• Aucun résultat trouvé

Productions : Théâtre de l’Égrégore

Chapitre 5 : Une carrière en ébullition (1962-1980)

5.3. Productions : Théâtre de l’Égrégore

L’acteur et metteur en scène Roland Laroche, que Barbeau connaissait depuis son travail sur Venise Sauvée (1959), a fondé, avec Françoise Berd, André Pagé* et Gilbert Fournier, le Théâtre de l’Égrégore**22 en 1959.

Laroche a contacté le concepteur pour que ce dernier fasse les costumes de la première production de ce théâtre d’avant-garde, Une femme douce (1959) de Fedor Dostoïevski. François Guillier, comédien français et étudiant au Conservatoire d’art dramatique de Montréal, interprétait le premier rôle masculin (Lui) alors que Marthe Mercure interprétait le rôle de sa femme (Elle). Barbeau a alors fait face à différentes contraintes : le théâtre, qui débutait, ne possédait aucun costume et peu de moyens, les fondateurs voulaient en faire un théâtre innovateur et les costumes reflétaient ce désir de nouveauté. Devant les

22 Robert LÉVESQUE (1993), « On appelle cela de l'histoire », Le Devoir, Montréal, samedi 4 septembre,

p. C1.

Figure 33 : Une femme douce (1959) de Fedor Dostoïevski, mise en scène de Roland Laroche, Théâtre de l'Égrégore, sur la photo : François Guillier (Lui), Marthe Mercure (Elle) et Denise Morelle (La bonne), photo : 102P_660_f3_558, Scène de la pièce de théâtre Une femme douce, [1966 ou 1967] [reprise de la pièce], Archives UQAM, Fonds d’archives Robert-Prévost, 93P-600 : F3/558.

121

décors minimalistes de Jean-Paul Mousseau, Barbeau fit le choix du contraste en habillant le personnage du mari et de la bonne d’habits sobres aux couleurs sombres afin de mettre en valeur le personnage de Marthe Mercure, vêtue d’une robe blanche à pois, inspirée de la fin du XIXe siècle. Au final, Barbeau a été satisfait du résultat et d’avoir fait partie de

cette nouvelle façon de faire du théâtre. Son passage au Théâtre de l’Égrégore constitue une période importante pour le concepteur, qui était fier de participer à la présentation de textes qui n’avaient jamais été montés sur les scènes montréalaises et qui étaient, pour l’époque, audacieux.

Toujours en 1959, Barbeau a conçu les costumes pour Été et fumée (1959) de Tennessee Williams dans une des premières mises en scène de Pagé. Berd a dit au sujet du choix de la pièce, qu’à l’époque « Tennessee Williams […] n’était pas alors un auteur populaire. Le choix était celui d’André [Pagé]. Nous [L’Égrégore] étions les premiers à le monter à Montréal. Et la pièce a eu un

énorme succès. Alors nous avons ajouté la recherche au niveau visuel23 ». Cette recherche

s’est faite dans une volonté de dépouillement de la scène et de simplicité dans les costumes, le théâtre cherchait un style et des nouveaux moyens d’expression qui sortaient des conventions établies par les grands théâtres de Montréal. Ainsi, Barbeau a fait le choix des tons clairs pour évoquer l’été et le fait que les deux personnages se rencontrent alors qu’il fait chaud. Le complet d’Albert Millaire (John) est ainsi très blanc pour rappeler la période estivale du sud des États-Unis alors que le personnage d’Alma, interprétée par Kim Yaroshevskaya, est une vieille fille qui porte une robe un peu plus sombre, comme si cette dernière ne pouvait plus aspirer au blanc rappelant la robe de mariée.

23 Françoise Berd dans Josette FÉRAL (1986), « Enfin de véritables serviteurs du théâtre ! » dans Cécile

CLOUTIER-WOJCIECHOWSKA et Réjean ROBIDOUX, Solitude rompue, Ottawa, Éditions de

l’Université d’Ottawa, Cahier du CRCCF, p. 107.

Figure 34 : Été et fumée (1959) de Tennessee Williams, mise en scène d’André Pagé, Théâtre de l'Égrégore, sur la photo : Kim Yaroshevskaya (Alma) et Albert Millaire (John), photo : 102P_660_f3_79, Scène de la pièce de théâtre Été et fumées [sic], Archives UQAM, Fonds d’archives Robert-Prévost, 93P-600 : F3/79.

122

Au Théâtre de l’Égrégore, Barbeau a rencontré le metteur en scène André Pagé avec qui il a travaillé plus tard à l’École nationale de théâtre. Dès leur rencontre, le costumier a reconnu la générosité, le sens de l’humour et la sensibilité de Pagé. Son ouverture et sa disponibilité en ce qui concerne les costumes ont fait en sorte que le concepteur a trouvé chez le metteur en scène quelqu’un qui le poussait à se dépasser. Il a collaboré à nouveau avec lui quelques années plus tard, toujours à l’Égrégore, à la production d’Oncle Vania (1966) d’Anton Tchekhov alors que Pagé était devenu un metteur en scène reconnu qui réalisait également des émissions jeunesse à Radio-Canada.

En 1960, Barbeau conçoit les costumes pour la production Fin de partie (1960) de Samuel Beckett que l’Égrégore monte deux ans seulement après la création faite par Roger Blin, à Paris. La production montréalaise, mise en scène par Jacques Zouvi, mettait en vedette Jacques Godin, Jean-Louis Millette, Roland Lepage et Kim Yaroshevskaïa. La pièce est boudée du public et les comédiens ne jouent que devant des salles de six à huit spectateurs. Ce n’est qu’à la reprise de la pièce, en 1964, qu’elle a finalement rejoint son public et a fait salle comble. Pour faire les costumes des personnages de Nell et Nagg, Barbeau a conçu des vêtements qui avaient l’air usé, comme le sont les personnages, immobiles et confinés à leur poubelle. En plus d’être vêtus de pyjamas, les deux personnages portaient des bonnets de nuit, une version féminine pour Nell et masculine pour Nagg. Des costumes qui évoquaient alors l’intimité et la routine de ce couple vieillissant, l’éternel recommencement si cher à Beckett.

En 1963, le théâtre a déménagé du 2111 de la rue Clark au 190 de la rue Dorchester et a présenté Le roi se meurt (1963) d’Eugène Ionesco dans une mise en scène de Ronfard.

Figure 35 : Fin de partie (1960) de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Zouvi, Théâtre de l’Égrégore, sur la photo : Kim Yaroshevskaïa (Nell) et Roland Lepage (Nagg), photo : 102P_660_f3_89, scène de la pièce de théâtre Fin de partie, 1960, Archives UQAM, Fonds d’archives Robert-Prévost, 93P-660 : F3/89.

123 La pièce avait été créée quelques mois auparavant à Paris, en décembre 1962, par Jacques Mauclair. Ronfard voulait que la production mette l’accent sur les costumes et avait insisté pour que Barbeau fasse également les décors de la production. Le concepteur a décidé de limiter le décor à une estrade et à trois chaises afin de mettre les acteurs et les costumes en valeur. Le metteur en scène voulait que le costume du roi fasse de Maurice Dallaire, l’acteur qui l’interprétait, un homme grand et majestueux. Toutefois, Dallaire n’était pas très grand et Ronfard a alors suggéré que l’acteur porte des cothurnes. Assez tôt dans les répétitions, alors qu’il les portait, Dallaire a un jour perdu pied et n’a plus voulu les rechausser.

Encore une fois, le Théâtre de l’Égrégore a été une école pour Barbeau où il a découvert un groupe d’acteurs, de metteurs en scène et de concepteurs tous passionnés par leur métier et habités par la même urgence de créer, comme Gilbert Fournier qui était régisseur et assistant à la mise en scène et Claude Godbout qui travaillait comme machiniste, mais aussi comme homme à tout faire. Le costumier avait enfin l’impression d’appartenir à une équipe qui partageait son amour du théâtre et qui était animée de la même urgence de créer. L’esprit de troupe créait une osmose créative entre les différents membres de l’équipe que le costumier n’a pas souvent revécue.