• Aucun résultat trouvé

Edith Wharton – la femme et l’écrivain

1.2.2. Ambition littéraire

En 1889, Edith commence à publier certains de ses poèmes et nouvelles dans le

Scribner’s Magazine. Les Wharton déménagent en 1892 pour “Land’s End”, dans

une plus grande propriété, où Edith peut s’adonner à sa passion pour le jardinage. Elle s’y sent davantage chez elle, et plus libre de se consacrer à son projet littéraire. Elle s’ouvre à un groupe d’intellectuels, avec qui elle peut enfin partager ses impressions et ses opinions littéraires et intellectuelles. Parmi eux, Paul Bourget qu’elle accompagne à Paris, mais aussi Daisy Chanler (une amie d’enfance qui comptera beaucoup dans la vie d’Edith), Egerton Winthrop et John Winthrop. Quant à la grande influence de Ruskin sur sa carrière littéraire, elle sera développée dans le chapitre 3 de cette première partie (section 2.2).

Edith partage avec Ogden Codman, jeune architecte de Boston, son goût pour l’architecture et la décoration ; ils décident de s’associer pour rénover la

propriété de “Land’s End”. Edith, très à l’aise dans son rôle de « maîtresse de chantier », veille à chaque détail des opérations :

The formal garden is booming. The paths are partly cut, the stone steps are being put in, & on Monday I am going to put out the standard privets. With regard to the pergola, I am perfectly willing to order the four columns if you think anything would be gained by doing so at once; but I think the matter needs study, owing to the fact that the verandah is slightly raised above the grade of the terrace & it will perhaps be rather a nice question how to ‘marry’ the pergola with the hedge on the one side & the verandah columns on the other. I want to talk it over with you when you come next week41.

S’accordant sur les mêmes principes de décoration et d’aménagement, sur l’élégance, l’harmonie, la beauté, la sobriété et le côté pratique, E. Wharton et Codman écrivent en collaboration un livre sur la décoration intérieure, The

Decoration of Houses (1897), qui rencontre un franc succès.

Dans son autobiographie, E. Wharton présente Codman comme “a clever young Boston architect42”, qu’elle surnomme “Coddy”. Ils ont tous deux des caractères affirmés et s’il est vrai que leur relation professionnelle est très stimulante, elle donne également lieu à de nombreux conflits qui dégénèrent parfois en accusations et en ressentiment. Un membre de la famille de Codman donne une description fidèle du jeune architecte : “gifted, intelligent, scholarly, ambitious, at once obstinate, caustic, but never boring43”. Codman admet lui-même se plaire à être désagréable : “I can be fairly disagreeable, at least I flatter myself I can44”. Hermione Lee ajoute : “He was ‘grand and fussy’, a ‘gentleman decorator’ who considered himself the equal of his clients, and drove some of

41. Edith Wharton, [Lettre à Ogden Codman, 30 avril 1897], dans : Letters of Edith Wharton, New York : R. W. B. Lewis & Nancy Lewis, 1989.

42. Edith Wharton, A Backward Glance, op. cit., p. 106.

43. Pauline Metcalf, Ogden Codman and the Decoration of Houses, Boston : Boston Athenaeum, 1988, p. 34.

44. Ogden Codman, [Lettre à Sarah Codman, 2 octobre 1913], Codman Family Archives, SPNEA. Cité dans : Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 124.

78

them, including the Whartons, to despair with his high-handed business methods and frequent absences45”.

Au début des années 1890, Codman est très proche des Wharton qu’il fréquente très régulièrement : “She was Mrs Pussy ; she and Ogden were Mr and Mrs PussCod”. Il la conseille et ils collaborent ensemble à de nombreuses reprises, notamment pour la restauration de la première propriété des Wharton, “Land’s End”. Ils partagent la même passion pour l’Italie, pour l’architecture française et pour l’art du XVIIIe siècle ; “like her he placed a serious value on style; like her he wanted to improve American taste. Like ker, he eventually left America for France46”.

Codman n’a jamais porté Teddy Wharton dans son cœur et, très vite, il ne manque aucune occasion de le critiquer : “Teddy Wharton has all the silliest of the regular Boston ideas which she [Edith] has tried to weed out. He is always so sure a man ought to live in his own country47”, ou encore “There are times when I fully realise what an idiot Teddy is48”. Codman se rend compte très tôt (dès 1902) que Teddy Wharton souffre de troubles mentaux et soutiendra plus tard Edith lors de son divorce.

Après la publication de The Decoration of Houses en 1897, suivent des périodes où les journées d’Edith s’enchaînent à un rythme effréné et d’autres où, épuisée et abattue, elle se coupe de toute vie sociale et laisse la dépression s’installer. Dès 1898, le médecin neurologue Silas Weir Mitchell, célèbre pour son introduction de la cure de repos dans le traitement des maladies nerveuses, s’occupe d’Edith et préconise un isolement et un alitement prolongé. Edith trouve du réconfort dans son amitié avec Sally Norton, une des six enfants de Charles

45. Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 124. 46. Ibid., p. 125.

47. Ogden Codman, [Lettre à Sarah Codman, 20 août 1896], Codman Family Archives, SPNEA. Cité dans : Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 137.

48. Ogden Codman, [Lettre à Sarah Codman, mars-février 1901]. Cité dans : Hermione Lee,

Eliot Norton et de Susan Sedgwick, une célibataire qui s’intéresse entre autres à l’art, au voyage et à la lecture, et en qui Edith trouve une oreille attentive et avec qui elle aime correspondre.

Edith a du mal à écrire, ce qui accentue son profond mal-être :

I continued to live my old life, for my husband was as fond of society as ever, and I knew of no other existence, except in our annual escapes to Italy. I had as yet no real personality of my own, and was not to acquire one till my first volume of short stories was published—and that was not until 189949.

Dans les années 1890, elle avait déjà publié, dans des périodiques, ses cinq premières nouvelles qui ne faisaient pas partie du recueil The Greater Inclination ; il s’agissait de “Mrs Manstey’s View”, “The Fullness of Life”, “That Good May Come”, “The Lamp of Psyche” et “The Valley of Childish Things”. Par la suite, en 1899, Charles Scribner accepte de publier six autres nouvelles (“The Muse’s Tragedy”, “A Journey”, “The Pelican”, “Souls Belated”, “A Coward” et “A Cup of Cold Water”) et une petite pièce de théâtre en deux actes (“The Twilight of the God”), sous forme d’un recueil intitulé The Greater Inclination. Ce recueil de nouvelles est une belle réussite en ce qu’il permet à Edith de matérialiser sa passion pour l’écriture : “The publishing of “The Greater Inclination” broke the chains which had held me so long in a kind of torpor50”. Il est suivi d’une nouvelle “The Touchstone” (1900) publiée par Scribner’s Magazine.

1.2.3. “The Mount”

En Juin 1901, juste avant le décès de Lucretia Jones, Edith achète la propriété “The Mount” à Lenox, dans le Massachusetts, impatiente de pouvoir mettre en œuvre les principes mis en avant dans The Decoration of Houses : “The truth is that I am in love with the place—climate, scenery, life, & all—& when I have built a villa on one of the estates I have picked out, & have planted my garden & laid out paths through my bosco, I doubt if I ever leave here—expect [sic] to go to

49. Edith Wharton, A Backward Glance, op. cit., p. 112. 50. Ibid., p. 122.

80

Italy51”. Tout comme le voyage, le jardinage et l’horticulture parviennent à soulager ses peines et à lui faire oublier ses préoccupations. Ces deux activités représentent certainement les seuls domaines dans lesquels E. Wharton éprouve une quelconque fierté personnelle :

The place is really beautiful, and so much leafier & more “fondu” than two years ago that I was amazed at the success of my [efforts]. Decidedly, I’m a better landscape gardener than novelist, and this place, every line of which is my own work, far surpasses the House of Mirth.—The most wonderful incident of my return was the finding here of my devoted and admirable head gardener who had, as you know, given me “warning” months ago & had finally said, as a great favour, that he wd stay till July Ist! Now it turns out that, when it came to the point, he

could not go: he loved too much the work of our hands, and in the first two minutes

of our talk, without a definite word, it was understood between us that he stays as long as I do. I never saw a more moving example of devotion to one’s calling. He

couldn’t miss the first long walk with me yesterday afternoon, the going over every

detail, the instant noting, on my part, of all he had done in my absence, the visit to every individual tree, shrub, creeper, fern “flower in the crannied wall” —every tiniest little bulb and root that we had planted together!52

Edith participe à la vie sociale de la région, “The Mount” accueille de nombreux visiteurs :

Edith’s sister-in-law Minnie Jones and her niece Beatrix Jones came often, as did old friends from Newport like Daniel Berkeley Updike, Ogden Codman, Wintie and Daisy Chanler, James Van Alen, Eliot Gregory, Minnie and Paul Bourget, and Egerton Winthrop. Friends from New York included the Walter Maynards, Robert Minturn, Gaillard Lapsley; from Boston, Bay and Bessy Lodge, Sally Norton, Ralph Curtis. New friends like Henry James, John Hugh Smith, Robert Norton, Howard Sturgis; business friends like Clyde Fitch as well as George Dorr, Brooks Adams and his wife, William Buckler, her cousin Herman Edgar, Florence LaFarge, William King Richardson, the Jusserands from Washington, and Mr. and Mrs. Cass Canfield would also visit the Mount in the summer and fall.

Two of Edith’s closest friends at the time were Henrietta Haven and her sister Ethel Cram53.

51. Edith Wharton, [Lettre à Ogden Codman, août 1900], citée dans : Eleanor Dwight, Edith

Wharton: an Extraordinary Life, op. cit., p. 67.

52. Edith Wharton, [Lettre à W. Morton Fullerton, 3 juillet 1911], dans : Letters of Edith

Wharton, op. cit., p. 242.

Edith concilie les dîners mondains et son rôle de romancière, et parvient à instaurer une routine d’écriture quotidienne :

Her writing was done early in the day, though very little allusion was made to it, and none at all to the infinite pains that she put into her work or her inexhaustible patience in searching for the material necessary to perfect it. By eleven o’clock she was ready for friends and engagements, for walking or garden-work54.

Sa relation avec Teddy se détériore à mesure que l’état de santé de ce dernier décline. Il souffre de crises de neurasthénie et de troubles maniaco-dépressifs – un effondrement mental qui le rend de plus en plus dépendant de sa femme.