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Vers la transformation des parcours d’entrée en vie adulte?

Chapitre 2 : Problématique et questions de recherche

2.3 Vers la transformation des parcours d’entrée en vie adulte?

Malgré le nombre croissant de productions scientifiques sur la modernité africaine (Copans, 1998; Ela, 1998), l’échec des programmes de développement et les très mauvais indicateurs sociaux et économiques dans la plupart des pays africains font que « l’Afrique des idées reçues » domine le débat et cantonne encore trop souvent le continent dans ses traditions immuables (Calvès et Marcoux, 2008). Or ces trente dernières années, le lien social en Afrique a été confronté à l’épreuve des mutations qui se sont imposées du fait des changements démographiques, sociaux (modernité, modernisation, urbanisation, démocratie, mondialisation) et notamment de la crise économique persistante qui induit une sollicitation à l’extrême des solidarités sociales en même temps qu’un épuisement des ressources disponibles pour répondre efficacement aux diverses sollicitations. Dans le même temps, les États dérogent à leurs engagements quasi paternalistes caractérisés, entre autres dans le cas béninois, par la fin des recrutements massifs et automatiques des diplômés dans la fonction publique au détour des années 1980. Plus généralement, les relais de solidarité susceptibles de provenir du système public sont quasiment inexistants dans les villes ouest-africaines en proie à une urbanisation rapide comme c’est le cas à Cotonou. Ces villes deviennent alors de « véritables laboratoires de dynamiques socio-économiques ».

Dans la perspective intergénérationnelle, la solidarité et la régulation sociale qui peut en découler se manifestent surtout durant le passage de l’individu vers l’âge adulte comme il découle de l’analyse des rites traditionnels de passage. Cette période constitue donc un champ d'observation privilégié des dynamiques générationnelles de la socialisation et des parcours de vie.

Les transformations que l’on note dans les parcours d’entrée en vie adulte sont essentiellement le fruit des influences que les institutions (famille, couple, école, État), de régulation sociale et les systèmes de solidarité ont subi à travers le temps (Bajoit et al.,

55 2000; Schehr, 2000). Si on définit les institutions comme « un ensemble de schémas de conduite, de modèles (patterns) de comportement fixés sous l’effet de la répétition d’actions individuelles » (Dubar, 2000, p. 43),

…la famille, le couple et l’État demeurent des institutions, même moins fortes et moins consensuelles. Ces institutions ne correspondent plus tout à fait à ce qu’elles étaient au moment de la société industrielle et se sont diversifiées (Gaudet, 2001, p. 2)

Il y a eu comme une désinstitutionalisation, qui influe aussi sur les rôles et les statuts liés aux différents moments du cycle de vie (Giddens, 1991).

Comme le souligne Bozon (2002),

les rites de passage, qui organisaient et solennisaient naguère le processus de passage à l’âge adulte, ont cédé la place à une transition plus progressive, reposant sur des procédures informelles et éventuellement réversibles, parsemées de rites ponctuels. Ces « premières fois » n’inaugurent pas forcément l’entrée dans une phase d’expérimentation féconde, ni la construction progressive de la maturité sociale. Elles entretiennent un statut d’individu en transition et dissimulent mal le caractère tâtonnant du passage à l’âge adulte (Bozon 2002, p. 22).

En Afrique, si le discours d’une complexification des parcours d’entrée en vie adulte et de l’affaiblissement de la régulation sociale est de plus en plus avancé, les analyses approfondies basées sur de véritables comparaisons intergénérationnelles demeurent rares. Quelques auteurs (Calvès et al., 2007; Calvès et al., 2006; Hertrich et Lesclingand, 2003; Gondard-Delcroix, 2010; 2008; Antoine et al., 1992, 2001; Marroquin, 2009; Mouvagha- Sow M., 2001, etc. ) ont approché les mutations de parcours d’entrée en vie adulte en Afrique sous l’angle des trajectoires et de façon rétrospective. Quatre types de trajectoires

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reviennent souvent dans les analyses : la trajectoire professionnelle, la trajectoire résidentielle, la trajectoire de vie féconde et la trajectoire matrimoniale. En dépit des différences de contexte, les résultats de ces études semblent globalement converger vers un consensus.

À Ouagadougou (Calvès et al 2007), Dakar, Antananarivo et Yaoundé (Antoine et al., 2001, 1992), les études montrent une entrée sur le marché de l’emploi de plus en plus tardive pour les hommes et les femmes de la nouvelle génération et plus particulièrement chez les personnes scolarisées. On note aussi une « informalisation » croissante du premier emploi, contrairement aux aînés scolarisés qui travaillent en grande partie dans la fonction publique. L’entrée en union est aussi nettement plus tardive chez les jeunes femmes, mais relativement aussi chez les jeunes hommes. À Ouagadougou par exemple l’entrée en union se fait autour de 21 ans chez les plus jeunes alors qu’elle s’établit à 17 ans pour les ainés (Calvès et al., 2007). Ces études montrent l’apparition de nouvelles formes d’entrée en union non maritale (Calvès et al., 2007 ; Calvès et al., 2006 ; Hertrich et Lesclingand, 2003 ; Marroquin 2009). Par exemple à Ouagadougou environ 28 % de personnes de la jeune génération sont en union non maritale contre à peine 5 % chez les aînés (Calvès et al., 2007). Il y a alors un changement du contexte d’union à la première naissance, celle-ci étant d’ailleurs différée. L’autonomie résidentielle subit aussi des modifications avec un départ du foyer familial retardé même chez ceux qui travaillent déjà, s’établissant autour de 24 ans au sein de la jeune génération à Ouagadougou (Calvès et al., 2007).

À 25 ans, à Dakar, seulement 14,7 % des hommes de la génération la plus âgée avaient connu les trois événements (emploi, mariage et autonomie résidentielle) contre une infime proportion de la plus jeune génération (6,7 %). Les proportions sont plus élevées à Yaoundé (respectivement 28,1 % et 18,4 %) et à Antananarivo (33,4 et 26,5 %), mais marquent dans les villes un retard dans le franchissement des étapes de passage au statut d’adulte (Antoine et al., 2001 p. 22).

57 On assisterait donc de plus en plus à un allongement de la période de transition entre l’enfance et l’âge adulte et à l’émergence de nouvelles catégories de jeunes urbains difficilement « classables », qui transitent par des « états transitoires flous » (Calvès et al 2006).

Face à toutes ces mutations, Antoine et al., (2002), parle de « désynchronisation des étapes » et d’indépendance au rabais des jeunes, contraints de rester jeunes (Antoine et al., 2001, p. 27 ), alors que Calvès et al., (2007) évoque l’émergence de deux catégories nouvelles d’adultes émergents : les “apparents brûleurs d’étape” (mères célibataires par exemple) et les “passeurs de fausses étapes” (travailleurs hébergés par exemple).

La plupart des études précédemment évoquées ont porté sur des pays ouest-africains, mais pas spécifiquement sur le Bénin. De plus, toutes ces études ont été réalisées, il y a plus d’une dizaine d’années et, compte tenu du rythme des bouleversements socio-économiques au Bénin on est bien tenté de croire qu’il y a un besoin de renouvellement des approches méthodologiques, mais aussi d’appréhension des tendances nouvelles que prennent les trajectoires et les parcours d’entrée en vie adulte.

Selon Calvès et al., (2006) et Calvès et Marcoux (2004), le contexte typique de mise à mal du système de solidarité sociale et d’affaiblissement des relais de solidarité susceptibles de provenir du système public aurait entrainé des « états flous » et des « trajectoires complexes » de « devenir adulte ». Or, les enchaînements et les temporalités que prennent les évènements marquants le parcours d’entrée en âge adulte expriment pour une grande part, les modèles (parcours de vie et régulation sociale) transmis ou non, mais aussi les aides (solidarités, soutiens et supports) provenant de l’entourage social. En cherchant donc à analyser la dynamique des parcours d’entrée en vie adulte, l’on pourrait aussi réussir à savoir, comment, au fil du temps, les modalités de régulation et d’entraide sociale se transforment, s’affaiblissent ou disparaissent.

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Plusieurs questions subsistent: Par quels processus et quels cheminements, les jeunes deviennent adultes à Cotonou? Comment se construisent ces processus à travers les générations? Sous l’influence de quels types de régulation sociale? Quelles différences et ressemblances peut-on noter dans les parcours d’entrée en vie adulte en fonction du genre et de la génération? Ce sont là les questions fondamentales au cœur de notre thèse de Doctorat.

L’entrée en vie adulte pourrait se définir comme le franchissement d’un seuil au-delà duquel on sort de la catégorie des personnes à charge pour prendre en main son existence et devenir un véritable acteur de la société (Antoine et al., 2001). Selon Olivier Galland, entrer dans la vie adulte signifie occuper un certain nombre de statuts : avoir un emploi, être installé dans un logement indépendant de celui de ses parents, vivre en couple et fonder une famille (Galland, 1996). La définition des seuils occulte, de ce fait, l’ensemble des statuts intermédiaires qui peut s'intercaler entre les situations qui relèvent de l’adolescence et de l'âge adulte : emplois temporaires, stages professionnels rémunérés, apprentis-aide rémunérés, vie solitaire, vie en couple hors des liens du mariage, vie en couple sans enfant, célibataire avec enfants, etc.

Cette définition des seuils à franchir, censés délimiter l’entrée en vie adulte semble ne plus convenir au contexte social ouest-africain et béninois puisque l’entrée en vie adulte se révèle comme étant un processus dynamique et non un statut. C’est pourquoi Calvès et al. (2006, p. 143) affirment que les marqueurs « classiques » de l’entrée en vie adulte ne suffisent plus pour rendre compte « des états transitoires flous » qui caractérisent un nombre grandissant de jeunes dans les villes africaines aujourd’hui.

La présente recherche envisage alors de renouveler l’approche d’appréhension des modes d’entrée en vie adulte en articulant plusieurs dimensions pour aboutir à la définition des grands schèmes de parcours d’entrée en vie adulte. Nous envisageons aussi d’analyser

59 chaque sphère ou trajectoire du parcours d’entrée en vie adulte afin d’appréhender les états intermédiaires, les « allers-retours » ou bifurcations ainsi que les logiques sociales sous- jacentes. En analysant les processus d’entrée en vie adulte, nous interrogeons aussi ce que la société apporte comme soutien et support aux jeunes, comment elle contribue à la structuration de leur parcours et sur quelles bases repose cette structuration.

L’objectif général poursuivi à travers ce travail est alors d’appréhender, dans une perspective générationnelle, la dynamique des trajectoires et des parcours d’entrée en vie adulte ainsi que les logiques sociales qui sous-tendent cette dynamique.

De façon spécifique, il s’agit d’abord de procéder à une conceptualisation propice de la notion de parcours d’entrée en vie adulte et d’identifier les trajectoires pertinentes. Ensuite, il s’agit de repérer dans le séquençage des trajectoires les diverses transitions ainsi que les ruptures et les permanences d’une génération à l’autre. Enfin, il s’agit de procéder à une typologie des parcours d’entrée en vie adulte et de comparer la distribution des types de parcours au sein des deux cohortes étudiées.

Il faut préciser que les deux générations objet de cette étude ont été choisies sur la base de l’histoire socio-économique et politique du Bénin, mais aussi en prenant en compte les changements assez radicaux de conditions de vie qui séparent ces deux générations de Cotonois comme nous le verrons dans la section suivante.

2.4 Présentation de la ville de Cotonou et différences de contexte entre les deux générations