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La ville d’Hyères

Edith Wharton – la femme et l’écrivain

1.3. Arrivée en France

1.4.1. La ville d’Hyères

Elle pose ses valises à l’Hôtel du Parc de Hyères et explore les environs accompagnée de son nouvel ami Robert Norton, aquarelliste sans grande ambition, récemment libéré de l’Amirauté britannique. Ils tombent sur une curieuse propriété, nommée « Sainte-Claire-du-Vieux-Château », dans les hauteurs d’Hyères. Ils pensent d’abord qu’il s’agit d’une forteresse en ruines, mais il s’agit en fait d’un ancien couvent de religieuses de l’ordre de Sainte-Claire, construit dans les murs d’un vieux château. Sur le site de l’ancien couvent, Olivier Voutier (mort en 1877 et enterré sur les hauteurs de la propriété) avait fait construire en 1849 une maison de style roman. Edith Wharton tombe amoureuse des lieux, décide de louer la maison pendant sept ans. En 1927, elle l’achète pour la somme d’un million deux-cent cinquante mille francs : “Ste Claire is no mere parterre of heaven; it is the very ‘cielo della quieta’ that Dante […] found above the Seventh Heaven. […] I’ve found the Great Good Place99”.

98. Edith Wharton, A Backward Glance, op. cit., p. 363.

99. Edith Wharton, [Lettre à W. Morton Fullerton, 12 juin 1921], dans : Letters of Edith

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Son « histoire d’amour » avec le sud de la France avait débuté en janvier 1904, lorsqu’elle découvrit pour la première fois la ville d’Hyères. Grasse, Cannes, Monaco, et plus généralement, les villes trop fréquentées de la Riviera, ne parvinrent pas à la séduire, car elles avaient déjà perdu, à son goût, le charme pittoresque et intact qu’elle appréciait tant à Hyères (“the ‘true Provence’, quite separate and hidden away from the fashionable Riviera100”). En mars 1907, lors du voyage en automobile qu’elle avait fait avec Teddy et Henry James, Edith est émerveillée par cette ville, qu’elle semble découvrir à nouveau :

Looking out on it from the pine-woods of Costebelle, above Hyères, one is beset by classic allusions, analogies of the golden age—so divinely does the green plain open to the sea, between mountain lines of such Attic purity. […] this surrender to the spell of the landscape tempts one to indefinite idling. […] It is all a tranquil backwater, thick with local tradition, little floating fragments of association and legend; but art and history seem to have held back from it, as from some charmed Elysian region, too calm, too complete, to be rudely touched to great issues101.

À l’automne de 1915, décidée à s’accorder un court moment de répit dans son investissement sans faille pour la France en guerre, elle se rend, accompagnée de Gide, de Bélugou et de Robert Norton, au Plantier de Costebelle, propriété de ses grands amis, Paul Bourget et son épouse, Minnie, à quelques minutes d’Hyères. Elle a alors le sentiment de retrouver un havre de paix et Hyères devient, pour elle, un véritable refuge.

Les travaux à « Sainte-Claire » sont d’envergure mais n’effraient en rien Edith Wharton qui, investie d’une nouvelle mission, voit en ce projet la promesse d’un nouveau départ. Elle écrit à Royall Tyler : “I am thrilled to the spine […] and I feel as if I were going to get married—to the right man at last!102” Robert Norton revient sur l’étendue des travaux et la détermination et l’énergie nécessaires à un tel projet :

100. Ibid., p. 534.

101 Edith Wharton, A Motor-Flight Through France, op. cit., pp. 132-33. 102. Ibid., p. 417.

Standing on a rocky ledge cut out of a steep hill-side overlooking Hyères, the oldest houses of which clambered to its gates, its garden a tangled wilderness and no means of access except on foot, it might have daunted many a younger lover of the picturesque than its new tenant. But her imagination was stirred by its romantic associations, by the ruined towers of the castellated peak which rose at its back—a pure Albrecht Dürer background—, and by the old red roofs clustering round a fortress-church at its feet, and she took the difficulties in her stride despite the head-shakings of Paul Bourget and other friends. So the house was gutted, new partitions made, roofs rebuilt, drains installed, and a quarter of a mile of motor-road contrived to wind uphill through pine trees, with many sharp turns, to reach its door: not to speak of such accessories as garages, housing for chauffeurs and gardeners, all on the same steep hill-side. Chief task of all, perhaps, was providing the denuded rocky surface with soil. Into all this she threw herself intrepidly, and within a year, I think, the old house had come alive103.

Le fait qu’Edith Wharton ait choisi de vivre dans le vieux Hyères des années 1919, prouve combien elle était attachée à une vision bien particulière de la vie française faite de traditions, de beauté, de goût et par-dessus tout d’exclusivité. Hyères possédait, déjà à l’époque, des quartiers rénovés bien plus proches de la côte, mais Edith s’intéressait davantage au caractère beaucoup plus provincial, atypique et chargé d’histoire que la vieille ville avait à offrir.

Du XIIIe au XVIIIe siècle, cette ville médiévale abritait les communautés religieuses des moines cisterciens dans le monastère de Saint Pierre, des nonnes de l’ordre de Saint Augustin et des sœurs de Sainte-Claire (ordre franciscain) appelées les Clairines ou encore les Clarisses, chargées de l’éducation des jeunes femmes au XVIIe siècle. Après la Révolution, la vieille ville sombre dans la ruine et l’oubli et les Hyérois vivent de l’agriculture et de la pêche. Au XIXe siècle, le climat exceptionnellement doux, ainsi que la beauté et la situation retirée des lieux commencent à attirer un nouveau type de touristes durant les mois d’hiver. Certains finissent par s’y installer et construire de grandes demeures. En 1859, la ligne de chemin de fer s’étend de Paris à Toulon et Hyères, ce qui réduit considérablement le temps du voyage de Paris – de quatre jours et demi à seulement ving-six heures. La Reine Victoria séjourne même à Costebelle en

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1892. Cependant, au tournant du siècle, Hyères perd de son attrait pour les touristes en hiver en raison de l’éloignement relatif de la côte, à la décrépitude de certains hôtels et à l’absence d’établissement balnéaire. La Riviera devient alors plus attrayante. À partir de 1929, les touristes ne viennent plus à Hyères104. C’est très probablement la raison pour laquelle Edith Wharton se sent si bien à Hyères et décide de s’y installer.

À Hyères, elle se lie également d’une grande amitié avec Philomène de Lévis-Mirepoix. C’est une jeune femme d’une trentaine d’années, elle appartient à une des plus grandes familles ducales de France. Elle habite à Hyères avec sa fille de cinq ans et sa mère, qui est veuve. Edith emménage à « Sainte-Claire » le 23 décembre 1920 avec ses domestiques – elle semble épanouie et au comble du bonheur :

The little house is delicious, so friendly & comfortable, & full of sun & air; but what overwhelms us all—though we thought we knew it—is the endless beauty of the view, or rather the views, for we look south, east & west, “miles & miles,” & our quiet-coloured end of evening presents us with a full moon standing over the tower of the great Romanesque church just below the house, & a sunset silhouetting the “Iles d’Or” in black on a sea of silver.

It is good to grow old—as well as to die—“in beauty”; & the beauty of this little place is inexhaustible.

Yesterday we had the divinest Riviera weather, & as we sat on the terrace in the sun taking our coffee after luncheon a joint groan of deliverance escaped us at the thought of London, New York & Paris!105

La rénovation et l’entretien des deux propriétés, le « Pavillon Colombe » et « Sainte-Claire » n’est pas de tout repos, cependant E. Wharton semble avoir retrouvé l’énergie qui la caractérisait et qui l’avait abandonnée à la mort de ses amis. Elle parle de Hyères comme d’un havre de paix :

I read your letter “stretched on a bank of amaranth & moly,” with the blue sea sending little silver splashes up to my toes, & roses & narcissus & mimosa outdoing Coty’s best from the centre all round to the sea. In front of us lay two or

104. Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., pp. 538-39.

105. Edith Wharton, [Lettre à Mary Cadwalader Jones, 26 décembre 1920], dans : Letters of Edith

three Odyssean isles, & the boat with a Lotean sail which is always in the right place was on duty as usual—& this is the way all my days are spent! Seven hours of blue-&-gold & thyme & rosemary & hyacinth & roses every day that the Lord makes; & in the evenings, dozing over a good book! […] It has taken days & days of healing silence, & warm sun & long walks, to get the poison out of my bones. But now I’m getting as lively as a cricket, & go bustling up & down mountains like an English old maid106.

Les jardins des propriétés d’E. Wharton ont ravi ses contemporains, ainsi que de nombreux spécialistes de l’horticulture qui ont visité les lieux après sa mort. Ils les décrivent comme “among the most celebrated in France”. L’un d’eux conclut, au vu de photos et à la lecture de descriptions des jardins de « Sainte-Claire » :

[…] in making her garden [Wharton] displayed all the energy and forthrightness that had made her novels so popular. She blasted the hillside and built up retaining walls for terraces; she made a splendid pergola and covered it in climbing roses; she planted a walk of orange trees and trained her cypresses into Moorish arches. Olives and agaves were kept as a natural background to her bold schemes. Edith Wharton lined a long straight narrow walk entirely with orange freesias and she made an extensive collection of cacti and succulents107.

Malheureusement, comme le souligne Hermione Lee, cette véritable prouesse artistique était également très vulnérable. À de nombreuses reprises, les jardins furents ravagés par de violentes conditions climatiques. Un violent mistral et de fortes gelées les détruisent en 1920, puis en 1924, une pluie torrentielle s’abat sur les terrasses qui viennent d’être plantées. Enfin, l’hiver de 1928-29, l’un des pires de toute l’histoire de la Côte d’Azur, vient réduire à néant le labeur de tant d’années. Edith en est profondément affectée et bien souvent s’ensuivent des périodes de dépression, voire de maladie, comme par exemple à la suite des gelées de janvier et de février 1929 :

106. Edith Wharton, [Lettre à Bernard Berenson, 27 janvier 1919], Ibid., p. 421.

107. E.C., “A Riviera Garden: Sainte-Claire le Château, Hyères”, Country Life, 30 novembre 1928, p. 610-12. Mrs Philip Martineau, Gardening in Sunny Lands, London : Cobden-Sandersen, 1924, pp. 175-76. Cités dans : Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 557.

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January 4. The snow has broken down my two glorious caroubiers, the pride of the garden. How dangerous to care too much even for a garden! Trees and shrubs smashed and rooted up everywhere […] February 15: Everything in garden destroyed […] February 21: It is torture to me to think of my dead garden wh. grows worse every day. February 23: Terrible drought. Destroying last hope of saving plants108.