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Un bref historique : les pionniers de la scénographie québécoise

Chapitre 1 : L’approche méthodologique

1.6. Un bref historique : les pionniers de la scénographie québécoise

La place du costume dans la représentation théâtrale est une considération relativement récente au Québec. Au XIXe siècle, les vêtements de scène étaient choisis ou

fabriqués sans véritable responsable de costumes, et ce, pendant des décennies. À partir de 1896, les artistes québécois ont pu faire leur choix parmi les costumes de la Maison Ponton et plus tard, de la Maison Malabar. La Maison Ponton a été « créée lorsque Joseph Ponton, barbier de la rue Saint-Laurent [Montréal], [a] ach[eté] à une troupe française de passage dans le besoin, ses costumes de théâtre. Il [est] ainsi [devenu] notre premier costumier “commercial”. […] Il fournit, à cette époque, des costumes à nos pionniers de la toute première heure (au Théâtre de l’Académie)40 ». Le costume de théâtre a longtemps

été de la responsabilité des interprètes. L’acteur devait trouver un vêtement de scène qui souvent, ne correspondait pas à la personnalité du personnage ou à l’époque dans laquelle il évoluait. En conséquence, les styles et époques des costumes des différents acteurs sur scène donnaient un résultat plutôt hétérogène. Comme le théâtre européen, le théâtre québécois ne connaîtra pas de véritables visées esthétiques du costume ou de responsable désigné avant les années 1930.

Les premiers concepteurs québécois ont débuté quelques années seulement avant Barbeau. Ainsi, Marie-Laure Cabana* a jeté les bases du métier pour les générations à venir en mettant l’accent sur l’unité stylistique des costumes et sur l’importance de créer des vêtements en lien avec la condition sociale des personnages. Formée comme plusieurs chez Mme Audet, elle y rencontre le concepteur de décors Jacques Pelletier avec qui elle collaborera presque toujours par la suite. Ils travailleront ensemble à la scénographie des Fridolinades de 1941 à 1946, lui aux décors, elle aux costumes.

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Les conceptrices de costumes Claire Dé et Renée Noiseux-Gurik, qui se sont toutes deux penchées sur l’histoire du costume au Québec, s’entendent pour dire que la première costumière professionnelle a été Marie-Laure Cabana :

C’est presque le hasard qui amène Marie-Laure Cabana à dessiner des costumes pour la scène. En principe, rien ne l’y avait préparée sinon cinq ans de Beaux-arts, un don inné pour l’organisation et le goût du spectacle. Un camarade peintre, Jacques Pelletier, son futur mari, sollicite sa participation à une production de la Société Canadienne d’Opérette pour laquelle il dessine les décors : Le pays du sourire [1934]. […] Le coup d’essai devient un coup de maître et le public applaudit et apprécie ces jolis costumes […]. On retrouve le nom de Marie-Laure Cabana associé aux expériences professionnelles marquantes de cette époque : l’Équipe (1943-1948), Les Fridolinades (1942- 1946), les débuts du Théâtre du Nouveau Monde (1951-1952). Mais l’apparition de la télévision et la fondation de la maison de Radio-Canada font bifurquer la carrière de cette costumière. C’est elle qui mettra sur pied et ensuite dirigera le département du costume, ouvrant ainsi la voie à tous les autres costumiers et aux divers métiers attenants qui s’y grefferont. […] Les Robert Prévost, Solange Legendre, Claudette Picard, Richard Lorain, Gilles- André Vaillancourt, Janine Caron, pour ne nommer qu’eux, peuvent rendre au théâtre la maîtrise qu’ils ont acquise à la télévision […]41.

Cabana a été une pionnière dans le domaine du costume et a guidé, à travers son travail à Radio-Canada, une nouvelle génération de costumiers québécois qui, en l’absence d’écoles de théâtre, a été pour la plupart formée à l’École des Beaux-arts de Montréal. Barbeau a fait son entrée dans le milieu quelques années plus tard, alors que ces pionniers du métier étaient à l’apogée de leur carrière.

À la même époque, le travail scénographique de l’artiste-peintre Alfred Pellan42 a marqué les esprits même s’il se résume à trois productions : Madeleine et Pierre 45 (1945), mais surtout Le soir des rois (1946) et sa recréation sous le titre de La nuit des rois (TNM, 1968) pour lesquelles il a créé les costumes, mais aussi les grandes toiles de fond très colorées, les maquillages et les accessoires. L’approche fantasmagorique sinon surréelle de cette conception rompt avec la tradition d’inspiration gréco-kitsch qui avait été associée aux décorateurs qui l’ont précédé et fait de Pellan un créateur innovateur qui a fait entrer

41Ibid., p. 49-51.

42cf. Roxanne MARTIN (2013), « Une nouvelle esthétique théâtrale », dans Eve-Lyne BEAUDRY, Paul

BOURASSA, Roxanne MARTIN et René VIAU, Alfred Pellan. Le rêveur éveillé, Québec, Musée national des

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la scénographie québécoise dans la modernité. Ce dernier n’a toutefois pas poursuivi de carrière dans ce domaine.

Peu de temps après, ont suivi les Robert Prévost, Solange Legendre et Claudette Picard, avec qui Barbeau allait collaborer souvent. Noiseux-Gurik qualifiera ces pionniers de la scénographie québécoise comme « [d]es artistes [qui] jettent les bases d’un nouveau métier : le dessinateur de costumes ou “costumier”43 ». Un métier qui découle d’une

volonté d’harmoniser l’aspect visuel afin qu’il concorde avec le propos de la pièce et de ses personnages et permette d’illustrer la vision esthétique du metteur en scène.

En résumé, le chapitre 1

Pour faire le récit de la carrière du concepteur de costumes François Barbeau, il a d’abord fallu établir une méthodologie qui tiendrait compte de cinq balises. La première est la terminologie afin de déterminer le sens des différents termes qui peuvent être utilisés pour décrire le métier de concepteur des costumes ainsi que ceux associés au vêtement de scène lui-même. Une fois cette balise posée, il a fallu expliciter le traitement du matériel brut que constituent les entretiens effectués avec Barbeau lesquels sont à la base du contenu de la thèse. Cette source première a dû être vérifiée tout au long de la recherche à travers divers recoupements.

En outre, les données recueillies ont été mises en contexte à l’aide de l’approche historiographique qui, en plus de situer les productions de Barbeau en lien avec l’histoire du théâtre québécois, a permis d’élaborer l’idée de maillons d’une chaîne où chaque maillon correspond à une production qui a façonné la carrière du concepteur. Les productions suivent alors un ordre qui, sans être linéaire, traduit les bifurcations propres à la vie. L’historiographie pose aussi le problème de l’histoire immédiate et de ses conséquences sur la gestion des archives et des informations disponibles.

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Conséquemment, le costume comme objet doit également être mis en contexte dans la représentation théâtrale, et ce, considérant les trois temps du costume : objet artisanal, objet théâtral et enfin objet patrimonial. Ces balises méthodologiques étant posées, il a été possible de situer la carrière de Barbeau par rapport à ceux qui l’ont précédé et qui constituent les pionniers de la scénographie québécoise.

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Première partie :

Les débuts

(1955-1961)

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Chapitre 2 : Les premières armes de Barbeau comme concepteur (1955-1961)