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Facteurs sociohistoriques influençant le modèle traditionnel de parcours d’entrée

Chapitre 2 : Problématique et questions de recherche

2.2 Facteurs sociohistoriques influençant le modèle traditionnel de parcours d’entrée

Dans les sociétés occidentales, le passage de la société préindustrielle à la société industrielle puis de la société industrielle à la société post-industrielle a induit de sérieux changements sociaux tant au plan macro qu’au plan micro social (Beck, 1992, 1997; Giddens, 1991, 1992, 2000; Bajoit et al., 2000; Schehr, 2000). En Afrique subsaharienne, même si l’évolution sociohistorique paraît différente et que l’on semble passer d’une société préindustrielle à une société pseudo-industrielle puis à une société simplement contemporaine, les mutations sociales sont aussi majeures, contrairement à l’imaginaire d’une Afrique aux réalités immuables.

Les travaux de Calvès et al. (2006) permettent de résumer efficacement les facteurs sociohistoriques qui en Afrique influencent la socialisation et qui auraient progressivement « modifié les modes d’accès traditionnels au statut d’adulte » (Calvès et al., 2006, pp. 143- 145). On retiendra de ces travaux, quatre facteurs majeurs qui sont de façon évidente en relation étroite avec les facteurs socio-économiques et démographiques identifiés plus haut comme étant porteurs de changement social en Afrique. Il s’agit de la scolarisation et de la croissance urbaine, de l’éloignement de la famille d’origine et de l’accès à un emploi salarié, puis de la crise économique des années 1990 qui parachève la reconnaissance des jeunes comme un groupe social, puis enfin de l’évolution des politiques et programmes.

Dans le cas particulier du Bénin, il faut dire qu’à partir de la date de son accession à l’Indépendance (1er août 1960) jusqu’à nos jours, l’histoire sociopolitique et économique a

51 été marquée par plusieurs périodes : celle comprise entre 1960 et 1980, caractérisée par une instabilité politique et un système économique de type socialiste; la période allant de 1980 à 1989 caractérisée par une politique marxiste puis enfin, la période de 1990 à nos jours, marquée par l’avènement de la démocratie avec une économie de marché, davantage tournée vers l’extérieur dans un contexte de mondialisation, mais qui attend encore de faire ses preuves (Akindé, 2010; Banegas, 1995, 2003; Noudjenoumè, 1999; Bayart, 1989, Gnancadja et al 2011).

En effet, entre 1960-1980, la politique économique et sociale du Bénin a pris appui sur une certaine « assimilation » des élites et de la couche moyenne par le biais de recrutements automatiques et massifs des jeunes diplômés et l’évolution accélérée aux « postes juteux » démultipliés de l'administration publique. Une certaine solidarité publique venait en soutien à la solidarité familiale et communautaire pour entretenir la reproduction sociale. Même si entre 1960 et 1972, le pays a traversé une période d’instabilité politique chronique marquée de coups d’État militaires (Gnancadja et all 2011), à la prise de pouvoir du Général Mathieu Kérékou le 26 octobre 1972, la politique de cooptation des élites et de recrutement massif s’est poursuivie (Diop, 2001). Le service militaire des jeunes, fût alors institué comme obligatoire, pour renforcer le lien civique et intégrer les jeunes dans la république marxiste. Avec la nationalisation des entreprises, de nombreux postes étaient disponibles dans l’administration publique à divers niveaux, notamment pour les personnes scolarisées. La stabilité du Régime Marxiste-léniniste, qui rompt avec l’instabilité des années 60, reposait classiquement sur divers mécanismes d'accumulation et de gestion politique des « richesses » basées sur la conjoncture économique, les revenus croissants tirés de l'exportation de matières premières, les aides attirées habilement de l'Est et de l'Ouest puis la perception et le détournement des droits de douane et des taxes à la réexportation dans un État devenu « entrepôt », avec sa politique de transit (Banegas, 1995). Tout ceci permettait la rétribution et l’entretien des soutiens, avec en plus la contrebande et le commerce informel avec le Nigéria, tolérés si ce n'est entretenu par le régime qui garantissait par ce biais l'approvisionnement de la population urbaine et s’assure la loyauté des commerçants (Banegas, 1995). Entre 1970 et 1980, on est passé de 12 000 à 49 000 fonctionnaires

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(Banegas, 1995). Dénommée « politique du ventre " en lien avec deux adages locaux « pour avoir le ventre plein, il faut avoir une bouche qui ne parle pas » et « la bouche pleine ne parle pas », la politique économique notamment entre 1972 et 1980 a contribué à anéantir la formation de contre-élites et d’opposition potentielle. Mais la crise économique des années 1980, semble avoir fissuré l'édifice. Malgré les réformes partielles qu'il entreprend, le régime voit sa capacité de reproduction s'éroder : faillite bancaire, crise fiscale, et conditionnalité limitent les possibilités de renouveler le « compromis post-colonial », d'assimiler les nouvelles élites qui expriment de plus en plus leurs frustrations de ne pas participer au partage du « gâteau national ». En outre, la paupérisation croissante des couches moyennes urbaines érode les bases sociales du régime et, dès le milieu des années 1980, le mécanisme de régulation semble s'enrayer, victime de ses contradictions (Banegas 1995, Médard, 1990). La crise des finances publiques, déjà sensible depuis 1983, atteint son point culminant fin 1988-début 1989 avec l'accumulation des dettes intérieure et extérieure et la cessation de paiement par le trésor public. En 1988-89, le Bénin était donc dans un état de faillite bancaire et de banqueroute totale. Les trois banques du pays se retrouvent en situation d'illiquidité, la Banque Commerciale du Bénin avait déjà perdu quarante-trois fois son capital. Ce que Banegas (1995) appelle une « bombe » sociale et politique était alors perceptible au plan économique, social et politique. L'accumulation des arriérés de salaire (6 à 8 mois) dans la fonction publique et le contrôle puis le gel des retraits bancaires porte à son comble une tension déjà vive (Banegas 1995, p. 4). Cette désagrégation de la « politique du ventre » va avoir une importance non négligeable dans la mobilisation des acteurs béninois et étrangers en faveur du renouveau démocratique.

La faillite financière s’est accompagnée d’un tarissement des circuits de redistribution clientéliste et du blocage des mécanismes de régulation interne déjà érodés par le marasme économique des années 1980. Face à la situation, le Fonds Monétaire international (FMI) a imposé dès 1989, des mesures économiques draconiennes connues sous le nom de Programme d’Ajustement Structurel (PAS I) : prélèvements supplémentaires de 10 % sur les salaires, gel des embauches, encouragement au départ à la retraite. Mais le Programme

53 n’a pas été conduit à terme en raison de l’évolution politique qui a débouché sur la Conférence des forces vives de la Nation tenue en février 1990 (Diop, 2001; BAD, 2003). Sous le PAS I, la crise du recrutement systématique dans la fonction publique, déjà à l'œuvre depuis quelques années, s'accentue en 1988-1989 et place les jeunes de plus en plus nombreux à être diplômés dans une situation inédite et nouvelle par rapport leur avenir professionnel, leur réseau de soutien et même leur passage en vie adulte. Une grève massive des étudiants et des fonctionnaires fût alors déclenchée conduisant le pays dans une transition démocratique conjointement avec le processus de réformes économiques. En 1990, un gouvernement de transition fût mis en place ouvrant la voie à la démocratie et au multipartisme avec l’organisation d’une conférence nationale puis d’une élection présidentielle. La situation économique peut enfin s’améliorer, mais très vite la dévaluation du franc CFA vient anéantir les espoirs. Le 11 janvier 1994 à Dakar en présence du Directeur général du FMI (M. Camdessus) et du ministre français de la Coopération (M. Roussin), les chefs d'États et de gouvernement des pays de la Zone franche « décidaient ou acceptaient » de dévaluer de 50 % la parité du franc CFA par rapport au franc français. La valeur du Franc CFA passait ainsi de 0,02 franc français à 0,01 franc français.

Lorsqu’on observe la situation du Bénin depuis 1960, on constate des améliorations, notamment en matière de santé et de scolarisation, mais la qualité de vie reste insatisfaisante. Le Bénin est classé 166/184 pays, selon l’indice de Développement Humain (IDH, PNUD, 2013). Le chômage et le sous-emploi restent préoccupants, touchant plus de 70,7 % de la population en âge de travailler et plus particulièrement les jeunes. Selon le dernier recensement (RGPH, 2002), 33 % des jeunes ont un emploi rémunéré contre 72,5 % pour les adultes et 17 % des jeunes sont des travailleurs familiaux non rémunérés contre 5,9 % pour les adultes. En outre 40 % de la population vivent en milieu urbain et Cotonou est de loin la plus grande ville du Bénin avec 815 000 habitants sur 6 769 914 (RGPH, 2002).

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