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L’importance de la subjectivité

4. Le bon et le mauvais touriste

4.3. L’importance de la subjectivité

Edith Wharton, quant à elle, condamne sévèrement les guides de voyage purement factuels, qui, selon elle, empruntent des raccourcis vis-à-vis du travail d’observation et dénaturent les lieux visités et le plaisir de la découverte et de l’imagination. Ils contrarient le voyageur désireux de se faire sa propre opinion et de créer son propre univers fictionnel :

The Mediterranean Hand Book proved as untrustworthy as usual. […] We were

quite unprepared for the beauty of the approach, for The Mediterranean Handbook merely gives a few dry statistics about the volcanic origin of the island, and I know of no book of travel in which it is mentioned. In fact the lack of books about this part of the world, though at times an annoyance, lends an undeniable zest to travelling and makes the approach to each island as thrilling as a discovery (pp. 87 et 91)10.

Elle insiste sur le fait qu’il est important de respecter la subjectivité propre à chaque voyageur : “this Journal is written not to record other people’s opinions, but to note as exactly as possible the impression which I myself received” (p. 46). Elle ironise sur ces guides de voyage qui se targuent de pouvoir imposer une ligne de conduite au voyageur : “the art and architecture which form the sight-seer’s

8. Aldous Huxley, Along the Road: Notes and Essays of a Tourist, op. cit., p. 23. 9. Ibidem.

10. Les pages mentionnées entre parenthèses renvoient (sauf mention contraire) au manuscrit dactylographié d’Edith Wharton, The Cruise of the Vanadis, qui se trouve à la fin du Tome III de cette thèse. Je remercie une nouvelle fois la Médiathèque d’Hyères et plus particulièrement son directeur Monsieur Alain Depieds pour les droits de reproduction.

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accepted ‘curriculum’11” ; tourne en ridicule le touriste qui ne jure que par son Baedeker : “the stock phrase of the stock tourist12” ; et revient douloureusement sur la déception que lui procure chaque nouvelle parution : “Only one trembles lest it should cease to shine in its own twilight heaven when it has become a star in Baedeker13”. Dans The Cruise of the Vanadis, E. Wharton s’éloigne du modèle du simple touriste et offre le témoignage authentique d’un voyageur érudit qui ouvre les portes d’un territoire chargé d’histoire capable d’offrir des merveilles au touriste avisé :

Wharton’s travels were those of a connoisseur: highly informed, well organized, passionate. […] All her life, she was greedy for cultural adventures and experiences, in France, England, Italy, Spain Germany, Greece, North Africa, and all round the Mediterranean. She acquired a profound knowledge of the places she went to14.

En 1905, Edith Wharton publie Italian Backgrounds15, qui consiste en une série d’essais sur l’art, l’architecture et les paysages italiens. Cet ouvrage rassemble ses impressions de voyages en Italie, sur près de vingt années, notamment dans les villes de Parme, Milan, Venise, Rome, ainsi que dans les régions de la Sicile, des lacs d’Italie du Nord et des Alpes pennines, entre autres. Cette œuvre témoigne le mieux de la culture de l’auteur, de sa rigueur, de sa connaissance de l’art et notamment de l’histoire italienne, ainsi que de son sens critique. Cet ouvrage propose une autre manière d’envisager la littérature de voyage, une approche qui diverge du parti pris pittoresque prédominant chez la plupart des auteurs de récits de voyage du XIXe siècle, tels que Irving, Hawthorne, Cooper, Longfellow, etc. E. Wharton considère non seulement l’art et

11. Edith Wharton, Italian Backgrounds, op. cit., p. 181. 12. Ibid., p. 155.

13. Edith Wharton, A Motor-Flight Through France, New York : Charles Scribner’s sons, 1908, p. 23.

14. Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 7.

15. Ce récit de voyage fait l’objet d’une étude approfondie dans le chapitre 3 de la deuxième partie (Tome II).

l’architecture d’un œil expert et analytique, mais s’attache également à découvrir ce qu’elle appelle « les parenthèses du voyage », lieux peu connus et difficiles d’accès, chemins de traverse, etc. :

One of the rarest and most delicate pleasures of the continental tourist is to circumvent the compiler of his guide-book. The red volumes which accompany the traveller through Italy have so completely anticipated the most whimsical impulses of their readers that it is now almost impossible to plan a tour of exploration without finding, on reference to them, that their author has already been over the ground, has tested the inns, measured the kilometres, and distilled from the massive tomes of Kugler, Burckhardt and Morelli a portable estimate of the local art and architecture. […] and the only refuge left from his omniscience lies in approaching the places he describes by a route which he has not taken.

Those to whom one of the greatest charms of travel in over-civilized countries consists in such momentary escapes from the expected, will still find here and there, even in Italy, a few miles unmeasured by the guide-book […]16.

Elle divise sa découverte de l’Italie en un « premier plan », correspondant aux informations fournies par un guide de voyage et à l’approche du simple touriste, celle du « voyageur pressé » ; et un « arrière-plan », sorte de quintessence culturelle accessible uniquement au voyageur rêveur, dont les sens sont en éveil et qui part à la découverte de terres nouvelles, qui s’attarde et appréhende l’Italie différemment, sans regard présumé, sans idée préconçue, simplifiée ou réductrice, mais avec une attention particulière, adoptant une attitude sérieuse et studieuse :

Italy is divided into foreground and background […] its premier plan asterisked for the hasty traveller, its middle distance for the “happy few” who remain more than three days, and its boundless horizon for the idler who refuses to measure art by time. […] The foreground is the property of the guide-book and of its product, the mechanical sight-seer; the background, that of the dawdler, the dreamer and the serious student of Italy. This distinction does not imply any depreciation of the foreground. It must be known thoroughly before the middle distance can be enjoyed: there is no short cut to an intimacy with Italy. Nor must the analogy of the devotional picture be pushed too far17.

16. Edith Wharton, Italian Backgrounds, op. cit., pp. 85-86. 17. Ibid., pp. 177 et 179.

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Le lecteur, dont l’intérêt est ainsi maintenu en éveil, est à même d’apprécier la diversité, la richesse, la cohérence et la pertinence de l’œuvre de l’écrivain voyageur qui a eu accès à cet « arrière-plan ». C’est cette manière particulière d’envisager le voyage qui a fait d’Edith Wharton un auteur de récits de voyage accompli et plus largement une romancière internationalement reconnue. Il convient à présent de comprendre comment cette passion pour le voyage est née chez l’auteur et de se pencher sur son parcours atypique. Dès son plus jeune âge, la jeune Edith semblait déjà être destinée à une vie d’aventures et de romance.

Chapitre 2