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La question des trois temps du costume dans la production théâtrale

Chapitre 1 : L’approche méthodologique

1.4. La question des trois temps du costume dans la production théâtrale

Il est un autre aspect important de la méthodologie de la recherche. Il s’agit de trois concepts mis au point par Sylvie Perault, lesquels permettent de comprendre la vie, ou les trois temps, du costume de scène qui « apparaît premièrement comme objet artisanal avant

23 La numérisation des maquettes est cependant incomplète puisque plusieurs boites de documents déposées

par Barbeau au début des années 2010 n’avaient pas encore été intégrées au Fonds d’archives. J’ai également manqué de temps dans la numérisation des boites de l’atelier. BAnQ a annoncé la numérisation complète du Fonds de Barbeau qui devrait être finalisée sous peu.

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de devenir objet théâtral puis objet patrimonial25 ». Cette présentation des trois temps de

l’habit de scène sera fondamentale à la thèse et sera explicitée au fil de l’évolution de l’approche de Barbeau.

Le premier temps correspond à l’objet artisanal qui renvoie au processus de conception et de confection du costume où le designer imagine et supervise la réalisation du vêtement. L’ « objet artisanal » qu’est le costume est créé par un concepteur et un ensemble d’artisans qui l’imaginent et le travaillent. C’est le temps qui correspond à la période entre l’embauche de Barbeau pour une production et la première représentation sur scène. Un temps consacré à la réflexion, à la création, à la recherche, aux rencontres, aux dessins, à la confection, aux essayages. Le deuxième temps coïncide avec le moment où le vêtement est porté par un acteur sur scène, il devient alors un « objet théâtral » puisqu’il sert le propos de la pièce. Le deuxième temps est le moment où le costume est porté sur scène, mais aussi entretenu et nettoyé par l’habilleur, ou transporté lors des tournées. L’objet théâtral est la visée première du costume. Le troisième et dernier temps représente la période, après les représentations, où le costume devient un objet patrimonial. C’est le temps où un vêtement de scène peut être entreposé dans un atelier ou un costumier, soit pour la prochaine série de représentations si la production est annuelle, soit pour être plus tard réutilisé et modifié pour une autre production ou, finalement, où il peut être conservé pour être exposé dans un théâtre ou dans un musée.

Le rôle et la fonction du costume de scène dans son usage premier, celui de l’objet théâtral, sont ainsi définis par Christian Biet :

[L]e costume est un élément fondamental du mouvement dramatique parce qu’il participe à la fois de l’espace, de l’action et du temps. Lien visible, il est immédiatement vu comme faisant simultanément partie du décor et du corps, et il assure les transitions entre l’acteur et les praticiens (le costume est porté par l’acteur et conçu par le costumier et le metteur en scène), entre le lieu (c’est un objet) et l’espace (il en est un signe), entre le privé du comédien (son corps réel) et ce qu’il joue (son personnage ou sa performance), enfin entre le monde référentiel (extérieur et / ou historique) et l’univers (le lieu et l’espace) du spectacle. Ce faisant, il est au centre du jeu, au risque d’inquiéter lorsqu’il semble à lui tout seul faire l’identité fictive d’un personnage ainsi surthéâtralisé dans l’exaltation d’un paraître dont la facticité exaltée et

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ritualisée peut entraîner une interrogation vertigineuse sur la nature de l’être auquel il est censé renvoyer26.

Le costume incarne un signe visible, le résultat physique des discussions entre le concepteur et le metteur en scène qui ont imaginé ensemble la présentation visuelle du personnage. Le vêtement de scène évoque la personnalité du personnage sans trop en révéler, il inspire l’acteur sans rien imposer à son interprétation. Il constitue également un signe dans l’espace du spectacle où il révèle au public quelque chose sur le lieu, l’espace et le temps, l’univers de la pièce. Comme le fait ressortir la costumière Geneviève Sevin- Doering, « faire un costume, c’est relier un acteur à la pièce, à lui-même, au public et [...] cette fonction l’inscrit d’abord dans l’espace habité27 ». Le costume est l’objet qui incarne

à la fois le travail du concepteur, la vision du metteur en scène, le corps de l’acteur et la compréhension visuelle du spectateur. Ce faisant, Barbeau s’opposera au costume qui en dit trop et à toute surthéâtralisation du vêtement de scène qui annonce tout de la psyché du personnage avant que l’acteur n’ait ouvert la bouche.

Enfin, le caractère patrimonial du costume provient de ce qu’il évoque sur l’acteur qui l’a porté, la production pour laquelle il a été conçu (texte, théâtre, époque), le metteur en scène et ses choix esthétiques et la vision du personnage du concepteur de costumes. Cet aspect de mémoire du costume est plus récent, car « ce n’est pas sa vocation puisqu’à l’origine le fait théâtral s’inscrit dans l’ici et maintenant28 ». Toutefois, la mémoire de

l’accessoire vestimentaire, l’objet patrimonial de la représentation est parfois difficile à retracer. Le costume dans la plupart des cas n’existe plus, il faut alors trouver des preuves visuelles de son existence, à travers des dessins ou des photographies. Liée au caractère éphémère de l’art théâtral, la vie patrimoniale du vêtement de scène est souvent quasi inexistante.

Les premières années de carrière de Barbeau ont été les plus difficiles à documenter en raison du peu de traces laissées par les différents théâtres qui ont depuis fermé leurs

26 Christian BIET (2007), « Introduction. Des propriétés du costume et de la manière de s’en défaire », dans

Anne VERDIER, Olivier GOETZ et Didier DOUMERGUE, op. cit., p. 15.

27 Geneviève SEVIN-DOERING (1999), « Du Costume de théâtre, conception et finalité », Lifting, la revue

du musée de la mode, nº 1, Marseille, avril, p. 30, cité par Dider DOUMERGUE (2007), dans « “Faire corps

avec” : l’art de Geneviève Sevin-Doering », dans Anne VERDIER, Olivier GOETZ et Didier DOUMERGUE (2007), op. cit., p. 380-381.

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portes. Ainsi, les informations sur les représentations sont fragmentaires et lorsque les journalistes ou observateurs de l’époque consignaient les données sur l’auteur et le metteur en scène, ils ont souvent omis de mentionner les concepteurs et n’ont que très rarement fait la description des costumes et décor de la production. De ce fait, le Théâtre de l’Égrégore, théâtre d’avant-garde qui a été fondé en 1959, est un bon exemple puisqu’il ne reste presque aucune trace des productions. Le Fonds d’archives du théâtre, dont une partie se trouve à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), contient surtout des papiers administratifs et des photographies, mais peu d’informations sur les spectacles, comme les auteurs, metteurs en scène, acteurs et, dans le cas qui nous intéresse, les concepteurs de costumes. Après avoir fait une liste complète des productions de l’Égrégore, les informations recueillies ont été croisées avec celles déjà obtenues à partir d’autres sources afin de compléter les manques. Certaines données étaient néanmoins contradictoires et ont été vérifiées grâce à Barbeau.

Le récit de la carrière de Barbeau se penchera alors sur ces trois temps du costume : l’approche créatrice de Barbeau qui mène à la conception et la confection du costume, la contextualisation de la production dans laquelle le vêtement est utilisé et la vie patrimoniale du vêtement, parfois collectionné pour être exposé ou parfois conservé afin d’être plus tard réutilisé ou transformé.