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Chapitre 1 : Lien social et socialisation en Afrique de l’Ouest

1.3 Les principaux schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu,

1.3.1 Le modèle communautaire

Ce modèle prend racine dans une perspective historique où l’individu naît et grandit dans une famille élargie fonctionnant comme une petite communauté (ou une tribu). La thèse

25 familialiste a persisté malgré l’émergence de l’État, de l’école, de l’individualisme, etc. Cette thèse repose sur une prépondérance quasi absolue du lien de filiation tant dans l’intégration, la reconnaissance que dans la protection sociale accordée à l’individu. Autrement dit, dans le modèle communautaire, le lien de filiation a une centralité relative plus forte que les autres types de liens et une intensité absolue dans toutes les dimensions de la finalité du lien social (protection sociale, intégration sociale, besoin de reconnaissance). Le lien de filiation n’est pas ici considéré comme un simple lien de sang, mais comme une relation de filiation intégrant le lien communautaire élargi au lieu (village, voisinage, communauté locale) et à l’esprit (culture, religion, conscience d’un ancêtre commun). Ce modèle est généralement associé aux populations défavorisées (Fortin, 1987), vivant en milieu rural (Daatland et Herlofson, 2003), ou de pays en voie de développement (Luna, et al 1996, Daatland et Herlofson, 2003). On peut distinguer trois variantes de ce modèle.

1.3.1.1 La variante traditionaliste : la famille comme école d’apprentissage de la vie sociale.

Le traditionalisme, conception chronologiquement la plus ancienne des relations entre l’individu et son entourage, prévalait dans les sociétés traditionnelles et fût redécouvert au XIXe siècle sous l’impulsion de certains auteurs (Joseph de Maistre, Louis de Bonald) défenseurs des droits de l'institution familiale menacée par la Révolution française, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la chute des anciennes classes dirigeantes et l'essor de la bourgeoisie. La famille y est conçue comme une structure à forte intégration, avec sa judicieuse hiérarchie interne et « les fils de la famille vivent paisiblement sous le joug salutaire qui les assujettit » (Maistre de, 1968, p. 34). Cette conception de la famille est encore défendue aujourd'hui par des hommes politiques de droite. Elle subsiste aussi dans les milieux intégristes catholiques et de façon plus diffuse, dans certaines mentalités, par exemple chez ceux qui voient dans l'élargissement de la législation sur le divorce, la mort de la famille (Bréchon, 1976). Pour De Bonald, la famille est une école d’apprentissage de la vie sociale, ce qu’il appelle aussi la « société domestique », définie

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par l’exercice d’un pouvoir (le père) et d’une sujétion (les enfants), la mère étant « ministre », mettant en œuvre l’activité productive et conservatrice (De Bonald, 1847, pp. 159-160). Ce courant prétend à l’universalité de la famille comme école d’apprentissage de la vie sociale et école de la paix sociale comme le montre le titre de l’ouvrage de Frédéric Le Play, « l’organisation de la famille, selon le vrai modèle signalé par l’histoire de toutes les races et de tous les temps » (Le Play 1989 [1879]). La notion d’amour n’était pas présente dans ce modèle, celle d’autorité y était discrète et l’individu, maintenu dans une altérité totale, mais douce (récompenses et sanctions) par rapport à la famille, bénéficie selon son rôle, son statut et sa position dans la hiérarchie, de l’intégration, de la reconnaissance et de la protection sociale qui conviennent. La seule fin de la famille, selon le modèle traditionaliste, c’est « la production et la conservation des enfants » (De Bonald, 1830, p. 106).

1.3.1.2 La variante autoritariste : le diktat familial

Contrairement au traditionalisme, la variante autoritariste a été conceptualisée à partir d’un courant critique envers la famille et ses liens suspects avec l’État. La théorisation de cette variante est l’œuvre de penseurs comme Max Horkheimer et Théodor Adorno (1950), de l’école de Francfort. L’originalité de ces derniers est de fusionner Marx, Engels et Freud dans une même théorie dite « critique ». Se démarquant du Marxisme orthodoxe et de la psychanalyse aveugle, les théoriciens de l’école de Francfort ont pu montrer que c’est parce que l’individu a longtemps été totalement assujetti à la famille autoritaire dans une altérité totale, ne connaissant que le lien filial, qu’il a pu intérioriser l’obéissance inconditionnelle au point d’accepter après la famille fortement autoritaire (sanctions), les injonctions de l’État dictatorial et fasciste. En effet, le monde mental dans lequel l’individu a vécu à une certaine époque dans la famille est dominé par l’idée que certains hommes exercent un pouvoir sur d’autres, donc un monde des ordres et un monde de l’obéissance (Horkheimer, 1974, pp. 283-284). Plus tard cette autorité va être substituée par celle de l’État et on parle là de régulation sociale formelle en lieu et place du contrôle social informel exercé par les

27 groupes primaires. Selon Wilhelm, la famille patriarcale maintient l’individu dans un lien filial autoritaire privilégié, il « rend l'individu apeuré par la vie et craintif devant l'autorité » (Reich, 1982, p. 125), et réprime les pratiques interdites. Les traditionalistes s'en réjouissent, mais les théoriciens de l’école de Francfort le déplorent.

1.3.1.3 La variante relationnelle : la famille « providence » comme marqueur du retour à la prépondérance du lien de filiation.

La variante relationnelle s’intéresse aux relations entre l’individu et sa communauté restreinte (famille de moins en moins élargie). Elle a été progressivement théorisée pour rendre compte des mutations dans le lien filial qui, tout en restant prépondérant dans le contrôle social de l’ « individu », a connu des transformations pour s’adapter aux changements familiaux. On parle aussi de cette variante pour caractériser la situation des individus, qui, ayant rompu d’autres types de liens et craignant de se retrouver en marginalité sociale, effectuent un retour vers le lien filial pour assouvir leurs finalités sociales. Des auteurs comme Singly, Kaufmann et Commaille parlent à cet effet, de « réarmement familial/communautaire ». Dans ce modèle, l’individu n’est pas moins en relation fortement prépondérante avec la famille ; ce qui change c’est qu’il y a désormais la notion d’« amour ». Un peu comme le disait Khalil Gibran, « Tenez-vous ensemble, mais pas trop non plus : car les piliers du temple s’érigent à distance, et les chênes et les cyprès ne se croissent pas dans l’ombre l’un de l’autre… » (Gibran, 1972,pp. 25-26). La variante relationnelle procède donc à une réconciliation entre amour et institution ; la famille devient pour l’individu une communauté où l’amour prime sur le droit, le statut et la place dans la hiérarchie. Attias-Donfut parle alors de famille providence (Attias-Donfut et al., 1997).

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1.3.2 Le modèle d’hyper-individualisation : effritement du tissu familial, échecs des