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La ville automobile et la formalisation des principes d’éclairagisme

UNE NUIT URBAINE SOUS ÉCLAIRAGE ARTIFICIEL

2.1 LA QUÊTE DU « SOLEIL PERMANENT » 1 L’avènement de l’éclairage artificiel

2.1.2.1 La ville automobile et la formalisation des principes d’éclairagisme

Entre les deux guerres, une ville soumise à l’automobile

Durant la période de l’entre deux guerres, l’automobile soumet la ville, et la rue est considérée comme une route. L’éclairage est alors pensé encore plus fortement en termes de circulation et de voirie, devant souligner les obstacles à la vitesse de l’automobile, devenant avant tout, et même en ville, un éclairage routier.

Les méthodes de conception sont alors rationalisées avec la mise au point de standards d’éclairage et l’apparition d’ouvrages d’éclairagisme, à la fin des années 1920, comme Les

méthodes modernes d’éclairage de Joseph Wetzel150 et le Manuel de l’éclairage de Louis Fourcault151. Ces méthodes trouvent comme moyen de diffusion de nouvelles formations d’ingénieurs-éclairagistes à l’École Spéciale de Travaux Public et à l’École Supérieure de l’Électricité. Les sources lumineuses elles-mêmes font l’objet d’intenses recherches et innovations technologiques adaptées aux critères formulés dans les ouvrages de recommandations. Les tubes luminescents sont mis au point en 1910, les sources au mercure haute pression en 1929, celles au sodium basse pression en 1932, les sources fluorescentes basse tension en 1936, puis les tubes fluorescents durant la Seconde Guerre Mondiale.

Naissance de la CIE et de l’AFE

Plusieurs institutions voient alors le jour afin de diffuser ces différents développements. La Commission Internationale de l’Éclairage (CIE) est créée, avec pour objectif une coopération internationale sur « toutes les questions relatives à l’art et à la science de l’éclairage ». L’Association Française de l’Éclairage (AFE) regroupe en 1930 des fabricants et des praticiens. La revue LUX est créée en 1928 par Joseph Wetzel.

149 DE MAUPASSANT G., 1889, « Clair de lune », Oeuvres complètes de Guy de Maupassant, Paris, Louis Conard. 150 W

ETZEL J., 1926, Les méthodes modernes d'éclairage. Technique de l'utilisation de la lumière, Paris, Léon Eyrolles.

151 FOURCAULT L., 1928, Manuel de l’éclairage et applications pratiques : Aux ateliers, magasins, habitations, voies publiques,

L’urbanisme moderne des Trente Glorieuses

Après la Seconde Guerre Mondiale, le courant progressiste s’installe, aidé par un cadre sociopolitique propice : la nécessaire reconstruction et le développement de l’intervention de l’État dans des domaines de plus en plus larges économiquement et socialement. L’État impulse ainsi plusieurs politiques prioritaires, dont le logement et les grandes infrastructures de transport, offrant un contexte d’aménagement centralisé. L’éclairage public reste cependant de la compétence des communes mais cette mission s’inscrit maintenant dans une logique de coordination entre communes et conseils généraux, afin de garantir une certaine uniformité entre les différentes villes des agglomérations, le tout soutenu financièrement par les départements et l’État grâce à des moyens financiers plus importants qu’auparavant. Les objectifs des opérations d’éclairage sont ré-explicités dans de nouveaux ouvrages ; EDF publie en 1958 le premier Code de bonne pratique152, et l’AFE

fait paraître en 1961 les premières Recommandations relatives à l’éclairage des voies

publiques153, suivies des premières Recommandations internationales154 de la CIE en 1965.

Dans le Code de bonne pratique d’EDF, on pouvait lire le résumé suivant des rôles de l’éclairage en ville :

« Pour les voies urbaines, à l’exigence d’un éclairage efficace s’ajoute désormais celle d’une ambiance lumineuse agréable, où la chaussée, les trottoirs, les façades, et dans les voies plantées, les frondaisons, vont être les éléments d’un véritable décor de lumière, au milieu duquel on doit pouvoir séjourner ou se déplacer sans éprouver ni éblouissement, ni inconfort visuel. Le niveau d’éclairage réalisé et le caractère de l’installation doivent évidemment s’inspirer de la classe de voie et du trafic de voitures et de piétons qui la parcourt. Dès lors, l’éclairage public d’une agglomération doit faire l’objet d’un plan d’ensemble qui s’intègre au plan d’urbanisme. Les voies majeures à grande circulation doivent, par un éclairage magnifique, dessiner l’ossature de la ville. Bien entendu, le choix des supports (candélabres ou consoles) et des luminaires devront être faits chaque fois avec le plus grand soin, en fonction du décor urbain auquel ils sont destinés […]. Quant aux monuments historiques, aux parcs publics, aux beaux sites, dont la ville est justement fière, leur mise en valeur devra être particulièrement soignée, et réalisée de manière à constituer aux yeux des promeneurs, de véritables tableaux où les jeux d’ombres, de lumières, de couleurs, et les rapports de luminance (inconscients pour le spectateur, mais scrupuleusement étudiés) concourront à révéler l’âme des choses, et à créer l’émotion recherchée. C’est au prix de beaucoup d’expérience, de soin et de prudence que l’éclairage public réussira à jouer ce rôle ambitieux mais très beau : dessiner le visage nocturne de nos cités. »155

C’est à échelle très vaste que sont appliqués ces principes d’urbanisme moderne durant les Trente Glorieuses, du fait de l’ampleur du chantier de reconstruction et de la reprise démographique de la fin des années 1950, avec un phénomène de généralisation et

152 EDF, 1958, Le code de bonne pratique d’éclairage public et de signalisation lumineuse, Paris, EDF. 153 AFE, 1961, Recommandations relatives à l'éclairage des voies publiques, Paris, LUX.

154 CIE, 1965, Recommandations internationales.

d’uniformisation : l’éclairage public est appliqué en quantité et de façon uniforme, sur les nombreux travaux de l’époque ainsi que pour les rénovations des installations existantes. Dans le même temps où l’espace urbain se résume souvent à un système de circulation et stationnements, l’éclairage public est défini par sa fonction d’assurance de la sécurité, de la rapidité et du confort de la circulation. Mosser (2003) rappelle ainsi que « toutes les villes éclairent suivant ces recommandations, et grâce à un matériel commun le plus efficace du point de vue énergétique : les tubes fluorescents, introduits sur les routes en 1947, et surtout les ballons fluorescents ». Raymond Schuster, directeur du patrimoine de la communauté urbaine de Strasbourg notait en 1992 : « On pouvait grâce à elles [les lampes à vapeur de mercure puis celles au sodium basse pression] avoir plus de lumière et dépenser moins, et les techniciens de l’époque – dont j’étais – ne s’en sont pas privés. Des dizaines de milliers de lampadaires ont été ainsi alignés par centaines de kilomètres de voies dans la plus parfaite uniformité. »156 Ainsi, à l’augmentation du trafic nocturne des années 1960, répond celle de la quantité de lumière artificielle le long des voies.

Les années 1970 sont marquées par une certaine remise en cause de la plupart des principes de conception des aménagements urbains de l’ère du fonctionnalisme. Mais cette remise en cause ne sera répercutée sur l’éclairage urbain que bien plus tard, à la fin des années 1980, la conception de l’éclairage restant longtemps focalisée sur la dimension routière (Mosser, 2003). Les pratiques évoluent donc lentement, avec des réhabilitations de quartiers anciens dans lesquels l’attrait des lanternes de style est croissant (la plupart des historiens de l’art ne reconnaissent aujourd’hui aucune valeur à ce type de lanternes) ; avec des spectacles son et lumière, et autres illuminations festives, qui se développent, etc. Mais dans beaucoup de lotissements résidentiels périphériques – qui connaissent un fort développement – l’éclairage reste loin des préoccupations concernant la qualité de vie qui restent centrées sur l’habitat plus que sur les espaces extérieurs, et des lampadaires de type « boules » sont installés.

Les efforts qualitatifs se ressentent essentiellement, durant cette période, en termes d’innovations technologiques, avec une recherche d’un meilleur confort et d’ambiances lumineuses (tonalités et rendus colorés). Paris fait naître en 1973 la différentiation voie/trottoir, avec l’utilisation de deux hauteurs et deux tonalités de sources différentes. Mais cette attention particulière pour le piéton reste dans la continuité de la logique fonctionnaliste de séparation des flux de circulations, et ces innovations ne mettent pas en jeu une redéfinition du rôle de l’éclairage vis-à-vis de la vie sociale : le paysage nocturne urbain des années 1950 à 1980 est encore essentiellement produit par et pour l’éclairage routier.

156 Revue LUX, 1992, n° 170, p. 34. Cité par MOSSER S., 2003, Éclairage urbain : enjeux et instruments d’actions, Thèse

« Méfie-toi de ceux qui confondent l'éclairage et la lumière. »

Quelqu’un d’autre, Tonino Benacquista

2.2 LES FONCTIONS DE L’ÉCLAIRAGE URBAIN AUJOURD’HUI

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