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La ville de Cotonou : Un laboratoire de dynamiques sociales

Chapitre 2 : Problématique et questions de recherche

2.4 Présentation de la ville de Cotonou et différences de contexte entre les deu

2.4.1 La ville de Cotonou : Un laboratoire de dynamiques sociales

La ville de Cotonou, érigée en commune puis en département (Littoral) à la faveur de la décentralisation et de la déconcentration de l’État, est la capitale économique de la

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République du Bénin, en Afrique de l’Ouest. Sur le plan physique, Cotonou est située sur le cordon littoral qui s’étend entre le lac Nokoué et l’océan Atlantique.

L’origine de la ville de Cotonou remonte aux années 1830 sur l’initiative du Roi Guézo (illustre Roi d’Abomey). La ville fut créée pour des besoins liés essentiellement à la traite négrière pour laquelle, « Okutonou » ou « Koutonou » devenu Cotonou servait de point de transit et d’embarquement. Selon l’une des légendes, « Okutonou » serait une appellation signifiant en langue locale fon « au bord de la lagune de Okou ». Ce dernier serait un habitant toffin rencontré sur les lieux par l’envoyé du roi d’Abomey. Okoutonou désignerait donc un élément physique du cadre géographique (Koukpaki, 1986).

En 1888, le territoire de la ville a été cédé à la France par le roi d’Abomey, ce qui eut pour effet l’accélération du processus d’urbanisation avec des flux de peuplement venant d’horizons divers (Grand- Popo, Agoué, etc.) pour participer à la construction du Wharf de Cotonou puis à la mise en place et au fonctionnement des infrastructures de circulation des produits de l’économie de traite (Fondation ATEF OMAIF, 2010).

Le petit village qui comptait 1175 âmes en 1905 est devenu aujourd’hui une grande ville ouest africaine, selon les données récentes de l’Institut Nationale de Statistique et l’Analyse Économique (INSAE 2003 ; INSAE, 20139).

Cotonou est aujourd’hui marquée par une co-urbanité galopante et accélérée, donnant progressivement naissance à une vaste « région urbaine » allant de Porto- Novo (à l’Est) jusqu’à Ouidah (à l’Ouest) et Abomey-Calavi (au Nord). Le taux d’urbanisation de la ville est passé de 36 % en 1992 à 40,4 % en 2002 (INSAE, RGPH3, 2002). Ce processus de co- urbanisation est favorisé non seulement par l’extension et la densification de la trame urbaine, mais aussi par l’occupation spontanée de la périphérie cotonoise; situation qui

9 Le dernier recensement en date au Bénin a eu lieu de 2012 à 2013. Au moment de la rédaction de la thèse,

les résultats officiels n’étaient pas encore disponibles. Cependant nous avions eu accès aux résultats provisoires que nous présentons dans la suite (page 54).

61 exerce une pression parcellaire sur la végétation et le foncier (Tchibozo, 2008). Cotonou connait des vagues récurrentes de migration interne du fait de sa position socio-économique particulière. On y rencontre la quasi-totalité des services administratifs nationaux, les ambassades, les agences de coopération, les sièges des institutions internationales, etc., mais aussi la quasi- totalité du potentiel économique du pays (maisons de commerce, industrie.) y compris le marché international de Dantokpa, le seul aéroport du Pays et l’unique port autonome. La ville subit aussi les influences socio-économique et démographique du géant voisin qu’est le Nigeria.

Sur le plan administratif, Cotonou est aujourd’hui divisée en 13 arrondissements (figure 1), subdivisée en 144 quartiers et s’étendant sur une superficie de 79 Km².

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Figure 1: découpage administratif de la commune de Cotonou.

Source : Plan de Développement communal de la ville de Cotonou, 2009

Selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat effectué par l’INSAE en 2002, les ethnies rencontrées à Cotonou sont majoritairement les Fon (32,9 %) et les Goun (15,2 %). On y trouve également les Mina (5,9 %) et les Yoruba (5,5 %). Sur le plan religieux, on retrouve notamment les catholiques (57,8 %) et les musulmans (14,2 %). Les autres chrétiens et les célestes font respectivement 4,4 % et 7,8 %, mais il faut noter un fort syncrétisme religieux dans un contexte où la pratique religieuse reste presque toujours influencée par les us, les coutumes et les pratiques de la religion vodoun. C’est ce constat qui faisait dire au missionnaire Francis Aupiais, alors Curé de Porto-Novo en 1928 que la religion vodoun contient les vestiges d’une révélation (c’est une religion « naturelle ») et ses valeurs doivent être récupérées, par exemple en africanisant les rites catholiques, et en formant au plus tôt un clergé indigène (Aupiais, 1928 cité par Martine Balard, 2007).

63 La population dénombrée à Cotonou était de 665 100 habitants en 2002 suivant les résultats du 3ème Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2002 (RGPH 3, 2002). Il a été dénombré dans cette population 94,5 hommes pour 100 femmes. Le poids démographique de Cotonou était d’environ 10 % de la population du pays avec une densité moyenne de 8420 habitants au Km2. Cette population serait passée à 678874 en 2013 (Rapport provisoire RGPH 4, INSAE 201310).

Le tableau 2 qui suit, résume pour la ville de Cotonou quelques statistiques importantes tirées du RGPH 3 (2002).

Tableau 2 : Quelques données démographiques sur la ville de Cotonou

Population de moins de 15 ans 34,1 %

Population 15 à 34 ans 62,7 %

Population 35 à 60 ans 34 %

60 ans et + 3,3%

Taille moyenne des ménages 4,31

Taux de croissance démographique 2,17 %

Population de moins de 15 ans scolarisée 78,6 %

Source : Recensement Général de la population, 2002

À l’instar de plusieurs villes africaines, la population Cotonoise est relativement jeune. Les données du recensement de 2002 montrent que 78,6 % de la population a entre 15 et 59 ans. Les plus âgés, à savoir ceux qui ont 60 ans et plus, ne représentent que 3,3 % de la

10 Rapport partiel et provisoire du recensement de la population béninoise en 2013 disponible sur

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population et les moins de 15 ans 34,1 % de l’effectif total. Autrement dit, environ 6 personnes sur 10 ont 18 ans et plus à Cotonou.

L’ensemble des données présentées permet d’inscrire l’urbanisation cotonoise dans le courant du modèle de la « ville africaine » perçue comme un « ensemble urbain mal fagoté, bricolé à la hâte » (Pedrazzini et al., 2009). Dans cette perspective, plusieurs auteurs montrent que les villes africaines se trouvent engagées dans une urbanisation accélérée, mosaïque, intermittente, anarchique, mal négociée et mal construite (Dubresson et Jaglin, 2002; Houssay-Holzschuch, 2002, 1998; Jaglin, 2001; Chandon-Moêt, 1998; etc.). Ces auteurs s’accordent sur la « crise de l’urbanisation » africaine, avec comme résultats des villes « éparpillées », « poubelles », « villes insalubres ou polluées », « villes fragmentées », « villes cruelles », « bidonvillisées », « disloquées » où des populations en provenance continue des campagnes, font face à la grande pauvreté urbaine et inventent des réseaux et des pratiques illicites qui compromettent toute efficacité d’une réelle politique urbaine. Les regroupements ethniques et la réinvention des habitus communautaires sont visibles dans les quartiers populeux et entraînent une recréation des « villages dans les villes » (Young et Willmott, 1983). Les auteurs soulignent une véritable « colonisation » des rues et des espaces vides qui sont transformés de façon anarchique en des lieux de la « débrouillardise » (Ela, 1998).

Ces analyses globalisantes ou dominantes en termes de blocages structurels et conjoncturels ne prédisposent pas à découvrir l’invention de la ville africaine. Les évocations en termes de poids du passé colonial, de déficits de planification, de politiques urbaines confuses et d’une omniprésente pauvreté qui condamne à la survie et à l’insécurité, sont certes justifiées, mais elles semblent cependant assez réductrices. Cotonou à l’image de l’Afrique urbaine semble être aujourd’hui en pleine mutation, à la fois pour des raisons démographiques et pour les dynamiques plurielles créatrices d’innovations sociales renouvelées et diversifiées qui s’y déroulent. Djouda Feudjio (2010) dira que l’Afrique urbaine n’est pas seulement un espace de violence, d’insécurité, de pauvreté et de crises.

65 Elle est aussi le lieu de multiples métissages, de construction de réseaux sociaux et économiques, de nouvelles cultures urbaines, de solidarités innovantes et de syncrétismes créateurs (Djouda Feudjio, 2010).

C’est dire que la ville africaine ne saurait plus être analysée seulement comme « ville disloquée », sans avenir, mais il y a lieu de l’observer aussi comme un véritable « laboratoire » des dynamiques urbaines. Cette perspective se retrouve de plus en plus chez bons nombres d’auteurs (Ela, 1998; Durang, 2001). Pour Ela (1998), ce qu’il faut voir aujourd’hui, c’est une Afrique à l’état naissant, dans une période de transition où l’on doit être attentif aux lieux d’initiatives, aux champs sociaux où se construisent les nouveaux modes de vie, les réinterprétations confuses, les dynamiques imprévues, les évolutions annonciatrices de ruptures politiques, sociales et économiques (Ela, 1998). La « ville africaine » est le lieu de gestation d’une culture urbaine qui n’est ni celle du village, ni comme on l’a longtemps cru, une sous-culture mimétique d’importation. Cette culture urbaine transparaît dans les mentalités et dans les paysages urbains, ainsi qu’au cœur de la vie quotidienne domestique (Durang, 2001).

C’est dans cette perspective de dualité qu’il faut désormais lire les phénomènes sociaux (dynamiques des parcours de vie, transitions vers l’âge adulte, dynamiques des trajectoires de vie, etc.) dans les milieux urbains africains comme la ville de Cotonou.

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2.4.2 Mise en contexte général des conditions de vie des deux générations de Cotonois