance

(*Orientation Entrepreneuriale)

De plus, bien que notre étude se focalise sur la PE (dont l’effectif est compris entre 10 et 49 salariés; voir Savajol, 2003, p.19), nous mobilisons les recherches – plus larges – portant sur les PME et l’entrepreneuriat. Ces recherches sont publiées dans des journaux académiques spécifiques (Journal of Business Venturing, Entrepreneurship Theory

95 Sur ce point, nous pouvons également citer Zhao, Seibert et Lumpkin (2010) ou encore Stam, Arzlanian et Elfring (2014).

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and Practice, Small Business Economics, Revue Internationale PME, Revue de

l’Entrepreneuriat, etc.).

En fait, nous étudions une organisation96 (la PE) orientée par le dirigeant (Julien, 1990; Mahé De Boislandelle, 1996; Torrès, 2003), lequel peut aussi bien : 1) être très enclin ou au contraire averse à la prise de risque, 2) choisir un secteur industriel, un secteur nouveau ou même un secteur traditionnel et 3) avoir la volonté de croître ou de ne pas croître (Julien et St-Pierre, 2012)97.