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Productions : Nouvelle Compagnie Théâtrale

Chapitre 5 : Une carrière en ébullition (1962-1980)

5.4. Productions : Nouvelle Compagnie Théâtrale

Comme au Théâtre de l’Égrégore, Barbeau est le costumier qui a conçu les vêtements de scène de la première production de la Nouvelle Compagnie Théâtrale**

Figure 36 : Le roi se meurt (1964) d’Eugène Ionesco, mise en scène de Jean-Pierre Ronfard, Théâtre de l’Égrégore, sur la photo : Maurice Dallaire (Bérenger), Denise Morelle (Marie), Charlotte Boisjoli (Marguerite), photo : 102P_660_f3_402, scène de la pièce de théâtre Le roi se meurt, [1962 ou 1963] [sic], Photographie : Reynald Rompré, Archives UQAM, Fonds d’archives Robert-Prévost, 93P-660 : F3/402.

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(NCT), en 1964. D’après les statistiques recensées par Renée Noiseux-Gurik24, Barbeau a

conçu, au cours des 25 premières années d’existence de la NCT, les costumes pour vingt- et-une productions en plus de dessiner les décors de deux spectacles25. Il est le concepteur

qui en a créé le plus et de loin, puisque qu’il est suivi de Pierre Perrault qui en a conçu neuf, alors que Noiseux-Gurik et Janet Logan* en ont respectivement conçu sept.

Georges Groulx a mis en scène la plupart des pièces pour lesquelles Barbeau a collaboré à la NCT au cours de ses premières années d’existence, à l’époque où elles étaient présentées au Gesù26. L’esprit de la compagnie était détendu, familial et le concepteur

travaillait presque toujours avec la même équipe de production. Il se souvient que Françoise Graton* veillait à créer un bel esprit de groupe et était soucieuse des besoins des membres de l’équipe.

Comme première production, la NCT a présenté Iphigénie (1964) de Jean Racine, dans une mise en scène de Groulx. Barbeau affirmait que concevoir les costumes et les décors de la première production d’une nouvelle compagnie avait quelque chose d’électrisant27. Les

collaborations entre le metteur en scène et le concepteur se sont déroulées dans une franche camaraderie et, malgré le fait que Georges Groulx ne posait pas beaucoup de questions par rapport aux costumes, leur amitié faisait en sorte que le costumier avait envie de se dépasser afin de servir au mieux le travail de Groulx. Le metteur en scène avait une grande

24 Renée NOISEUX-GURIK (1988), loc. cit., p. 183-184.

25 Barbeau s’implique également au sein de la compagnie et collabore aux productions à titre de dramaturg et

collabore aux Cahiers de la Nouvelle Compagnie Théâtrale, en y signant quelques textes.

26 Ce n’est qu’en 1977 que la NCT s’est installée dans ses locaux actuels, le Théâtre Denise-Pelletier, l’ancien

Théâtre Granada, sur la rue Sainte-Catherine à Montréal.

27 François Barbeau dans Roxanne MARTIN (2012c), Sixième entretien avec François Barbeau, Montréal, 18 juin,

enregistrement électronique, 1 h 43.

Figure 37 : Iphigénie (1964) de Jean Racine, mise en scène de Georges Groulx, Nouvelle Compagnie Théâtrale, sur la photo : Denise Pelletier, Françoise Graton (Iphigénie), ?, photo : gracieuseté du Théâtre Denise-Pelletier.

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confiance dans les capacités du concepteur, qui arrivait avec ses propositions que, la plupart du temps, Groulx acceptait avec enthousiasme.

Leur complicité se transposait dans l’harmonieux dialogue entre les costumes et la mise en scène, faisant souvent des productions au résultat spectaculaire28. Noiseux-Gurik

a souligné la contribution du costumier à la première production de la NCT : « La première saison débute avec Iphigénie de Jean Racine, dans […] des décors et costumes de François Barbeau. Cet artiste a été l’un des principaux artisans de l’époque du Gesù, véritable sculpteur des corps dans l’espace29 ». Noiseux-Gurik souligne ainsi l’équilibre entre le

corps des acteurs sculpté par les costumes de Barbeau et l’espace scénique déterminé par Groulx. Cet équilibre se remarque également entre le drapé des costumes d’inspiration grecque et le drapé du décor, qui représente la tente militaire du roi Agamemnon. Se démarque Iphigénie, interprétée par Françoise Graton, dont le costume blanc évoque la pureté et l’amour de la jeune femme

pour son père.

Barbeau a collaboré encore avec Groulx sur la production du Jeu de l’amour et du hasard (1964) de Marivaux, qui a ensuite été reprise en 1969. C’est alors que Martial Dassylva a souligné l’apport de Barbeau à la production :

D’un goût exquis, le décor de [Claude] Fortin reproduit avec élégance un petit jardin Louis XV, dans lequel les costumes

de François Barbeau trouvent, si je puis m’exprimer ainsi, leur respiration naturelle et leur ambiance normale. Le talent de Barbeau rallie depuis longtemps tous les suffrages, mais j’ai le sentiment que cet artisan de calibre

28 Ils collaboreront ensemble sur les productions de La locandiera (1965) de Carlo Goldoni, Dom Juan de

Molière et Jeanne et ses juges de Thierry Maulnier, toutes les deux en 1966.

29 Renée NOISEUX-GURIK (1998), loc. cit., p. 166.

Figure 38 : Le jeu de l'amour et du hasard (1969) de Marivaux, mise en scène de Georges Groulx, Nouvelle Compagnie Théâtrale, sur scène : François Rozet (Monsieur Orgon) et Gaétan Labrèche (Mario?), photo : gracieuseté du Théâtre Denise-Pelletier.

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supérieur s’est surpassé ici à la Nouvelle Compagnie Théâtrale et au Rideau Vert (il a fait de superbes costumes pour La jalousie de Guitry)30.

Pour cette production, le défi de Barbeau était de rendre les costumes vraisemblables dans leur élément scénique, soit les décors de Claude Fortin. Pari réussi si l’on en croit Dassylva qui a fait remarquer la « respiration naturelle » des vêtements, un aspect cher à Barbeau qui tient à la concordance entre le costume et le personnage et son époque, qui traduit la cohérence entre la période historique du décor et celle des costumes. Toujours selon Dassylva, la réputation d’excellence de Barbeau n’est plus à faire, ralliant « depuis longtemps » l’avis des gens du milieu. Pourtant, le concepteur ne travaille professionnellement que depuis huit ans lorsque l’article parait, c’est dire qu’il s’est imposé rapidement comme étant l’un des grands costumiers du milieu théâtral.

Au cours des trois premières saisons de la NCT (1964- 1966), Barbeau a dessiné les costumes de toutes ses productions où il a également travaillé avec le metteur en scène Paul Blouin. Ce dernier avait une approche différente du costume comparée à celle de Groulx. Lors de la présentation des maquettes de costumes par Barbeau, Blouin était capable de visualiser les habits des

personnages et de les imaginer sur scène. Il posait ensuite des questions au costumier et demandait à l’occasion de modifier certains éléments du costume pour qu’il corresponde mieux à ce qu’il avait en tête. Blouin voyait ce que le vêtement pouvait apporter à sa mise en scène et leur aspect visuel était important pour lui. Le costumier confectionnait ensuite les costumes, comme ceux du Cid (1965) de Pierre Corneille ou de Zone (1977) de Marcel

30 Martial DASSYLVA (1975), « Un Marivaux discret et charmant » (20 janvier 1969), Un théâtre en effervescence,

critiques et chroniques 1965-1972, Montréal, Édition La Presse, Collection échanges, p. 191.

Figure 39 : Zone (1977) de Marcel Dubé, mise en scène de Paul Blouin, Nouvelle Compagnie Théâtrale, sur la photo : Jacques Thériault (Ledoux), Marcel Gauthier (Tarzan), Yvan Canuel (Roger), photo : gracieuseté du Théâtre Denise-Pelletier.

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Dubé, à partir de leurs discussions et des suggestions de Blouin. Il a trouvé en Blouin un interlocuteur allumé et intéressé à ce que le concepteur apportait à la production.

Barbeau a également travaillé avec l’acteur Gilles Pelletier*, cofondateur du théâtre, lorsqu’il a fait quelques mises en scène à la NCT. Leur première collaboration a été la production de Dom Juan (1972) de Molière31. Dassylva n’a pas semblé apprécier l’aspect

western de la pièce :

En effet, la première étrangeté de ce Dom Juan qu'on joue sur la scène du Gesù réside dans l'habillement, conçu pourtant par François Barbeau, et qui nous reporte, d'une part, aux westerns de Sergio Leone et, d'autre part, aux nouvelles espagnoles de Prosper Mérimée. Dans le spectacle de la Nouvelle Compagnie Théâtrale, les compagnons et les serviteurs de Dom Juan sont tous habillés comme Willie Lamothe et Claude Blanchard, tels qu'on peut les admirer dans un commercial de bière présenté ces temps-ci à la télévision ; Dom Luis, le père de Dom Juan est déguisé en shérif janséniste ; Sganarelle ressemble à un vacher auquel il ne manquerait que le fringant coursier et le colt sur la fesse ; Dom Juan lui-même, avec deux costumes en particulier, l'un tout noir et l'autre tout blanc, fait penser à toréador qui se serait égaré sur le plateau de Il était une fois dans l'Ouest. Quant au décor de Claude Fortin, qui utilise le plateau tournant, il se situe à mi-chemin entre le style espagnol chantourné et friand de fer forgé et le néo-expressionnisme abstrait32.

La scénographie et l’originalité des costumes semblent avoir surpris et déstabilisé le critique. Le costume blanc de Dom Juan, que mentionne Dassylva, est constitué d’une chemise, d’un pantalon, d’une ceinture, d’une veste et d’un chapeau de cowboy, tous du même blanc immaculé et orné de clous. Le blanc de la pureté jure un peu sur un personnage aussi en nuances que Dom Juan, mais montre le statut social de celui qui ne se salit jamais les mains. Le costume de Charlotte, interprétée par Françoise Graton, dans des

31 Barbeau allait collaborer avec Pelletier sur d’autres productions comme Arlequin valet de deux maîtres (1977)

de Carlo Goldoni et Zone (1979) de Marcel Dubé.

32 Martial DASSYLVA (1975), « Dom Juan miné par l'anecdote » (4 novembre 1972), op. cit., p. 206.

Figure 40 : Dom Juan (1972) de Molière, mise en scène par Gilles Pelletier, Nouvelle Compagnie Théâtrale, sur la photo : Guy L’Écuyer (Sganarelle), Gilles Pelletier (Dom Juan), Françoise Graton (Charlotte), photo : André LeCoz, gracieuseté du Théâtre Denise-Pelletier.

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teintes beaucoup plus foncées montrent tout de suite la classe sociale de la paysanne alors que le filet sur son décolleté plongeant fait référence au métier de pêcheurs de ses concitoyens.

Barbeau a collaboré souvent avec la NCT, toutefois après le déménagement de la NCT au Théâtre Denise-Pelletier en 1977, les rapports de Barbeau avec la compagnie se sont étiolés et le concepteur y a travaillé de moins en moins. En 1978, il travaille à deux productions du théâtre : Marie Tudor (1978) de Victor Hugo dans une mise en scène de Gaétan Labrèche et Le malade imaginaire (1978) de Molière dans une mise en scène d’Yvan Canuel :

En 197[8], il faisait avec le metteur en scène Yvan Canuel une relecture du classique Le malade imaginaire de Molière, en situant l’action dans un non-lieu constitué de toiles tendues, telles des trampolines à l’horizontale. Ce tréteau moderne servait admirablement de fond aux costumes texturés de François Barbeau33.

Noiseux-Gurik fait ici référence au souci de la texture si cher à Barbeau, puisqu’il superpose les tissus et mélange des types de matériaux, afin d’ajouter du relief au costume et de reconstituer un habit d’époque ou de créer l’illusion d’un vêtement authentique. La robe de chambre d’Argan est faite d’un tissu épais et matelassé ressemblant au tissu d’une couverture et qui rappelle que le personnage passe ses journées au lit. La coiffe du personnage faite d’un tissu semblable à celui d’une serviette de bain ajoute une autre texture liée au confort. De plus, la robe de Toinette est elle aussi faite de tissus aux textures différentes ; notons surtout le coton nid d’abeille de la jupe avec motif quadrillé en relief.

33 Renée NOISEUX-GURIK (1988), loc. cit., p. 169.

Figure 41 : Le malade imaginaire (1978) de Molière, mise en scène d’Yvan Canuel, Nouvelle Compagnie Théâtrale, sur la photo : Jacques Brousseau, ? (Toinette), Yvon Dufour (Argan), photo : André LeCoz, gracieuseté du Théâtre Denise-Pelletier.

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