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1.1. Les ceintures vertes:

Le souci de la préservation des éléments naturels dans les villes s'est manifesté historiquement par un concept d'aménagement bien spécifique: les ceintures -vertes autour des villes.

Autour de 1840, une fois franchie l'étape du confinement à l'intérieur des enceintes et du premier éclatement des banlieues en tâche d'huile à partir des faubourgs et des grands axes radioconcentriques, les villes européennes se sont dotées des outils de contrôle des formes de la croissance.

Les plans d'extension et d'alignement en vigueur depuis la fin du XVIIIè siècle constituent un moyen de transformation ordonné et volontariste du territoire péri-urbain en un maillage urbain

«dense», un passage radical d'une condition de nature à une urbanité forte. Les éléments naturels sont alors recréés, plutôt que transformés, sous forme de parcs, squares et jardins publics, d'intérieurs d'îlots ou jardins privés autour des constructions.

C'est à partir des années 1870 que les progrès de l’urbanisme vont intégrer la notion de contrôle de territoires d'agglomération beaucoup plus vastes autour des centres. Le concept de ceinture verte est alors énoncé. Il s'agit de stopper la croissance en tâche d'huile et d'établir autour des villes un anneau non-bâti (ou beaucoup moins densément bâti).

Deux conceptions principales de ceintures vertes se présentent:

a) La coupure, comme «pause» avant la reprise de l'urbanisation au-delà sous forme d'un nouvel anneau ou de villes satellites. Dans ce cas, la ceinture verte est souvent conçue comme zone récréative, ceinture de parcs.

b) La limite entre ville et campagne, comme tentative de fixation d'une frontière entre aire urbanisée et zone agricole préservée.

Cette étape historique du développement et cette forme volontaire de l'aménagement dans les villes constitue aujourd'hui encore le socle sur lequel reposent les orientations en matière de plan d'occupation des sols et les enjeux de transformation.

Les ceintures vertes ont pris des formes très diversifiées en fonction des géographies locales, des tailles des agglomérations, des dynamiques économiques (industrielles ou pas). En outre, au cours du développement récent l'urbanisation, l'opposition ville-campagne s'est atténuée au profit d'interférences multiples. Si la campagne s'est vidée de son milieu social propre en transformant son cadre de production, elle est aujourd'hui reconquise par de nouveaux usages urbains autour du thème mobilisateur d'une meilleure qualité de la vie.

Le courant romantique et hygiéniste a, depuis le XIXè siècle, entraîné les citadins à la conquête des loisirs de plein air et des vertus salvatrices de la campagne. Tout en faisant accueil à ces derniers, les acteurs du monde rural ont progressivement revendiqué une homogénéisation d'équipement pour jouir des avantages du confort moderne. Une fois équipés, les revendications se sont transformées en l'affirmation d'une identité différente par rapport à la ville, notamment par l'offre et la valorisation d'un cadre de vie agréable à l'écart des nuisances urbaines. Entre la ville et la campagne s’est construit cependant un milieu suburbain que l'on voudrait gommer en même temps qu'il ne cesse de se développer, tiraillé par les idéaux contradictoires de la ruralité et de l'urbanité.

Il n'en demeure pas moins que c'est autour de cette recherche permanente de la maîtrise moderne de la forme prise par la limite sol urbanisé/sol non urbanisé que tourne la question posée des rapports entre ville, nature et densités.

Nous nous proposons dans la partie introductive de la recherche de situer le terrain d'étude choisi, l'agglomération genevoise et l'aire frontalière dans le champ historique des politiques d'aménagement liées au thème des ceintures vertes.

1.2. Politiques nationales et locales, leurs effets sur l'environnement

Sur le continent européen, la variété des politiques d'aménagement et de règlementations reste très grande. Les territoires ont été historiquement fortement marqués par l'effet des politiques nationales et, à un moindre égard, par les politiques des collectivités locales. Les frontières nationales demeurent, malgré l'unification européenne, des discriminants importants au niveau de l'environnement et des indicateurs principaux qui font encore aujourd’hui l’objet de nombreuses tentatives d’harmonisation.

Le territoire choisi de part et d'autre de la frontière permet de comparer les effets des politiques, des doctrines d'urbanisation, d'aménagement, d'environnement et de développement propres à deux pays et ce sur la longue durée, c'est à dire en fonction de traditions et de cultures qui remontent à plus d'un siècle.

Le souci écologique est, en Suisse, une habitude, par la conscience de la nature et du paysage, par la permanence dans les formes bâties mais aussi à travers une certaine tradition anti-industrielle et anti-urbaine. La préoccupation de lutte contre les pollutions et les nuisances est très forte.

En matière agricole, l'argument de l’autosuffisance alimentaire sert encore aujourd'hui de carcan pour limiter l'extension péri-urbaine, même si ce prétexte apparaît aujourd'hui obsolète.

De plus, ici comme en France, devant les perspectives de mise en friche et de gel des terres agricoles, rendus nécessaires par les accords du GATT, l'offre foncière de terrains urbanisables à bas prix risque de se faire sentir, à nouveau, historiquement de manière foudroyante.

Seules des politiques volontaires de limitation de l'urbanisation et de fixation formalisée d'une limite entre ville et campagne peuvent permettre de faire face aux dysfonctionnements globaux d'une urbanisation exponentielle (gaspillage et pollutions entre autres).

En France, la décentralisation communale et la logique des plans d'occupation des sols pousse chaque commune à gérer son développement pour elle-même, à partir de sa propre centralité, en minimisant la réflexion sur la maîtrise globale des problèmes d'agglomération. La tradition planificatrice y a été moins vivace au cours de l'entre-deux guerres et s'est focalisée dans

l'après-guerre sur les problèmes d'équipement. La préoccupation de préservation paysagère et environnementale est plus récente qu'en Suisse, particulièrement en ce qui concerne le volet écologique de l’aménagement du territoire. Nous analyserons sur Annemasse les effets des diverses politiques de développement de l'urbanisation depuis l'après-guerre (infrastructures routières, opérations de construction) ainsi que les effets des politiques agricoles successives.

La question des formes urbaines sera abordée sous l'angle comparatif avec la prédominance en Suisse de l'habitat groupé collectif de petite taille, alors que la partie française se caractérise par l'opposition entre le collectif dense de grande taille et le pavillonnaire lâche. La diversité de ces formations de systèmes d'habitat crée des systèmes d'appropriation (jardins privés, jardins familiaux ou espaces publics collectifs) très opposés dans les pratiques.

Nous nous proposons d'appliquer les indicateurs morphologiques élaborés par le Centre d’études techniques pour l’aménagement du territoire de l’Université de Genève (CETAT) notamment en matière de densité, aux divers échantillons de tissus urbains retenus.

La comparaison proposée s'insère donc dans le cadre tout récent de réflexion du livre blanc de l'aménagement du bassin franco-genevois, fruit d'une concertation entre les trois départements et le canton de Genève. Les problèmes d'environnement et d'écologie y tiennent une place importante et il sera fait abondamment référence à cette base contemporaine extrêmement novatrice.

Mener une étude comparative d’un territoire précédemment homogène (paroisse de Ville-la-Grand) coupé à un moment donné (Traités de Paris, de Vienne et de Turin) par une frontière (ici matérialisée par le Foron) et gérée par des instruments découlant de politiques différentes d’aménagement, de développement et d’environnement. Bilan à l’aide d’indicateurs existants ou à construire Source:

Jacques Vicari et André Counil, 1994

1.3. Situation du sujet par rapport aux objectifs de la consultation

Nous pensons pouvoir positionner notre recherche à trois niveaux par rapport aux objectifs énoncés dans l'appel d'offre:

1) Clarifier la consistance des critères d'analyse concernant la qualité de l'environnement. En nous appuyant sur la définition des indicateurs d’environnement de l'OCDE et d’aménagement du CETAT-Genève ainsi que sur un réseau de spécialistes locaux de l'environnement, nous espérons pouvoir nous rapprocher d'une méthode globale d'appréciation de la qualité en nous livrant à un travail de relativisation vis à vis de critères purement scientifiques (qualité de l'air, de l'eau, du bruit, évaluations des pollutions), en les replaçant dans un contexte d'effets à long terme et dans une culture des acteurs.

2) Tenter d'expliquer les effets visibles de la transformation de l'espace naturel par les conséquences des lois, règlements, pratiques codifiées et applications des divers niveaux de planification dans leur continuité historique, leur permanence ou leur rupture. Le rôle joué par les documents d'urbanisme codifiés graphiquement sera replacé dans une généalogie des plans et projets.

3) Proposer des perspectives. Après avoir esquissé le diagnostic d'une situation existante, il sera proposé d'extrapoler les tendances et d'esquisser les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour en corriger les effets négatifs.

En tenant compte des facteurs structurants de l'aménagement du territoire (arrivée du TGV dans le bassin genevois, achèvement de l'autoroute de contournement), il est possible d'anticiper certains effets induits. Il faudrait réaffirmer la validité de principes comme l'assujettissement de l'urbanisation au transport collectif urbain pour éviter la dispersion et l'usage automobile. La question de la densification du tissu existant limité à la bordure de ces infrastructures sera posée en ces termes. A l'inverse, la pérennisation des terres agricoles péri-urbaines doit faire l'objet d'un projet en intégrant le passage de l'usage agricole à des valeurs écologiques, récréatives et contemplatives. L'agriculteur, jardinier du paysage, est déjà une réalité en Suisse. Sa fonction et ses tâches restent à inventer en France.

1.4. Présentation du site de la recherche

Le site d'analyse choisi est une portion du territoire frontalier situé entre Genève et Annemasse.

Le phénomène à observer concerne l'urbanisation qui s'est développée à partir de la route reliant Genève à Turin par Chamonix, axe est de l'agglomération.

Avant 1815, le territoire est sous gestion unique sarde, puis française (département du Léman).

Le traité de Vienne rattache Genève à la Suisse et la frontière passe à Annemasse. A partir de 1860 et du rattachement de la Savoie à la France, l'effet des politiques différentielles suisse et française commencent à pouvoir être observé. Le canton de Genève développe une logique d'agglomération avec une préservation des eaux et forêts et d'une zone agricole péri-urbaine, censée assurer la sécurité alimentaire du canton. Des freins sont mis à l'urbanisation le long de l'axe routier.

Du côté français, Annemasse est considéré comme une marge frontalière, et la commune applique les diverses politiques nationales. Après la décentralisation, la ville suit une logique de développement local de type centre-périphérie.

L'étendue du terrain d'étude a été volontairement limitée de manière à faciliter une observation des tissus urbains à l'échelle de la parcelle et leur traitement statistique (indicateurs de densité, indicateurs morphologiques, indicateurs environnementaux). En prenant cet échantillon de terrain limité de part et d'autre de la frontière, nous allons être en mesure de comparer finement, terme à terme, des manières d'occuper l'espace et de transformer la nature, au plus près de réalités de terrains observables.

Cependant, il sera constamment fait référence à l'échelle de l'agglomération genevoise et du bassin dans toute son extension géographique et économique de part et d'autre de la frontière.

C'est en effet à cette échelle d'aménagement que se posent les enjeux d'aujourd'hui. L'entité géographique environnementale et urbaine du bassin genevois est absolument incontestable et constitue le cadre de réflexion tout récent lié au contexte de développement transfrontalier et à l'entrée éventuelle de la Confédération dans la CEE.

Morphologiquement, le canton de Genève prend l'aspect d'une enclave en territoire français.

Historiquement, cette enclave a été constituée par l'Hinterland ou ceinture agricole pour la ville et la frontière passe au plus près d'un chapelet de villages du côté français (Ferney-Voltaire, Saint-Genis, Saint-Julien) et d'une ville plus importante, Annemasse (74 000 habitants). On se trouve donc en face d'une correspondance formelle remarquable entre la forme d'une ceinture verte et le tracé d'une frontière.

Aujourd'hui, la frontière apparaît comme une réalité de plus en plus artificielle, car elle découpe l'entité géographique. Or la question de l'aménagement du territoire qui se pose est celle de l'entité géographique tout entière du bassin jusqu'au pied du jura et des Alpes. La question de la préservation coordonnée des espaces naturels de part et d'autre s'avère donc prépondérante.

Source: Service d’Etudes du Secrétariat Général pour les Affaires Régionales Rhône-Alpes,

in: Le livre blanc franco-genevois de l’aménagement du territoire, CRFG - juillet 1993

1.5. Nature des résultats escomptés

1) D'une part, nous pensons pouvoir par la méthode comparative entre les deux pays mettre en évidence les « effets environnementaux » majeurs des politiques urbaines et agricoles suivies par les deux pays sur la longue durée. Pourront ainsi être distingués les effets qui relèvent de causalités directes, notamment l'impact sur le long terme des règles densitaires (COS), des lois de préservation des eaux et des forêts, du maintien des surfaces agricoles..., de ceux qui relèvent d'évolutions générales de faits de société.

2) D'autre part, en soumettant un territoire à l'évaluation qualitative de certains critères d'environnement élaborés par l'OCDE concernant la qualité de l'air, de l'eau, du bruit et des divers taux de pollution, nous pensons pouvoir esquisser un bilan comparatif de ce type de critère sur les territoires situés de part et d'autre de la frontière. Nous espérons pouvoir mettre en perspective ces critères qui risquent de déboucher sur une nouvelle

« normalisation » et, pour se faire, les confronter à des indicateurs morphologiques, à une catégorisation des formations urbaines, péri-urbaines et agricoles rencontrées, incluant des dynamiques de transformation sociales et économiques, par exemple le degré d'appropriation et d'entretien du sol naturel par les occupants.

3) Par ailleurs, nous souhaitons pouvoir faire avancer la réflexion sur la nécessité de penser les ceintures vertes autour des villes. En confrontant des positions théoriques à la réalité d'une situation locale, nous pensons pouvoir démontrer avec finesse l'importance d'une tradition européenne de planification qui tente de maîtriser la compacité urbaine et de sauvegarder les qualités naturelle de sa périphérie.

Comment fixer la limite entre le territoire urbanisé et le territoire rural? Cette question relève-t-elle de la tradition, d'un consensus? Obéit-t-relève-t-elle à une logique formrelève-t-elle ou géographique quelconque? Ne répond-t-elle pas à une impérieuse nécessité, aujourd'hui, d'un nouvel équilibre entre ville et campagne? Certaines urbanisations péri-urbaines très peu denses, de type pavillonnaire, doivent-elles être considérées comme zones naturelles ou au contraire urbanisées? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de trouver une réponse.

Le slogan lancé par Nicolas SOULIER pour mettre un frein à l'urbanisation tâche d'huile et le

«mitage» de la périphérie nîmoise, « La campagne, c'est la campagne, la ville c'est la ville », semble y avoir eu un impact important dans les conceptions urbanistiques françaises actuelles et avoir marqué le retour à un contrôle plus rigoureux de la forme globale de la ville.

Cette tentative de dessiner une nouvelle limite, de « stabiliser » sa forme pour un certain temps, peut-elle s'appliquer à la périphérie genevoise? La réponse semble pouvoir être positive. La tradition planificatrice est forte en Suisse et il existe une remarquable continuité dans la généalogie des plans directeurs pour Genève (plan d'assolement, plan Wahlen, plan Braillard, plans directeurs cantonaux).

Pour les territoires français frontaliers un destin tout à fait nouveau se dessine puisque, d'une vision du développement local, ils peuvent être amenés à jouer un rôle plus spécifique dans une grande agglomération transfrontalière. Le sentiment d'appartenance à une vaste entité géographique et naturelle peut les conduire à mieux prendre conscience de leur rôle et de leurs atouts au-delà de la sphère locale.

Nous pensons enfin apporter une réponse en négatif au problème du gaspillage du territoire par une réflexion sur les transports en commun. Déjà sur le territoire genevois, comme à Grenoble,

à Nantes ou à Paris, l'effet du tramway se fait sentir et devient un catalyseur de densité et d'urbanité. Le tramway plaît et attire, il est éminemment capable de s'opposer au tout automobile et à la dispersion généralisée. L'effet tramway sera observé sur la première ligne genevoise qui s'arrête à la frontière aux portes d'Annemasse. Dans l'optique d'une prolongation ou du projet de métro reliant Annemasse à Genève, nous pourrons esquisser les perspectives d'une densification. Il est en effet logique que l'importance de l'investissement génère la présence de structures urbaines importantes qui amortissent son coût d'exploitation. Densité et transport constitueront donc le contrepoint à notre travail sur la préservation des espaces naturels péri-urbains.