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Présentation et analyse des résultats sur la perception du parcours d’entrée en vie

Chapitre 5 : La perception de soi comme adulte en devenir

5.1 Présentation et analyse des résultats sur la perception du parcours d’entrée en vie

Le tableau 8 permet de synthétiser par cohorte les thèmes qui ressortent de l’analyse des données sur la perception des répondants en ce qui concerne les parcours d’entrée en vie adulte. Ce tableau montre qu’on peut distinguer cinq principales dimensions en termes de perception des parcours d’entrée l’entrée en vie adulte. On y dénote plusieurs différences de perceptions de même que certaines uniformités.

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Tableau 8 : Récapitulatif synthétique des perceptions des répondants sur la notion de parcours d’entrée en vie adulte

Perception générale Perception des événements qui déclenchent le parcours

Perception des types de trajectoires

Perception des finalités Perception du parcours idéal, supposé normal Aînés

Notion de processus complexe

- Premier emploi +

- Premier mariage traditionnel + - Première parentalité

- Première décohabitation - Rites traditionnels

- Décès d’un ou des parents

- Professionnelle - Résidentielle - Matrimoniale - Génésique - Devenir un adulte (perception individuel et regard de l’entourage) - Responsabilisation+ - Autonomisation - Apprentissage - Enchainement de type idéal - Temporalité - Centralité du réseau familial dans la production du parcours

Jeunes - Première parentalité + - Première décohabitation + - Première mise en couple - Premier emploi - Insertion professionnelle - Résidentielle - Vie de couple - Vie féconde - Devenir un adulte (perception individuel et regard de l’entourage) - Autonomisation - Responsabilisation - Apprentissage

137 Que ce soit au niveau des jeunes ou des aînés, le parcours d’entrée en vie adulte est perçu comme un processus complexe s’étalant dans le temps: « On ne se lève pas un beau matin pour se retrouver adulte ». Cette portion de verbatim tiré d’un entretien avec une femme d’une soixantaine d’années à Cotonou résume à elle seule la perception unanime des répondants au sujet du parcours d’entrée en vie adulte.

Cette femme s’exprimait dans les termes qui suivent :

Connais-tu le dicton qui dit qu’on ne se lève pas d’un sommeil profond pour demander à partager les choses en trois parts égales? Et bien c’est la même chose que ce que tu demandes là hein! On ne se lève pas un beau matin pour se retrouver adulte! C’est comme si tu quittes un village pour aller vers un autre qui n’est pas voisin… tu dois obligatoirement traverser champs et rivières. Propos de AF.114.

Un jeune homme d’une trentaine d’années nous faisait part de sa perception du parcours d’entrée en vie adulte comme suit:

[…] Ounh! C’est […], un cheminement qui vous permet de devenir soi-même, par rapport à votre famille et à votre entourage. Vous voyez ce que je veux dire? C’est un chemin qui permet progressivement de se donner et/ou de recevoir des autres, les conditions et les moyens qui vont te permettre de commencer à donner à toi-même et aux autres, beaucoup plus que tu ne reçois d’eux […]. Propos de JH.3.

14 Ce code signifie qu’il s’agit ici d’un individu de sexe masculin, de la cohorte des jeunes et ayant un niveau

de scolarisation atteint correspondant au premier cycle de l’enseignement secondaire. Pour plus de renseignements sur les caractéristiques et les codes de l’ensemble des individus dont les verbatim ont été cités voir l’annexe 1 qui présente quelques caractéristiques de l’ensemble des enquêtés.

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Il ressort donc de nos investigations que le parcours d’entrée en vie adulte est largement perçu dans le contexte d’étude comme un processus complexe, enraciné dans le ciment social et influencé par des facteurs individuels et structurels.

L’analyse des perceptions des trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte nous amène à constater que globalement les individus des deux cohortes font toujours référence à quatre types de trajectoires. On constate que les répondants des deux cohortes font tous référence à la trajectoire résidentielle. Pour le reste, les individus de la cohorte des aînés évoquent presque toujours les trajectoires professionnelles, matrimoniales et génésiques, alors que les individus de la cohorte des jeunes mentionnent très souvent les trajectoires d’insertion professionnelle, de vie de couple et de vie féconde. Même si on peut établir des passerelles entre trajectoire professionnelle et trajectoire d’insertion professionnelle, entre trajectoire matrimoniale et trajectoire de vie de couple, puis entre trajectoire génésique et trajectoire de vie féconde, il faut constater que le contexte de « crise » amène les individus de la cohorte des jeunes à élargir les horizons des trajectoires, pour y inclure des situations de bifurcations et transitions floues d’ordre contemporain, probablement plus fréquentes au sein de cette cohorte. Comme nous le verrons dans la suite, les trajectoires retenues pour les fins de l’analyse sont celles évoquées par les individus de la cohorte des jeunes, puisque cette conception permet d’inclure lors de la collecte et de l’analyse, les quatre trajectoires tel qu’identifié par les individus de la cohorte des aînés. Nous reviendrons plus loin sur la définition des sous-dimensions et des types de transitions que l’on peut retrouver au sein de chaque trajectoire.

L’analyse de la perception des événements qui peuvent induire le début du parcours d’entrée en vie adulte, révèle une variabilité de marqueurs caractéristiques des bornes d’entrée du parcours d’entrée en vie adulte.

139 C’est difficile de te dire qu’il y a une seule chose qui déclenche ce

parcours … tout le monde sait que, commencer par travailler et gagner son pain c’est la bonne manière pour commencer à devenir adulte. Mais, de nos jours c’est une affaire de chance hein! Si tu es sur les bancs encore et tu enceintes une fille et que tes parents n’ont pas les moyens, tu n’as pas le choix. Si tes parents décèdent par exemple, tu es précipité dans la course. Si tu quittes tes parents pour aller à l’université à Calavi et que tu dois cohabiter avec un frère et que ce dernier n’a pas véritablement les moyens, c’est là que tu commences à cumuler de petits jobs, […] tu vois, il y a plein de choses aujourd’hui qui te mettent sur la voie pour devenir adulte. Propos de JH.6.

Selon certains répondants c’est l’obtention d’un premier emploi salarié (y compris stage payant, statut de boursier ou apprentissage-aide rémunéré) qui marque le début de parcours d’entrée en vie adulte. Selon cette perception, c’est à partir du moment où l’individu commence son insertion professionnelle, gagne un revenu et entame son autonomisation économique que l’on peut dire qu’il démarre son parcours d’entrée en vie adulte.

À notre époque, une fois que tu finis tes études tu avais un emploi salarié dans l’administration publique. Dans la plupart des cas on s’achète une motocyclette « bbct » avec les premiers salaires et le reste suit : mariage enfant, etc, […] Je me souviens qu’à partir du moment où tu achètes ta « bbtc », le regard de l’entourage change parce que tu changes de statut en passant de receveur à potentiel donneur. Propos de AH. 5.

Selon une autre perception, le mariage (notamment chez les aînés), la mise en couple et surtout l’engagement parental, du fait de son caractère irrévocable, concrétise le plus, l’entrée dans le parcours qui mène l’individu vers la vie adulte.

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Quand tu vas prendre la fille d’autrui avec toi, que tu la mets enceinte, et puis l’enfant vient au monde, toi l’homme tu as le devoir de trouver à manger pour ta nouvelle famille et la femme a l’obligation de prendre soin et d’éduquer l’enfant […]. Pour moi c’est à partir de là qu’on commence à devenir adulte. Si tu arrives à assumer tes responsabilités comme cela se doit, là très vite tu deviens vraiment un adulte, mais quand ça va et ça vient, quand tu ne peux pas assumer et qu’on le fait à ta place, je crois que là tu es toujours dans la voiture qui mène vers le monde des adultes et parfois, pour certaines personnes, je peux te dire que le voyage dure longtemps. Propos de JH.4.

[…] Dans mon temps, on disait que c’est à partir du jour où tu donnes la dot pour te marier que tu commences à devenir adulte. Avant ça tu n’es qu’un enfant! Propos de AH. 4

Ce n’est pas la même chose pour tout le monde hein, mais je pense surtout pour une femme là, à partir du moment où tu quittes tes parents pour te lier à un homme et surtout le jour où tu accouches d’un enfant, là, toi-même tu sens que la cadence change […], tu n’as pas d’autre choix que de devenir adulte, tu dois assumer. Propos de JF.5.

Il y a dans ces verbatim deux facteurs qu’il importe de relever, car ils ne sont pas toujours imbriqués: il s’agit de la transition à la parentalité et de la mise en couple.

On note aussi selon certaines perceptions une possibilité d’entreprendre le parcours d’entrée en vie adulte par le biais de la décohabitation.

Selon moi si on te remet une chambre séparée dans la concession familiale ou qu’on te permet d'aller louer un appartement pour toi seul ou avec un frère, c’est qu’on perçoit en toi quelqu’un capable de cheminer vers la vie adulte, mais il te reste bien de sauts (étapes) à faire pour être vraiment un adulte à part entière ». Propos de JH.4.

141 L’idée de parcours d’entrée en vie adulte commence donc selon ce répondant, avec la première décohabitation. Cette décohabitation fait référence à toutes situations où l’individu est dans une certaine mesure responsable de la gestion de son lieu de résidence en termes de nettoyage, d’aménagement et/ou en termes de prise en charge financière (loyer, construction).

Il faut dire qu’il existe selon certaines perceptions l’idée d’un déclenchement du parcours de l’entrée en vie adulte par le biais d’événements à haute teneur symbolique appelés rites traditionnels de passage (Galland 2011, Bozon 2002). Cette perception persiste encore chez quelques rares personnes de la génération des aînés.

Pourquoi tu crois qu’aujourd’hui encore des jeunes hommes et des jeunes femmes, qui ont déjà des enfants et qui gagnent bien leur vie à Cotonou décident un jour de se rendre dans leur village pour se soumettre aux rites traditionnels...C’est par là que tu apprends à devenir adulte et c’est par là que tu deviens adulte. Propos de AH.2.

En réalité, les rites traditionnels ne remplacent pas les trajectoires d’un parcours d’entrée en vie adulte. Elles permettent d’intégrer l’individu dans la sphère communautaire, dans la lignée familiale et de le socialiser de manière à ce qu’il puisse reproduire durant son parcours de vie les normes et les valeurs communautaires.

Les résultats nous permettent de noter des différences générationnelles de perceptions en ce qui concerne les premiers événements des parcours d’entrée en vie adulte. Les événements les plus évoqués par les aînés sont le premier mariage (dot) et l’obtention d’un premier emploi, alors que les événements les plus évoqués par les jeunes concernent le premier engagement parental et la première décohabitation. Certains aînés évoquent aussi l’engagement parental, la première décohabitation, le décès d’un ou des deux parents et les rites traditionnels, tandis que certains jeunes évoquent la première mise en couple,

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l’obtention d’un premier emploi et le décès d’un ou des deux parents comme événements pouvant déclencher le processus d’entrée en vie adulte.

Ces résultats révèlent que le contexte socio-économique et politique a un effet sur la perception que les répondants ont des événements qui marquent le début du processus d’entrée en vie adulte. Si pour les aînés le mariage traditionnel (dot) et l’obtention d’un emploi sont perçus comme les premières transitions du parcours d’entrée en vie adulte chez la plupart des individus, le contexte socio-économique et politique qui marque la vie des individus de la cohorte des jeunes les amène à percevoir que désormais la première parentalité et la première décohabitation, sont les événements qui marquent la plupart du temps le début des parcours d’entrée en vie adulte.

Les rites traditionnels de passage ont été très peu évoqués par les répondants de la cohorte des aînés, tandis qu’aucun répondant de la cohorte des jeunes n’y a fait référence. Il semble donc qu’en tenant compte des perceptions, le modèle communautaire ne convient véritablement plus pour rendre compte des relations entre les individus, leurs familles et la société globale.

L’analyse précédente permet d’avoir une idée des événements pouvant induire le début du parcours d’entrée en vie adulte. Cependant, il nous manque des éléments pouvant permettre de délimiter les frontières entre le parcours d’entrée en vie adulte et le début de la vie adulte proprement dite. Autrement dit nous nous sommes intéressés à savoir à partir de quand on pourrait dire qu’un individu est devenu adulte à part entière. L’analyse de la perception que les réponds ont des finalités du parcours d’entrée en vie adulte nous édifie à cet effet.

L’analyse de la perception des finalités du parcours d’entrée en vie adulte, permet de constater qu’« être adulte » est la finalité ultime du parcours d’entrée en vie adulte. Dans le présent travail, nous ne nous intéressons pas spécifiquement à la notion d’« adulte », mais

143 plutôt au parcours d’entrée en vie adulte. Cependant les entretiens ayant porté sur les caractéristiques pouvant définir un « adulte », font apparaître que l’ « adulte » est une notion polysémique et complexe, déterminée par deux facteurs :

- la perception qu’un individu à de lui-même par rapport à son niveau d’autonomie et/ou de responsabilité, et

- la perception que l’entourage à d’un individu par rapport à son niveau d’autonomie et/ou de responsabilité

Deux notions sont donc primordiales pour définir la finalité du parcours d’entrée en vie adulte: l’autonomie et la responsabilité. Cela signifie donc que le parcours d’entrée en vie adulte est marqué par un processus d’autonomisation et/ou de responsabilisation. Tandis que les individus de la cohorte des aînés ont tendance à mettre l’accent sur la responsabilisation, ceux de la cohorte des jeunes ont tendance à mettre l’accent de façon indissociable à la fois sur la responsabilisation et l’autonomisation.

Toi-même tu sais non? Bon : la famille, les amis et autres là, ils t’aident pour que tu trouves un travail, une femme et te marier, un endroit où tu peux vivre avec ta femme et commencer à avoir des enfants. Lorsque tout ça est stable maintenant et que tu peux faire les choses par toi-même et que tu peux en donner plus aux autres (tes enfants, ta famille, tes amis, etc.) que ce qu’ils te donnent, alors tu peux dire que tu es responsable; tu es devenu un adulte quoi. Tu sais c’est mon grand-père qui sait bien dire les choses comme ça hein! Propos de JH.3.

Dans le verbatim précédant, le répondant évoque la responsabilisation et l’autonomisation qu’il prend soin de différencier du concept d’indépendance, car il perçoit les interactions avec l’entourage familial comme un déterminant des parcours.

Un autre répondant, une femme d’une soixantaine d’années nous livre sa conception du passage en vie adulte dans les termes qui suivent :

Avant de devenir adulte, il faut que tu commences par apprendre comment être capable de gérer ta vie toi-même. Ça là, c’est la famille,

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qui te montre comment on doit faire, on te tient par la main pour t’aider à traverser les différentes étapes (travail, maison, mariage, enfant), pour que tu deviennes toi-même un responsable, capable d’assumer tes dépenses, tes décisions, tes devoirs envers la famille et bien sûr capable de refaire la même chose pour ta progéniture avec l’aide de la famille. Tout ça là, ce n’est pas du jour au lendemain!… Même si vous les jeunes d’aujourd’hui, vous ne suivez plus bien les conseils et que vous êtes pressés parfois de faire comme vous voulez, vous savez… vous savez… ça s’apprend doucement et vous ne pouvez pas tout faire comme vous voulez. Propos de AF.1.

Ce second verbatim aborde l’entrée en vie adulte sous l’angle d’un processus et positionne au cœur de ce processus la notion d’apprentissage. Ainsi perçue, la finalité du parcours d’entrée en vie adulte est la responsabilisation de l’adulte en devenir.

Au regard des deux verbatim, on peut dire que l’entrée en vie adulte est conçue et perçue comme étant un apprentissage progressif de la vie sociale faisant intervenir un processus d’autonomisation et de responsabilisation de l’individu et dont la finalité est l’ « être adulte ». Au terme du processus, l’individu entre dans la catégorie sociale des adultes. Il importe de revenir ici sur les notions d’autonomisation et de responsabilisation utilisées pour qualifier les finalités des parcours d’entrée en vie adulte.

La notion de responsabilisation signifie ici que l’individu entre dans un processus d’apprentissage de la vie sociale d’adulte où le groupe social se charge progressivement de lui faire prendre conscience des étapes et des cheminements à opérer. Lors du parcours, l’entourage ne reconnaît donc pas en l’individu les capacités nécessaires pour avoir un parcours d’entrée en vie adulte idéal. Ce n’est qu’au terme du processus que le sujet est apte à commencer par occuper un rôle d’acteur dans la production de son parcours vie. Au terme du parcours, l’individu reste sous l’influence du cadre social, dont il peut continuer à recevoir des ressources matérielles, sociales et financières, mais il dispose désormais de réelles possibilités d’action et de réaction.

145 La notion d’autonomie tel que perçue ici s’éloigne quelque peu du concept d’indépendance. En réalité, l’indépendance se définit à partir de catégories objectives : c’est un état dans lequel se trouve l’individu lorsqu’il dispose de ressources suffisantes pour gérer sa vie sans le soutien financier, matériel et social de la famille et de l’entourage. Or, l’autonomie renvoie ici à l’idée que l’individu valide ou se donne lui-même ses règles de conduite sociale. Elle est considérée comme une perception positive de soi vers laquelle l’individu tend. C’est une catégorie de l’identité qui implique que l’individu, ici le jeune adulte émergeant, participe à l’élaboration de l’univers social dans lequel s’intègre son parcours d’entré en vie adulte. Autrement dit, l’entourage reconnait ou agit comme s’il reconnait en l’individu une certaine capacité à réaliser un parcours idéal à partir des ressources personnelles et des ressources provenant de l’entourage. Contrairement donc à la phase d’enfance, où ce sont les parents ou la famille qui décident quasiment de tout pour l’individu, dans la phase d’entrée en vie adulte empreinte d’autonomisation, l’individu prend une part plus importante dans la définition des séquences du parcours. Ce n’est donc pas parce que l’on s’autonomise que l’on est indépendant, sans interrelation et totalement affranchi des normes et des pratiques prédéfinies par le réseau famille. Comme l’affirme un répondant:

Même à cinquante ans tu es toujours l’enfant de tes parents, quelques soit ton niveau de scolarisation, ils ne manqueront pas de te suggérer parfois fortement certaines choses et toi aussi tu ne manqueras pas d’aller demander leur avis pour certaines choses: c’est comme ça ici. Tu ne pourras jamais tout savoir. Propos de AH.4.

Deux cas de figure d’autonomisation peuvent se dégager selon les perceptions de nos répondants.

D’abord une autonomisation au rabais où l’accent est mis spécifiquement sur l’éthique de la