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Une manière bien particulière d’envisager le récit de voyage

L’influence des écrivains voyageurs

1.2. Une manière bien particulière d’envisager le récit de voyage

Goethe a une approche typiquement personnelle de l’Italie mais sa réflexion n’en est pas pour autant introspective, c’est la raison principale pour laquelle, pour de nombreux critiques, son récit surpasse ceux de ses contemporains :

28. Ibid., p. 24.

29. Lilian R. Furst, “Goethe’s Italienische Reise in its European Context”, op. cit., p. 20. 30. Stendhal, Rome, Naples et Florence (1817), Paris : Édouard Champion, 1919, p. 153.

Goethe works within the dominant conventions of late eighteenth and early nineteenth century travel writing. However, he transforms those conventions, not by the kind of radical innovation represented by Sterne’s Sentimental Journey, but rather from within, through the richness of tone, the density of texture, and the depth of his appreciation of Italy, all of which distinguish his reading in the

Italienische Reise from that of even the most eminent among his contemporaries31.

Ce qui est particulièrement intéressant chez Goethe est que son récit est à la fois passionné, informé et basé sur l’observation. Il s’efforce à la fois de documenter et d’apporter un jugement esthétique sur les ruines des temples de l’Antiquité classique (en faisant souvent référence aux observations de Johann Joachim Winckelmann) et rend compte des éléments géologiques et botaniques des lieux visités : “I have always looked at landscapes with the eye of a geologist and a topographer, and suppressed my imagination and emotions in order to preserve my faculty for clear and unbiased observation32”.

1.2.1. Les sciences naturelles

L’intérêt pour les sciences naturelles est une inspiration très dix-huitièmiste, que l’on retrouve également chez Ruskin qui se passionne pour la beauté des pierres, des roches, des nuages et des éléments naturels comme sujet d’intérêt pour l’artiste : “I used to fancy that everybody would like clouds and rocks as well as I did, if once told to look at them; whereas, after fifty years of trial, I find that is not so, even in modern days33”. Le devoir de l’artiste est de rendre gloire et hommage à la beauté de la nature – œuvre de Dieu : “Flowers, like everything else that is lovely in the visible world, are only to be seen rightly with the eyes which the God who made them gave us34”.

Dans Italian Journey, Goethe s’attarde souvent sur les roches, leur composition, l’assemblage de leurs minéraux, leur grande diversité d’aspects, ou

31. Lilian R. Furst, “Goethe’s Italienische Reise in its European Context”, op. cit., p. 25. 32. Johann Wolfgang von Goethe, Italian Journey, op. cit., p. 125.

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encore leur origine ou la modalité de leur formation ; comme par exemple en visite à l’abbaye de Waldsassen, dans le diocèse de Ratisbonne en Bavière : “The soil is a decomposed clayey slate. The quartz which is found in this type of rock formation does not decompose or erode, and it makes the soil loose and fertile35”, ou encore dans les Alpes : “The limestone Alps through which I have been travelling so far have a grey colour and beautiful irregular shapes, even though the rock is divided into level strata and ridges. But since bent strata also occur and the rock does not weather equally everywhere, the cliffs and peaks assume bizarre shapes36”.

Il transporte avec lui les travaux de Carl Linnæus (ou Carl von Linné), naturaliste suédois qui a fondé les bases du système moderne de la nomenclature binominale en répertoriant, nommant et classant de manière systématique l’essentiel des espèces vivantes connues à son époque : “I carried my Linnaeus with me and had his terminology firmly stamped on my mind37”. Les récits de voyage d’E. Wharton comportent, quant à eux, de longues observations sur la botanique et les pierres architecturales : “the stonework, the evergreen foliage, the effects of rushing or motionless water, above all the lines of the natural scenery— all form a part of the artist’s design38”. Le récit de sa croisière à bord du Vanadis présente également de nombreuses similarités avec Italian Journey de Goethe.

1.2.2. Le modèle de l’expert, du “connoisseur”

La plus évidente d’entre elles est l’apport majeur de données historiques et géographiques, ainsi que la volonté de se différencier du « mauvais touriste ». E. Wharton était clairement déterminée à devenir plus qu’un touriste amateur. Elle était dévouée à l’étude de la culture européenne. En 1894, alors qu’elle visite le monastère de San Vivaldo en Toscane, elle parvient à déterminer que des figures

35. Johann Wolfgang von Goethe, Italian Journey, op. cit., p. 23. 36. Ibid., p. 33.

37. Ibidem.

en terre cuite que très peu de personnes connaissent n’appartiennent pas au XVIIe siècle, mais bien à la fin du XVe siècle – une information qui est par la suite confirmée par un expert du musée de Florence. Cette anecdote prouve combien elle s’éloigne du modèle du touriste passionné pour se rapprocher peu à peu de celui de l’expert, du “connoisseur”.

Dans The Cruise of the Vanadis, Edith Wharton semble également suivre le modèle de Goethe dans l’équilibre qui existe entre les éléments propres à l’« observation » et les éléments propres à la « réflexion ». Elle n’épanche pas ses émotions (comme pourrait le faire Chateaubriand), mais ne manque cependant pas de donner ses impressions ou d’exprimer son enthousiasme, comme le souligne Hermione Lee :

Yet responsiveness was vital too. For all Goethe’s insistence on objectivity, his

Italian Journey is loaded with deep romantic emotion, as when in Venice, listening

to the gondoliers singing Tasso and Ariosto to each other across the canals by moonlight. In her books on Italy, Wharton does not talk about her feelings, but they pour through her technical descriptions and historical scenes. Italy was a rite of passage for her, an awakener of powerful emotions, and, it may be, a compensation for a frustrated, barren married life39.

Goethe l’a initiée à sa manière de concevoir la culture européenne, c’est-à-dire : “It is impossible to understand the present without knowing the past40”.

Progressivement, E. Wharton finit par véritablement s’approprier l’Italie, elle écrit trois livres sur le pays (ainsi que des poèmes et des nouvelles ayant pour thème l’Italie) : un roman historique en 1902 (The Valley of Decision), un ouvrage sur les jardins et les demeures italiennes en 1904 (Italian Villas and Their

Gardens) et enfin Italian Backgrounds en 1905. Dante, Verlaine, le poète

Léopardi, fervent du pessimisme romantique, et surtout Robert Browning ont également influencé le regard d’E. Wharton sur l’Italie. Elle fait souvent référence

39. Hermione Lee, Edith Wharton, op. cit., p. 86. Elle cite Johann Wolfgang von Goethe, Italian

Journey (1786-1788), op. cit., p. 93, et précise que Morton Fullerton nota des similarités

entre Roman Elegies de Goethe et le poème d’amour le plus passionné d’Edith Wharton, ‘Terminus’.

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à Browning, notamment dans un passage d’Italian Backgrounds dans lequel elle cite l’un de ses poèmes favoris, ‘A Toccata of Galuppi’s’, et s’émerveille : “the glittering Venice of the “Toccata of Galuppi” lies outspread like a butterfly with the bloom on its wings41”.