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E. P ERCEPTIONS ET REPRESENTATIONS DU RAPPORT A L ’ ENVIRONNEMENT

2. Traitement secondaire de données et résultats d’une enquête exploratoire sur la

Deux études récentes sur les représentations réciproques du territoire transfrontalier par les Genevois, les Haut-Savoyards et les Gessiens ont permis de se faire une première idée de la manière dont les populations différencient la région lémanique, et plus particulièrement de mieux comprendre comment l’effet frontière se marque dans le registre des représentations.

La première étude s’est basée sur la réalisation de cartes mentales commentées ainsi que la présentation de photographies montrant diverses facettes du paysage régional de part et d’autre de la frontière. Pour ne retenir que les éléments principaux de la comparaison, nous avons retenus trois axes de catégorisations des résultats:

 une catégorie morpho-fonctionnelle du territoire subdivisée en quatre rubriques: cadre naturel, villes, axes routiers, frontière et région;

 une catégorie géographique présentant six sous rubriques : Genève, Haute-Savoie, Pays de Gex, Vaud, Valais, autres lieux;

 une catégorisation liée à des clichés idéaux-typiques du paysage régional présentant: le pied du Salève, la campagne genevoise, une ferme savoyarde, la rade du lac Léman, une rue marchande d’Annemasse, une rue de la Vieille-Ville de Genève, la Place Neuve de Genève (XIXè siècle), un paysage agricole haut-savoyard.

2.1. Catégorisation morpho-fonctionnelle du territoire transfrontalier

Si on examine la représentation du cadre naturel dans les cartes mentales, on note que le lac Léman constitue une forte imagibilité de la région et se retrouve dans toutes les cartes. Les cours d’eaux principaux tels que le Rhône et l’Arve apparaissent nettement moins souvent dans la structuration des représentations. Par contre, les reliefs environnants sont davantage représentés dans les cartes mentales des interviewés genevois qui soulignent l’importance visuelle du Salève et du Jura dans le paysage urbain genevois ainsi que dans le pratique des loisirs. Ces éléments forment la charpente d’organisation de la représentation de la région genevoise. Les hauts-savoyards et gessiens mentionnent mois souvent ces reliefs dans leurs cartes mentales, mais leurs descriptions en sont toutefois plus précises, en mentionnant également le Mont-de-Sion et le Môle. Les Alpes sont parfois mentionnées de façon symbolique et les lacs de Joux et d’Annecy sont occasionnellement représentés chez les interviewés genevois.

Les représentations des villes montrent les différences de structuration des polarités urbaines selon que l’on habite d’un côté ou de l’autre de la frontière.

- Les genevois localisent Genève au centre de l’armature régionale d’où part un système d’axes défini par le Rhône, l’Arve et les principales autoroutes (autoroute Blanche et N1);

l’autoroute Genève-Lausanne-Sion définit une limite entre un tissu maillé en réseau de villes et un espace vierge parsemé de quelques villes plus isolées et de stations de ski de standing. Alors que les villes de Montreux, Sion, Verbier, Chamonix, Grenoble, Lyon, Paris et Lausanne forment une sorte de limite extérieure à la carte, Nyon, Ferney, St-Julien et Annemasse apparaissent comme pôles relais de l'agglomération genevoise. La ville d'Annecy apparaît plus fréquemment que son lac; ce dernier ne fait pas partie du paysage

cartographié par les interviewés genevois, alors que la ville représente un pôle d'activité et principalement d’achats.

- Pour les interviewés de France voisine, Genève, Annemasse et Annecy forment trois lieux urbains d'importance quasi équivalente dont Genève est le centre géographique. A l'intérieur de Genève une distinction s'opère entre Genève, Carouge et Lancy. Les axes autoroutiers ne sont pas représentés et ne structurent donc pas de différence entre un réseau territorial maillé et un arrière-pays dominé par l’espace vierge: au-delà de Genève, apparaissent ponctuellement les villes de Lyon, Grenoble, Annecy, Bellegarde, et aussi Lausanne, Nyon, Montreux, Sierre et Sion. Quelques stations de ski uniquement françaises sont mentionnées.

Pour les interviewés suisses et français, la frontière est rarement cartographiée: tantôt limite administrative, tantôt repère, elle n’a donc qu’une importance réduite dans l’imaginaire. La région genevoise est largement tournée vers la France, englobant les zones de la Haute-Savoie et du Pays de Gex. Du côté suisse, la région dépasse rarement les limites du canton de Vaud et du Valais, mais elle peut parfois s’étirer jusqu’aux pôles de Neuchâtel, Bâle, Lyon et Paris.

2.2. Qualification des lieux de part et d’autre de la frontière

Pour les Genevois, le canton de Genève est à la fois un lieu de résidence, de travail et de loisir;

c’est aussi un lieu d’évocation de souvenirs personnels d’amitié et de rencontres, plus rarement de regroupement familial. Curieusement les qualifications de Genève comme lieu culturel sont plutôt rares et se reportent davantage sur les villes de Montreux et de Martigny. Les qualifications différentielles des lieux de la France voisine se déclinent sur trois registres principaux: les loisirs, les achats et la structuration symbolique du paysage environnant (Salève et Jura). Les villes de Haute-Savoie y sont généralement mentionnées comme des lieux d’achats et de passage, sans qualités culturelles. Les significations présentées par les haut-savoyards et les gessiens insistent davantage sur le fait que Genève constitue avant tout un pôle culturel inévitable en complémentarité avec les villes moyennes françaises de la région (Annemasse, Divonne, Annecy et Thonon). Pour eux, Genève est ensuite un lieu de travail ou d’étude, de loisir et de promenade (ville, bord du lac). L’histoire et le souvenir n’est pas présent dans la cartographie mentale des interviewés français et la partie française de la région est décrite en termes très diversifiés de loisirs urbains et montagnards, d’habitation, de culture, d’achats, d’amitié et de famille et de qualité paysagère. Par contre le travail n’est pratiquement pas mentionné.

2.3. Qualifications des clichés photographiques idéaux-typiques du paysage régional

Confirmant ce qui vient d’être dit par l’interprétation des cartes mentales, la photographie du Pied du Salève évoque de manière unanime la qualité visuelle du paysage régional. La rade et le lac Léman évoquent pour les interviewés suisses et français à la fois un lieu symbolique et un lieu de loisirs et de promenade, mais alors qu’il participe de l’image internationale et touristique pour les genevois, il connote la centralité genevoise régionale pour les haut-savoyards et les gessiens. Alors que la photographie de la campagne genevoise évoque les images du passé et les souvenirs personnels pour les genevois, elle signifie davantage le côté naturel de la région pour les interviewés de France voisine. En ce qui concerne l’image du paysage agricole français, les genevois y voient un lieu de promenade, alors que les français y voient principalement le côté naturel de la région. Le cliché de la ferme savoyarde qui suscite plus faiblement les mêmes valeurs mais représente principalement la ruralité régionale pour les haut-savoyards et les gessiens. Le cliché de la principale rue marchande d’Annemasse est vu de part et d’autre comme un lieu d’achat, avec toutefois davantage de connotations négatives

exprimées en termes esthétiques par les interviewés genevois. Par opposition, l’image de la Vieille-Ville de Genève constitue l’image sécurisante des vieilles pierres et du passé, la ballade et les loisirs culturels. Alors que la Place Neuve de Genève, représente un haut-lieux de la culture et un nœud central de passage pour les interviewés genevois, elle est principalement qualifiée comme étant un lieu de transbordement de transports publics pour les interviewé de France voisine.

En conclusion, si les interviewés genevois et français hiérarchisent de manière préférentielle les images représentant leurs territoires respectifs, on remarque que les genevois préfèrent les photographies des lieux urbains de Genève alors que gessiens et haut-savoyards préfèrent les paysages de campagne. A Genève, l’image de la Vieille-Ville est un lieu de centralité.

2.4. Les résultats de l’enquête pilote (avec le concours de R.J. Lawrence)

L’enquête pilote a été réalisée entre avril et juin 1995 auprès de 30 habitants de la commune de Puplinge (dans le Canton de Genève) et de 31 résidents de la commune de Ville-La-Grand en France (région frontalière). La récolte des informations a reposé sur un questionnaire comportant des questions ouvertes et fermées. Ces questions visaient à mettre en relation des données relatives aux ménages des interviewés et leurs conditions d'habitation (logement, immeuble, quartier), leurs conditions de travail, et leur style de vie, avec leurs appréciations et leurs utilisations des composantes de leur commune et le sens accordé à la Nature, à la ville et au concept de densité (voir détails en annexe 3):

 La première partie du questionnaire (voir l'annexe) est consacrée aux caractéristiques des personnes sondées, leur ménage et leur biographie résidentielle.

 Ensuite, il y a des questions relatives au logement, aux conditions d'habitation et de travail ainsi qu'aux déplacements entre le domicile et le lieu du travail, aux passe-temps, aux animaux domestiques, au réseau familial dans la même commune et à la disposition d’une résidence secondaire.

 La partie suivante est consacrée aux activités, fêtes et sociétés de la commune, aux problèmes du quartier habité ainsi qu'aux fréquentations des commerces, jardins et parcs publics. Ensuite, le répondant peut indiquer le type d'aménagements nouveaux souhaité dans la commune.

La dernière partie est consacrée à la définition de la ville et de la nature ainsi que la signification du mot densité.

Le profil des enquêtés met bien en évidence des différences de styles de vie et de types d’habitat. En effet, les personnes interviewées à Puplinge sont plus mobiles et moins stabilisées par un placement financier résidentiel. On y trouve davantage de familles locataires venus des communes urbaines de la ville de Genève qui y ont choisi de s’y établir pour quitter le centre-ville et bénéficier, au prix d’une forte pendularité, d’un cadre campagnard où sont implantés des petits immeubles locatifs. Comparativement à l’échantillon français, ces familles occupent dans des appartements relativement petits dotés d’un balcon pour principal prolongement. Cet ancrage citadin en périphérie se double fréquemment de la possession d’une résidence secondaire en France voisine. Les personnes interrogées à Ville-la-Grand comptent une proportion de personnes âgées plus élevée et davantage de personnes isolées (ménages d’une seule personne), souvent encrées dans la commune depuis longue date ou venant d’une des

raisons de l’attrait résidentiel de la commune. Les résidents y occupent plus d’espace et jouissent plus souvent d’un jardin privé.

En ce qui concerne certains problèmes liés à l’environnement local, notons que les interviewés de Ville-La-Grand sont plus sensibles aux problèmes du bruit, de l’insécurité, de l’isolement social, de la concentration de la population et de la pollution de l’air. Si le vandalisme constitue le motif de préoccupation principale des interviewés de Puplinge, c’est ensuite l’éloignement du centre (qui n’est pratiquement pas mentionné du côté français) qui constitue un problème, davantage même que le bruit. Pourtant cet éloignement du centre n’entraine que très rarement un sentiment l’isolement social et la pendularité n’empêche pas une plus large participation aux activités communales à Puplinge qu’à Ville-la-Grand. Cet éloignement du centre est alors davantage vécu en termes de sous-équipement de services et de loisirs (commerces, banques, cafés, restaurants, piscine publique, locaux pour jeunes), ce qui est moins le cas à Ville-La-Grand.

Quant aux loisirs, il intéressant de voir que les interviewés de Pulinge mentionnent davantage le sport que ceux de Ville-la-Grand. De même, les premiers interviewés au style de vie plus citadins considèrent davantage le jardinage comme un passe-temps et sont plus nombreux à posséder au moins un animal domestique. On note également que les enquêtés de Pulinge sont plus mobiles que ceux de Ville-La-Grand et franchissent plus facilement la frontière franco-suisse pour leur activités, leurs emplettes et leurs loisirs. Mais pour les uns comme pour les autres, et peu importe les distance à parcourir, la voiture privée est le principale outil fonctionnel de locomotion.

Les significations de la ville, de la densité et de la nature ne sont pas identiques chez les personnes interrogées de part et d’autre de la frontière. Du côté de Ville-La-Grand, la densité urbaine est davantage perçue comme le signe d’un regroupement d’activités et de commerces.

Elle est relativement peu le lieu de la concentration des personnes, du brassage social et des nuisances qui peuvent les accompagner, comme le présentent plus fréquemment les propos des enquêtés de Pulinge. Les significations du mot « nature » présentent moins de diversités que celles de la ville pour les personnes interrogées de part et d’autre de la frontière. Si à Puplinge, on associe plus la nature à la tranquillité alors qu’à Ville-La-Grand ont fait plus souvent référence à la vie, les résultats montrent que tous les interviewés se retrouvent sur les qualités de la beauté, de la liberté et de la propreté.