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Chapitre 4 : Les années au Théâtre du Rideau Vert (1962-1980)

4.8. L’atelier du Rideau Vert

Le concepteur a été responsable de l’atelier de costumes du Rideau Vert, qui s’est constitué avec le temps. Au début des années 1970, aucun théâtre n’avait d’atelier de costumes à proprement parler36. Barbeau a même dit à ce sujet : « Moi, j’ai commencé à

travailler à l’époque où il n’y avait d’ateliers nulle part : on passait [notre] temps à voyager d’un bout à l’autre de la ville [entre le lieu où on travaillait et les théâtres]… et avec ça, on avait toujours oublié quelque chose ! Les ateliers simplifient beaucoup le travail37 ». À ses

débuts au Rideau Vert, le concepteur travaillait dans le sous-sol du théâtre, dans un lieu exigu au plafond bas. Puis, les locaux au-dessus du théâtre se sont libérés et Palomino a eu l’idée d’y faire un atelier, privilège rare pour un théâtre québécois : « De septembre à mai, [affirme Barbeau,] le local re[cevai]t des centaines de comédiens pour les essayages. Il [était] habité de quatre employés réguliers qui coup[ai]ent, cous[ai]ent et teign[ai]ent les tissus38 ». L’atelier comprenait une coupeuse, Erica Hoffer*, des couturières dont le

nombre variait selon les productions, une section consacrée à la coupe féminine, sous la direction de Michelle Nagy et une autre pour les accessoires. L’atelier a permis à plusieurs concepteurs d’avoir un travail stable tout en étant un lieu de création et d’idées. Barbeau

35 « Le théâtre qu’on joue » (1978), Lettres québécoises : la revue de l'actualité littéraire, n° 12, p. 20. 36 Il est à noter que ces ateliers sont aujourd’hui fermés et que leur existence a été de courte durée.

37 François Barbeau dans Gilles MARSOLAIS (1978), « Gilles Marsolais rencontre François Barbeau »,

Théâtre, vol. 4, nº 6, avril, p. 6.

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gérait l’atelier, les commandes et les employés quand il était le concepteur des costumes de la production, mais laissait sa place si un autre était engagé39 ou s’il agissait à titre

d’assistant.

Palomino a été importante pour le concepteur au début de sa carrière. Sous les conseils d’Antoinette Verville, guichetière du Gésù où jouait le Rideau Vert à l’époque40,

Barbeau a demandé à Palomino s’il pouvait la rencontrer pour lui demander du travail. La directrice générale du théâtre lui avait répondu qu’elle ne cherchait pas, à ce moment-là, à engager un concepteur de costumes. Elle l’avait toutefois encouragé à continuer dans cette voie. Brind’Amour, la directrice artistique du théâtre, a été également importante pour le concepteur qui appréciait son ouverture d’esprit et son enthousiasme, elle qui était toujours prête à expérimenter de nouvelles choses. Palomino et Brind’Amour le nommeront directeur artistique du Théâtre, un titre plutôt honorifique, mais qui lui permettait parfois de faire quelques suggestions dans la programmation et de donner son avis quand les directrices le lui demandaient.

La plupart des articles sur Barbeau affirment qu’il était le costumier maison du Rideau Vert. La situation n’était pas aussi simple ni aussi clairement établie. Son contrat était renouvelé annuellement et il n’était pas imposé par la direction, les metteurs en scène avaient le choix de travailler avec lui ou avec un autre concepteur de costumes41. Les

années au Rideau Vert ont cependant été des années de création et de liberté où les deux directrices l’ont laissé expérimenter des choses, comme différents tissus et teintures.

Cette liberté dans la création s’illustre bien avec la production Becket ou l’homme de Dieu (1971) de Jean Anouilh pour laquelle Barbeau a dessiné les costumes et où tous les

39 Ceci arrivait très rarement, puisque Barbeau concevait les costumes de tous les spectacles de la saison ou

de quatre productions sur les cinq présentées la même année.

40 Fondé en 1946, le Théâtre du Rideau Vert a présenté ses productions au Gésù jusqu’en 1960, puis il a

déménagé dans l’ancien Théâtre Stella de la rue Saint-Denis, où il est encore aujourd’hui.

41 Lorsque la programmation de la saison se préparait, les deux directrices du théâtre demandaient aux

metteurs en scène quel costumier ils désiraient engager pour leur production. Les metteurs en scène, qui connaissaient la réputation de Barbeau, l’engageaient souvent. Toutefois, s’ils désiraient quelqu’un d’autre, ils avaient la liberté de choisir un autre costumier. Barbeau n’était pas imposé par le Rideau Vert.

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vêtements étaient faits en macramé42 et pour lesquels, le concepteur avait commandé pour

1 000 $ (de l’époque) de corde. Une folie, mais surtout une grande liberté dans la création que Noiseux-Gurik a décrit ainsi :

Dans les temps fastes (les années 1970), il ira jusqu’à faire tisser les costumes de productions entières […]. Mais c’est au Rideau Vert, grâce à son poste permanent dans ce théâtre, qu’il impose le tissage durant huit à dix ans. De plus, les ressources d’un atelier organisé selon ses exigences lui permettent d’échelonner son travail sur un plus long laps de temps et de faire exécuter plusieurs productions en même temps. Là, […] il peut s’adonner à toutes sortes d’expériences dont, par ricochet, bénéficient d’autres théâtres43.

L’atelier a permis à l’équipe des costumes d’explorer les tissus et les matières, comme de faire des tests avec le crinyl et le macramé, de faire des essais de teintures et de prendre le temps de se tromper et de recommencer. Un laboratoire d’expérimentation unique qui a été un lieu enrichissant pour Barbeau44. La confiance de Palomino envers les gens de

l’atelier était entière et ses exigences se résumaient à ce que l’investissement du théâtre se voit sur la scène. De plus, Barbeau avait l’impression que la directrice générale du Rideau Vert lui avait confié l’atelier en sachant qu’il y travaillerait davantage, ne comptant pas ses heures.