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D. I NDICATEURS MORPHOLOGIQUES POUR L ’ AMENAGEMENT : OCCUPATION DU SOL ET ESPACE

2. Cadre général des indicateurs morphologiques

La ville a une morphologie définie par un tissu urbain complexe qui articule culture et nature à travers la production du cadre bâti. Les multiples formes d'urbanisation s'inscrivent comme autant de possibilités de consommer de l'espace et peuvent être analysées au moyen d'indicateurs destinés à rendre compte du souci plus ou moins marqué de préservation des éléments naturels constitutifs du paysage urbain. A Genève, depuis une vingtaine d’années, le regain d’intérêt pour les formes urbaines se retrouve dans une crise des modèles de l’urbanisme industrialiste et technocratique accompagnée d’une demande de formes diversifiées d’urbanisation, dans un besoin urgent de précision pour qualifier un développement urbain plus qualitatif, dans la volonté de préserver la zone agricole, et dans l’exigence d’une participation accrue des habitants à la définition de leur cadre de vie. En effet, après près d’un siècle de normalisation massive de la forme et des modèles de l’habitat dont on peut lire les

36 J.-L. TRUAN, Influence des modèles urbains sur l’urbanisme lausannois, Thèse de Doctorat, EPF-Lausanne 1981, 313 p.

37 P.DUVIGNEAUD,S.DENAYER DE SMET,M.TANGHE, Carte écologique de l’occupation du sol et des degrés de verdurisation de l’agglomération bruxelloise, Centre d’étude de l’environnement urbain, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles 1975-1990.

plus strictes applications dans l’édification des cités modernes de l’après-guerre, les urbanistes semblent aujourd’hui sortis de l’urgence dictée par de la croissance urbaine exponentielle et s’efforcent ainsi de repenser les objectifs de la planification en relation avec la transformation qualitative de la demande38.

Une étude menée au milieu des années 1980 et portant définition d’indicateurs quantitatifs de morphologie urbaine en Suisse et testée sur 50 périmètres urbains représentatifs à Genève39, visait à combler le manque de données de références que rencontraient alors les urbanistes qui entreprenaient des études d’aménagement. « Cette situation de méconnaissance n’est pas illusoire: les formes urbaines sont un patrimoine urbain chargé de signification. La morphologie de la ville est une référence évidente permettant à chacun de se repérer, de choisir un lieu d’habitation, un style de vie, de s’approprier un quartier, le charger de sens, etc. Toutes les formes ne se valent pas, bien au contraire, il n’est pas indifférent d’habiter un village ou une banlieue, un quartier du XIXè siècle ou une cité nouvelle, un vieux quartier résidentiel ou une tour de haut standing, car ce choix exprime une manière de vivre et de considérer la réalité urbaine. Les formes ne sont assurément pas le tout de la ville; mais elles jouent un rôle essentiel dans la différenciation des valeurs et des styles de vie, où la ville forge son identité »40 L’analyse des nombreux périmètres construits visait à offrir un recensement systématique des solutions morphologiques possibles dans un site donné. Ph. Boudon avait déjà bien montré comment les rapports internes entre les parties d’un objet (proportions, ratios...) changent quand se modifient ses rapports externes avec le contexte (échelle, découpage...)41. Comme le rappellent les auteurs de l’étude: «Aujourd’hui, la forme n’est plus la Norme, mais une question ouverte à explorer. L’intérêt ne va plus à l’invention de formes nouvelles, mais à l’utilisation des possibilités offertes par des formes intermédiaires existantes, qui promettent à divers degrés de respecter l’opposition entre l’espace public et l’espace privé, les relations entre circulation piétonne et automobiles, les valeurs d’appropriation, etc. »42.

Dans le cadre de la préoccupation nationale d’aménagement du territoire visant à freiner le grignotage du sol helvétique, l’étude s’attaquait aux limites du sacro-saint critère classique de l’indice d’utilisation du sol ( mesure d’une densité exprimée par le rapport entre une surface brute de plancher utile et une surface nette de terrain à bâtir) et la politique de valorisation foncière qui s’y rapporte, pour promouvoir l’intérêt de mettre en rapport « densité » et

« occupation du sol » par le jeu des formes urbaines afin d’examiner dans quelles conditions une forme de forte densité peut être rendue acceptable, et sur quels paramètres (construction,

38 M. BASSAND, A. HENZ, Habitation horizon, 2000, Ecoles Polytechniques de Lausanne et de Zurich, , Rapport final de recherche, Lausanne 1988.

39 DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS, DIRECTION DE L'AMENAGEMENT, SERVICES DU PLAN D'AMENAGEMENT ET DU PLAN DIRECTEUR, UNIVERSITE DE GENEVE, ECOLE D'ARCHITECTURE

(CETAT), Indicateurs morphologiques pour l'aménagement : analyse de 50 périmètres bâtis situés sur le Canton de Genève, Etat de Genève, Genève 1986. - 2 vol.

40 R. QUINCEROT et J. MOGLIA, Morphologie urbaine. Indicateurs quantitatifs de 59 formes urbaines choisies dans les villes suisses, CETAT-EAUG, Ed. Georg, Genève 1986. - 2 vol., p.

15.

41 P. BOUDON, Sur l'espace architectural : essai d'épistémologie de l'architecture, Paris, Dunod, 1971. - 138 p.

voirie, espaces verts, ...) on peut s’appuyer pour épargner du terrain. Dans le contexte genevois, cette démarche prenait une dimension particulière au tournant des années 1980, moment clé de réflexion sur les manières de poursuivre l’urbanisation de la 3ème zone de développement et d’améliorer une planification qualitative sur base de plans localisés de quartiers(PLQ).

La recherche emprunte une méthode quantitative qui allie un effort d’objectivation et de précision, ouvrant une voie de recherche cumulative et débouchant sur la publication d’un corpus de références précises, aisément identifiables et comparables, ancrant ainsi des évaluations chiffrées sur des images urbaines réelles aisément communicables. Du point de vue méthodologique, l’étude a procédé à partir de trois ensembles d’hypothèses:

le repérage des formes urbaines au niveau du plan d’ensemble (1:2’500) considéré comme le meilleur niveau d’appréhension des principaux caractères des formes urbaines;

au niveau genevois, le plan d’ensemble au 1:2’500, constitue un outil de saisie globale de l’information dans la planification urbaine, un document de base pour la négociation ainsi qu’un fond de plan précis pour la présentation des projets d’urbanisme et d’architecture;

la définition et sélection d’un corpus d’analyse de fragments homogènes, selon un principe de découpage invariant;

l’analyse du corpus au moyen d’une liste de caractères quantitatifs retenus comme pertinents pour l’analyse des formes urbaines et la définition d’archétypes d’occupation du sol (59 périmètres retenus au niveau suisse et 50 au niveau genevois).

Une première analyse des données à l’échelle suisse a dégagé des traits de structure reliant des paramètres pour former des familles morphologiques. Trois axes structurant l’information se dégagent nettement:

1. L’échelle de découpage présente, à une extrémité, des formes urbaines anciennes caractérisées par une grande diversité de volumes et d’espaces (Traditionnel) et, à l’autre extrême les ensembles périphériques répondant aux conditions dites optimales d’hygiène fixées par l’urbanisme moderne (Moderne). Sans entrer dans le détail, on peut dire que ces deux extrêmes morphologiques, entraînent des contraintes spécifiques d’appropriation, notamment au niveau des espaces collectifs et des espaces verts.

2. La liaison des constructions à la voirie constitue le second axe confirmant le premier et dont les deux extrêmes classent les périmètres en fonction de leur caractère de conjonction (structure forte d’espaces articulés mixtes) ou de disjonction (feuilletage d’espaces indépendants) entre les volumes construits et la voirie.

3. Le critère de l’occupation du sol définit deux extrêmes allant d’un sol largement occupé par les constructions à un sol faiblement occupé répondant à l’observation des différences morphologiques en centre urbain et périphérie.

Ces tendances actuelles de l’urbanisme peuvent être résumées par une typologie idéal-typique des formes extrêmes sur la base des alternatives proposées par les trois axes:

Echelle de découpage

Lien volume-voirie Occupation du sol Exemples-type

conjonction forte Vieilles villes typologie des formes urbaines en 11 types principaux répartis en trois groupes:

 Groupe 1 centre-ville: noyaux urbains anciens, barres urbaines, îlots urbains, îlots post-modernes, ensembles modernes en milieu urbain.

 Groupe 2 banlieues: urbanisation en plots, maisons contiguës (densité 04 à 0.8), banlieues pavillonnaires (densité 0.2 à 0.5).

 Groupe 3 formes périphériques: petits ensembles modernes (densité 0.5 à 0.8), ensembles groupés (densité 0.6 à 1), grands ensembles modernes (densité 0.5 à 1).

Pour s’en tenir à l’étude genevoise, une première ventilation a permis de retenir 50 formes urbaines existantes, décrites sur base de 57 caractères morphologiques (indicateurs) estimés significatifs pour l’aménagement. La conception de ces indicateurs respecte les deux critères d’objectivité de l’universalité (simplicité et facilité de compréhension) et de comparabilité (univocité d’application des mesures pour tous les périmètres et expression en valeurs relatives de type moyenne, pourcentage, quantité par hectare). Une analyse factorielle en composantes principales a permis de mettre en évidence les oppositions les plus significatives entre les formes urbaines étudiées ainsi que les 20 indicateurs les plus importants:

Densités D1

Volumes V1

Distance moyenne des volumes à la voirie (mètres)

Parking P1

Longueur de voirie en impasse (mètres par Ha) Espaces enfermés(nombre par Ha)

Jardins clos (nombre par Ha)

Trois indicateurs (avec *) se déduisant des autres, il est resté au total 17 indicateurs pour effectuer le relevé. Chaque indicateur fait l’objet d’une fiche descriptive: chaque périmètre fait l’objet d’une fiche présentant l’intégralité des mesures chiffrées et les informations iconiques rassemblées. Enfin une présentation graphique synthétique met en évidence, pour chaque indicateur, la répartition de l’ensemble des périmètres.

La corrélation entre la densité, l’emprise au sol et la hauteur moyenne des volumes a montré que grossièrement, l’emprise au sol augmente avec la densité et que les gabarits sont d’autant plus hauts que l’emprise au sol est faible. Au-dessus de 25% d’emprise au sol, on ne rencontre pratiquement que les périmètres anciens et postmodernes, et au-dessus d’une densité de 1.2, les gabarits deviennent plus importants. La corrélation montre que pour atteindre les densités extrêmes (très fortes ou très faibles) la liberté de choisir l’emprise au sol est limitée alors que pour les densités intermédiaires, la palette de choix est très grande.

Une des conclusions majeurs de ces études morphologiques réside dans la découverte qu’à densité égale, bien des formes sont possibles et présentent des qualités différentes: une densité donnée ne peut donc pas être une norme exclusive de qualité. Les rapports entre densités et formes sont complexes et leur analyse s’oppose à l’urbanisme moderne qui a longtemps défendu le principe de densités faibles comme critère de qualité. L’indice d’utilisation du sol doit donc être complété par d’autres indicateurs plus spécifiquement morphologiques pour répondre aux nouveaux impératifs de développement urbains.

L’étude genevoise a montré que les densités rencontrées à Genève (moyenne 1.4) sont supérieures à celles des autres villes suisses (moyenne 1.1), et ce, quel que soit le type morphologique. De même, les densités de 1 à 1.4 sont atteignables par une grande variété de formes. Par rapport à la nette opposition entre les tissus urbains traditionnels et les ensembles modernes d’habitation, rappelons que si la taille des opérations intervient largement dans cette opposition, l’utilisation du sol varie considérablement d’un modèle à l’autre: le modèle traditionnel se caractérise par une forte emprise au sol des constructions (35% et plus) et de faibles quantités d’espaces verts (moins de 10%); le modèle moderne au contraire, par de faibles emprises au sol des constructions (moins de 20%) et d’importants espaces verts (plus de 50%). Mais bien des formes intermédiaires sont possibles. Ainsi, de faibles surfaces d’espaces verts bien disposées (10 à 15%) semblent assurer une présence appréciable de la nature en ville.

Projection principale des périmètres bâtis genevois effectuée par une analyse en composante principales et dégageant des échelles morphologiques caractéristiques selon une structuration axiale « traditionnel / moderne » (DTPE - CETAT, 1986)

Application de l’indicateur de proportion de la surface affectée en espaces verts qu’ils soient plantés sur sol profond ou sur dalle, ouverts ou fermés au public: en noir, les emprises au sol des bâtiments (DTPE - CETAT, 1986).