Rappelons que nous définissons la Perspective Temporelle (ou PT), construit psychologique de niveau individuel (Zimbardo et Boyd, 1999) comme « [t]out ce que
l’individu pense au sujet de son avenir psychologique et de son passé psychologique tel qu’il sera existant ou était existant à un moment donné » (Lewin, 1997, p.222)60.
59 « [T]emporal issues uniquely and explicitly characterize the entrepreneurial process. Past experience and
understandings of the past form a backdrop against which present actions are taken leading to future wealth creation. These temporal dimensions play themselves out across multiple levels within entrepreneurial organizations. Entrepreneurs and individuals who work with them act in the present to secure future resources and wealth where none currently exist. Their characteristics and competencies derived from their personal histories […] and future time perspective, choices of deadlines, recognition of emerging opportunities,
perception of emerging stage problems and phase development issues, and their intentions and hopes for the future are critical variables that enter into the formula for successful entrepreneurship » (Bird et West, 1997, p.5-6). Nous pouvons aussi noter que Bird précisait, quelques années auparavant, que « [l]es entrepreneurs qui
réussissent opèrent à l’intérieur d’une zone de perspective temporelle future. L’adéquation entre l’espace temps de confort de l’entrepreneur et la durée prévisible des efforts contribuera au succès ou à l’échec potentiel de l’initiative […]. Cet intervalle de temps futur permet à l’entrepreneur de consacrer du temps à la prise de décision et à l’action. L’incapacité à élaborer correctement les projets d’une nouvelle entreprise se traduira inlassablement par un ratage de cible, un mauvais timing et des opportunités non exploitées » (Bird, 1989, p.20). La version d’origine est : « [s]uccessful entrepreneurs operate within a zone of future time perspective. The
match between the entrepreneur’s time span of comfort and the time span demands of the endeavor will contribute to the potential success or failure of the endeavor […]. This future time span allows the entrepreneur
the advantage of spending time in decision making and action. Failure to properly frame new venture projects will result in missing the mark, poor timing, and missed opportunities » (Bird, 1989, p.20).
60 « The totality of the individual’s views of his psychological future and his psychological past existing at a given time can be called “time perspective” […] » (Lewin, 1997, p.222).
41 1.6.2 Présentation et justification du construit
En lien avec la définition lewinienne de la Perspective Temporelle (ou PT) énoncée ci-dessus, nous précisons que, dans cette recherche, nous empruntons la conceptualisation de Zimbardo et Boyd. En effet, en se référant à cette définition séminale, Zimbardo et Boyd ont publié, en 1999, une échelle de mesure appelée Zimbardo Time Perspective Inventory (ou ZTPI) et composée de cinq dimensions.
Tableau 1 : Les cinq dimensions de l’échelle de Zimbardo et Boyd (1999) sur la Perspective Temporelle
Perspective
Temporelle Définition
PT « Futur » « [C]e […] facteur reflète une orientation vers l’avenir […]. […] [L]e
comportement est dominé par la volonté d’atteindre des objectifs et d’obtenir des récompenses ultérieures […] »61.
PT « Présent
Hédoniste » « [C]e […] facteur, présent hédoniste, reflète une attitude hédoniste et
de prise de risque à l’égard du temps et de la vie […]. […] Il suggère une orientation vers le plaisir immédiat, et une faible prise en compte des conséquences futures »62.
PT « Présent
Fataliste »
« [C]e […] facteur de la ZTPI révèle une attitude fataliste, désemparée,
voire désespérée vis-à-vis de l’avenir et de la vie en général […] »63. PT « Passé
Positif »
« Le facteur passé positif reflète une attitude positive et enthousiaste à
l’égard du passé »64. PT « Passé
Négatif »
« [C]e […] facteur de la ZTPI, passé négatif, reflète une vision
généralement négative du passé, voire une aversion au passé […] »65. Source : adapté de Zimbardo et Boyd (1999, p.1274-1275).
Pourquoi est-il judicieux de choisir la conceptualisation de Zimbardo et Boyd ? Parce que leur conceptualisation prend réellement en compte la nature multidimensionnelle de la
61 « [This] […] factor reflects a general future orientation […]. […] [B]ehavior is dominated by a striving for
future goals and rewards » (Zimbardo et Boyd, 1999, p.1275).
62 « [This] […] factor, [p]resent-[h]edonistic, reflects a hedonistic, risk-taking, “devil may care” attitude
toward time and life [...]. […] It suggests an orientation toward present pleasure with little concern for future
consequences » (Zimbardo et Boyd, 1999, p.1275).
63 « [This] […] factor of the ZTPI reveals a fatalistic, helpless, and hopeless attitude toward the future and life […] » (Zimbardo et Boyd, 1999, p.1275).
64 « [T]he [p]ast-[p]ositive factor reflects a warm, sentimental attitude toward the past » (Zimbardo et Boyd, 1999, p.1275).
65 « [This] […] factor of the ZTPI, [p]ast-[n]egative, reflects a generally negative, aversive view of the past [...] » (Zimbardo et Boyd, 1999, p.1274).
42 PT. En effet, comme l’expliquent Apostolidis et Fieulaine en 2004, « Zimbardo et Boyd
postulent que c’est entre la construction psychologique du passé et l’anticipation des événements futurs que réside la représentation concrète et pratique du présent. Selon eux, un individu va décider de se comporter de telle ou telle manière face à une situation donnée, soit en se remémorant ses expériences passées, positives ou négatives, soit en élaborant des anticipations et des attentes concernant le futur, soit en se centrant sur les caractéristiques de la situation présente dans une attitude de résignation ou de recherche de sensations » (Apostolidis et Fieulaine, 2004, p.209).
Cependant, il faut noter que la focalisation sur l’individu de Zimbardo et Boyd (1999) n’équivaut pas à une focalisation purement individuelle qui comporterait uniquement des facteurs cognitifs et motivationnels (Nuttin, 1964, 1980). En effet, Zimbardo et Boyd (1999) se réfèrent à la théorie du champ de Lewin (Lewin, 1946) qui implique une prise en compte conjointe de l’individu et de l’environnement.
Dans cette recherche, nous nous focalisons ainsi sur la Perspective Temporelle (PT) vue comme un aspect particulier d’un cadre plus général appelé le temps psychologique (c’est-à-dire l’expérience et la perception individuelle du temps). En effet, en se focalisant sur la PT, Zimbardo et Boyd (1999) développent leur conceptualisation séminale et largement reconnue pour son utilité lorsqu’il s’agit de faire sens des expériences temporelles individuelles. Par exemple, en incluant la dimension « Passé Positif », Zimbardo et Boyd se rapprochent des travaux de Rollier et Turner (1994) qui montrent que les personnes qui utilisent le mode de pensée rétrospectif génèrent un plus grand nombre d’idées. En incluant la dimension « Passé Négatif » dans leur échelle, Zimbardo et Boyd se rapprochent également des travaux de Holman et Silver (1998, p.1148) qui montrent que les individus traumatisés et focalisés sur leur passé restent « collés à leur passé » (« stuck in their past »; Holman et Silver, 1998, p.1148) et ne s’adaptent pas aux environnements physiques et sociaux actuels.
De plus, en incluant les dimensions « Présent Hédoniste » et « Présent Fataliste », Zimbardo et Boyd prennent réellement en compte la valence (ou valeur) positive et négative du présent66 et se rapprochent des travaux de Lyubomirsky (2001) selon lequel les individus
66 Dans son ouvrage séminal, Fraisse précise : « [d]ans ce présent, il y a […] une forme de simultanéité qui tient
43 heureux utilisent des stratégies cognitives, des stratégies liées au jugement et des stratégies motivationnelles différentes des individus malheureux (voir également Lyubomirsky, King et Diener, 2005).
Enfin, bien que de nombreux auteurs étudient la PT future, les travaux de Nuttin (1964, 1980) restent fondamentaux en ce domaine. Pour cet auteur, la PT future se rapporte à la transformation cognitive des besoins en plans, intentions et tâches temporellement structurés. La PT future de Nuttin est alors caractérisée par son contenu et par son extension. En lien avec ceci, la PT « Futur » de Zimbardo et Boyd englobe non seulement les objectifs mais aussi les récompenses et d’autres notions associées, telles que le besoin d’accomplissement (McClelland, 1961), la capacité à différer l’obtention d’une petite récompense immédiate en vue de l’obtention d’une récompense future plus importante (Mischel, 1974), la motivation (Vroom, 1964; Kanfer, 1990; Locke et Latham, 2002) et les objectifs instrumentaux permettant d’atteindre des objectifs ultérieurs plus importants (De Volder et Lens, 1982). En somme, quatre des dimensions de l’échelle de Zimbardo et Boyd (la PT « Passé Négatif », « Passé Positif », « Présent Fataliste » et « Présent Hédoniste ») reflètent une conceptualisation qualitative, sociale et valencée du temps.
Dans l’échelle de Zimbardo et Boyd (1999), les sujets obtiennent un score pour chacune des cinq dimensions. La PT est à la fois un trait qui reste le même à travers le temps et un état qui peut être modifié et influence les actions durant un temps donné (Kairys et Liniauskaite, 2015)67. Les dimensions « Passé Positif » et « Passé Négatif » sont liées aux expériences générales, aux expériences spécifiques et aux expériences professionnelles. Enfin, il faut noter que la conceptualisation de Zimbardo et Boyd encapsule d’autres concepts comme l’orientation temporelle et la polychronicité (voir Shipp, Edwards et Lambert, 2009).
Cependant, parce que les émotions positives (par exemple, le plaisir) renforcent l’association entre évaluation et exploitation d’opportunités, alors que les émotions négatives prêterait une analyse logique qui, en atomisant le temps, réduirait le présent à un pur passage sans réalité psychologique. Ce passage, il faut, même pour le percevoir, un acte d’appréhension qui a une durée non négligeable » (Fraisse, 1957, p.84-85).
Cette définition du présent perçu est importante, car elle permet de se rapprocher d’une conception « qualitative » du temps, c'est-à-dire subjective, pleine de significations et de valeurs. En outre, elle permet d’opérer une distinction entre le temps de l’horloge (temps quantitatif) et le temps social (temps qualitatif). Enfin, elle met en lumière le rôle de la valence.
44 (par exemple, la peur ou la haine) affaiblissent cette association (Welpe, Spörrle, Grichnik, Michl et Audretsch, 2012), nous soutenons qu’investiguer le temps présent à l’aide de dimensions positives et négatives (comme le font Zimbardo et Boyd) est plus approprié et plus précis qu’investiguer le temps présent de manière globale à l’aide d’une seule dimension ou d’un seul facteur (comme le font Shipp, Edwards et Lambert, 2009). En somme, nous nous focalisons sur le construit cognitivo-motivationnel de niveau individuel de Perspective Temporelle et nous empruntons la conceptualisation de Zimbardo et Boyd (1999).