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Chapitre 1 : Lien social et socialisation en Afrique de l’Ouest

1.1 Processus et agents de socialisation

1.1.2 Les instances de socialisation secondaire

Alors que la socialisation primaire ne peut prendre place sans une identification émotionnellement chargée de l'enfant à ses autres significatifs, la socialisation secondaire, elle, peut le plus souvent se dispenser de ce type d'identification et s'effectuer avec la simple identification mutuelle qui s'intègre dans toute communication entre êtres humains. Ainsi, il est nécessaire d'aimer sa mère, mais pas son professeur (Berger et Luckmann, 1966, p. 193)

Comme l’indique leur appellation, les instances de socialisation secondaire interviennent généralement plus tardivement dans la vie de l’individu. La socialisation secondaire est le processus qui permet aux individus de s’intégrer à des milieux sociaux particuliers et représente une étape supplémentaire dans la construction des identités à travers l’apprentissage de nouveaux rôles. Certaines étapes du cycle de vie sont à l’origine de ruptures et de transitions majeures dans la socialisation secondaire (mariage, naissance d’un enfant, entrée sur le marché du travail, adhésion à une association, deuil, retraite). Les principales instances de socialisation secondaire sont : le travail, la religion, les médias.

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1.1.2.1 Le travail

Le travail est devenu progressivement un agent de socialisation au terme d’une évolution qui a vu cette instance de socialisation s’inscrire dans la norme de la société contemporaine comme une valeur centrale (Weber, 1893 [1967]). Compte tenu de la séparation entre espaces familial et professionnel, de la division du travail et du salariat, l’entreprise est devenue un facteur d’identité professionnelle et d’appartenance sociale. Selon Durkheim, « la division du travail a créé un lien social d’un type nouveau, non plus de solidarité mécanique, mais de solidarité organique » (Weber, 1893 [1967], pp. 113-114). Le travail est un lieu où se forgent les identités sociales fondées sur l'appartenance à un groupe socioprofessionnel voire à une communauté de travail (lien organique, intégration) à travers les relations avec la hiérarchie, les autres collègues et le syndicat. En plus d'être la source des revenus primaires déterminant le niveau de vie et l'accès à la sphère de la consommation marchande, le travail donne accès aux droits sociaux (assurance chômage, maladie, vieillesse) protégeant l'individu des aléas de la vie. Selon le type d’entreprise (milieu de travail), le travailleur va même se distinguer d’autres personnes qui exercent un métier différent (différenciation) et acquérir des valeurs et attitudes spécifiques (Bernoux, 1981).

1.1.2.2 La religion

La théorisation de la religion comme instance de socialisation s’inscrit dans une longue tradition de la pensée occidentale qui prend racine chez Hegel en passant par Weber jusqu’à Blumenberg. La religion socialise l’individu, car elle suscite des réseaux et des regroupements particuliers, tout en définissant un univers mental à travers lequel des individus et des collectivités expriment et vivent une certaine conception de l’homme et du monde (Willaime, 2003, p. 261). La société contemporaine, notamment celle occidentale, se caractérise selon certains auteurs par « la sortie de la religion » et l’extinction du rôle socialisateur de la religion (Willaime, op cit, p. 248). Mais comme le dit Jean-Claude Monod, il faut bien distinguer sécularisation et « sortie de la religion » (Monod, 2002, p. 7)

15 et ceci d’autant que certains principes religieux ont été progressivement intégrés aux normes et valeurs véhiculées par d’autres instances de socialisation comme la famille, l’école, le droit, etc.

1.1.2.3 Les médias

Le rôle socialisateur des médias est souvent controversé, car les médias ont parfois été considérés comme un facteur perturbateur du processus de socialisation (Lazarsfeld et al. 1944). Cette controverse des médias est souvent reliée à plusieurs facteurs dont ils seraient responsables et au nombre desquels l’affaiblissement de la morale, la diminution du temps passé au travail ou à des occupations plus importantes, l’impact négatif sur la vie familiale ou de groupe et l’augmentation de la violence (Lazar, 1991). Les types de médias considérés comme sources de socialisation malgré la controverse sont d’une part les médias audio visuels (télévision, radio, cinéma, etc.) et de l’autre l’internet et ses réseaux sociaux. Les médias audiovisuels remplissent une fonction de socialisation dans la mesure où ils permettent une familiarisation de l’individu aux objets et aux comportements d’un monde qui lui était inconnu. En ce qui concerne l’internet et les réseaux sociaux, la théorie de « la force des liens faibles » énoncée par Mark Granovetter en 1973 et résumée dans l’ouvrage intitulé « Le Point de Bascule » (The Tipping Point) de Malcom Gladwell (2003), fournit une bonne explication du rôle socialisateur de ces derniers. Selon cette théorie, les liens forts se définissent comme nos relations avec les personnes de notre famille, nos amis, nos collègues et tous ceux que nous voyons régulièrement. Les liens faibles par contre concernent les relations établies de façon occasionnelle avec certaines personnes que nous ne connaissons parfois même pas ou en tout cas pas comme les membres de notre famille ou de notre groupe de pairs. Cependant, les liens faibles nous connectent à des personnes qui peuvent nous transmettre leur vision du monde, nous informer sur des opportunités que nous n’aurions pu déceler sans elles ou alors être pour nous une source de reconnaissance et d’affirmation de soi.

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Après cet aperçu général sur le lien social et la socialisation, nous présentons dans la section suivante, les spécificités du lien social et de la socialisation dans le contexte géographique de notre étude.

Lorsqu’on aborde un sujet de recherche touchant le cœur de la vie sociale ou plutôt le « ciment de la société » et qui plus est, sur un territoire francophone ouest-africain, il y a lieu de commencer par documenter les spécificités du lien social, pour déblayer le terrain et inscrire l’ensemble de l’argumentation dans le courant spécifique du terrain de recherche. Les valeurs qui fondent le lien social relèvent généralement de l'imaginaire social et n’existent pas à l’état « pur » dans une société. Elles sont en réalité enfouies dans le psychisme des individus comme une donnée traduite en habitus par l'éducation et l'histoire, et perceptibles en dernier ressort à travers les actes, les comportements, les parcours et les manifestations sociaux. De ce fait, l’appréhension de cette « réalité idéelle » (Leblanc, 1994, p. 416) dans un contexte donné, relève d'une interrogation sociologique de ses manifestations sociales au sens de Bourdieu (1993). Notre réflexion théorique sur le lien social en Afrique de l’Ouest francophone s'inscrit dans cette perspective.