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Chapitre 4 : Les années au Théâtre du Rideau Vert (1962-1980)

4.7. Viola Léger et sa Sagouine

En 1973, Barbeau a fait la rencontre de deux grandes artistes acadiennes : Antonine Maillet et Viola Léger. Deux ans auparavant, lors de la création de La Sagouine en Acadie, Rita Scalabrini* avait dessiné les costumes du désormais mythique personnage. En octobre 1972, la pièce a été montée au Rideau Vert dans le cadre des « Lundis de la création29 »

dans sa version acadienne, mise en scène par Eugène Gallant* et avec les costumes de Scalabrini. Pour la production montréalaise qui a eu lieu en mars 1973 dans la mise en scène de Brind’Amour, Palomino a demandé à Barbeau de dessiner un nouveau costume pour la Sagouine.

Pendant près de 40 ans et jusqu’à l’annonce de sa retraite en 2017, Viola Léger a porté le costume que le concepteur a fait pour elle : la même robe, la même veste, la même

28 François Barbeau dans Roxanne MARTIN (2011c), op. cit.

29 Les « lundis de la création » était un espace que le Théâtre du Rideau Vert réservait dans sa programmation,

alors que les productions régulières faisaient relâche, pour faire la promotion de nouveaux auteurs et de nouveaux textes. Si la production des « lundis de la création » obtenait du succès, le théâtre la programmait l’année suivante dans la programmation régulière.

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coiffe et le même tablier qu’en 1973 : « Le personnage-titre porte toujours le même costume depuis quatre décennies, soit une modeste robe de paysanne, une veste recouverte d’un tablier, un foulard sur la tête et ses vieilles chaussures, le tout dans un mariage hétéroclite de couleurs30 ». Les vêtements ont bien sûr dû être reprisés, rafraîchis et

modifiés plusieurs fois, mais Viola Léger n’a jamais voulu s’en séparer. La rencontre du concepteur

de costumes avec Viola Léger a été un élément important de sa participation à la production de La Sagouine. Il partageait avec l’actrice une sensibilité et une passion similaires pour le théâtre et il a travaillé à plusieurs reprises avec elle à titre de concepteur de costumes, mais aussi comme metteur en scène. Elle était, selon lui31, une grande

interprète, une perfectionniste qui a sublimé les textes de Maillet et qui aurait mérité de jouer les textes d’autres auteurs.

Le souci du concepteur pour la pérennité du costume et la durabilité des tissus utilisés a souvent été critiqué, arguant que c’était du temps et de l’argent perdus pour des productions d’une trentaine de représentations. Toutefois, le costume de la Sagouine – qui a été porté un peu plus de deux mille fois – prouve, comme les costumes de Casse-noisette (1987) que Barbeau a créés pour les Grands Ballets canadiens, que la qualité des tissus est importante quand la production est reprise année après année. Renée Noiseux-Gurik a écrit à ce sujet :

30 Olivier DUMAS (2012), « Critique de La Sagouine », Monthéâtre.qc.ca, 22 novembre, [en ligne].

http://www.montheatre.qc.ca/archives/12-rideauvert/2013/sagouine.html [Texte consulté le 28 mars 2013].

31 François Barbeau dans Roxanne MARTIN (2011c), op. cit.

Figure 24 : La Sagouine (200?) d'Antonine Maillet, mise en scène d'Yvette Brind'Amour, Théâtre du Rideau Vert, sur la photo : Viola Léger (Sagouine), photo : gracieuseté du Théâtre du Rideau Vert.

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En outre, il a le souci d’assurer la longévité de ses costumes, à l’instar d’un couturier dont le devoir est de faire des habits durables et réutilisables. Dès 1963, Barbeau montre qu’il est en pleine possession de ses deux métiers : costumier et couturier32.

Toutefois, le costumier n’a pas conçu l’habit de la Sagouine ou les vêtements de Casse- noisette en pensant que les costumes seraient utilisés pendant des décennies. La durabilité de ses costumes vient principalement du fait que Barbeau a choisi des tissus lavables et faciles d’entretien afin qu’ils demeurent aussi beaux à la dernière représentation qu’ils l’étaient à la première. Le but est de diminuer le travail des habilleuses dans le soin à accorder aux vêtements. Idéalement, l’habilleuse devrait être en mesure de laver tous les vêtements à la machine, afin de ne pas avoir à nettoyer les vêtements à la main. Le lavage à la main est souvent très long et fait en sorte que les vêtements ne peuvent pas être nettoyés tous les jours si l’on veut qu’ils soient secs pour le lendemain, ce qui entraîne souvent un flétrissement prématuré du costume. Barbeau a d’abord pensé à l’aspect pratique du nettoyage quotidien des costumes et à leur entretien puisque le soin apporté aux vêtements en prolonge sa durabilité. Le costumier s’est ainsi opposé à ce qu’il considérait comme le « snobisme des matières33 » de certains scénographes qui utilisaient

des tissus magnifiques, comme la soie ou l’organza, mais qui ne se lavaient qu’à la main. La production de La Sagouine a également marqué le début d’une longue collaboration entre Maillet et Barbeau, qui ont travaillé ensemble sur l’entièreté des productions théâtrales de l’auteure au Rideau Vert. Une relation de confiance s’est installée entre l’auteure et le costumier, leurs discussions nourrissaient l’imaginaire du concepteur dans la création des costumes.

En 1974, Roland Laroche* a signé la mise en scène de la pièce Mariaagélas (1974) de Maillet, qui mettait en vedette Denise Pelletier et Michelle Rossignol et où Barbeau a conçu les costumes. Les contraintes de temps ont fait en sorte que les costumes ne correspondaient pas à ce que Barbeau avait imaginé.

32 Renée NOISEUX-GURIK (1997), « François Barbeau, costumier : une esthétique ambivalente »,

L’annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, Montréal, nº 22, automne, p. 62.

33 François Barbeau dans Roxanne MARTIN (2012a), Quatrième entretien avec François Barbeau, Montréal, 19

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Quelques années plus tard, soit en 1981, Maillet a écrit une seconde version de la pièce, intitulée La contrebandière (1981), qui a été encore une fois présentée au Rideau Vert dans une mise en scène de Laroche. Barbeau a alors pris le temps nécessaire pour créer des costumes qui respectaient sa conception de la pièce. Somme toute, les maquettes des costumes de Mariaagélas sont très similaires, les deux versions du même personnage portent toutes les deux un chandail et une veste dans des tons chauds et une jupe qui arrête sous le genou et des bottes de ferme. L’idée du personnage reste la même d’une production à l’autre, c’est l’horaire de confection des costumes qui a fait toute la différence entre les deux. Les délais très serrés de confection qui avaient été octroyés aux employés de l’atelier en 1974 furent rallongés en 1981 afin de permettre aux coupeurs et aux couturières de prendre le temps nécessaire à la fabrication des costumes.

En 1976, Barbeau a dessiné les vêtements de scène des personnages d’Évangéline Deusse (1976) d’Antonine Maillet ; un texte qui avait touché le concepteur de costumes à un point tel qu’il en a signé la mise en scène34 lors d’une reprise de la pièce en 1996 à la

34cf. Les mises en scène de Barbeau seront abordées au chapitre 8.

Figure 26 : Maquette de François Barbeau, La

contrebandière (1981) d'Antonine Maillet,

Théâtre du Rideau Vert, sur la maquette : Mariaagélas (Louise Marleau), photo : Roxanne Martin (Fonds François Barbeau, BAnQ).

Figure 25 : Maquette de François Barbeau,

Mariaagélas (1974) d’Antonine Maillet,

Théâtre du Rideau Vert, sur la maquette : Mariaagélas (Michelle Rossignol), photo : Roxanne Martin (Fonds François Barbeau, BAnQ).

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Compagnie Jean-Duceppe. Il a également collaboré à la production du Bourgeois gentleman (1978) qui était une version revue et adaptée par Maillet du Bourgeois gentilhomme de Molière dans une mise en scène de Buissonneau. Le travail de Barbeau sur cette production est souligné dans une critique de Lettres québécoises : « La mascarade ne serait pas complète sans les costumes de François Barbeau qui personnalise subtilement les caractères de ces bourgeois empruntés35 ». L’article a critiqué sévèrement la faiblesse de la pièce, la mise en

scène caricaturale de Buissonneau et la Toinette de Léger, trop proche, selon le critique, de son interprétation de la Sagouine. La critique a souligné cependant le travail du costumier, plus subtil, qui a tenté d’expliquer à travers les costumes le message de la pièce de Maillet.