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Gaz, électricité : logique de réseau et de fonctionnalisation

UNE NUIT URBAINE SOUS ÉCLAIRAGE ARTIFICIEL

2.1 LA QUÊTE DU « SOLEIL PERMANENT » 1 L’avènement de l’éclairage artificiel

2.1.1.2 Gaz, électricité : logique de réseau et de fonctionnalisation

Le gaz, ou la mise en réseau des luminaires

Au XIXe siècle, le développement des techniques d’éclairage au gaz, puis à l’électricité, permet la mise au point de luminaires toujours plus brillants et efficaces. Leur application est organisée par les autorités centrales et locales, notamment le maire qui peut organiser ses services conformément au budget communal depuis la Révolution141. Dubois note qu’« au milieu du XIXe siècle, le progrès de l’éclairage au gaz s’imposait par-delà le politique, personne n’en aurait fait l’économie. Ce qui, en retour, n’exclut pas son utilisation par le politique. »142 Les commentaires de l’époque parlent de « soleils artificiels », dénotant bien l’impression lumineuse délivrée par les lanternes au gaz. Celles- ci offrent des avantages indéniables par rapport aux lampes à huile ou aux chandelles préexistantes (entretien, réglage de l’intensité lumineuse simultanée pour toutes les lanternes connectées à une même conduite). Avec le gaz, une autre étape décisive est franchie : celle du déport du combustible du lieu de combustion, celle de la mise à distance de la production par rapport au lieu de consommation. Cette logique se poursuivra lors du passage à l’éclairage électrique, menant aux logiques actuelles de production, transport et fourniture d’électricité (voir deuxième partie de ce travail).

La logique de réseau joue donc un rôle fondamental dans la mise en œuvre de l’éclairage au gaz. Cela traduit bien les concepts de ce que Françoise Choay a appelé le préurbanisme, cet « ensemble de textes et de réalisations dus à des penseurs politiques et sociaux du XIXe siècle, dont la démarche, marquée au coin de l’utopie, anticipe et préfigure celle de

139 DELEUIL J.-M. et TOUSSAINT J.-Y., 2000, « De la sécurité à la publicité, l’art d’éclairer la ville », Annales de la recherche

urbaine, n° 87, dossier « Nuit et lumières », p. 52-58.

140 DELEUIL J.-M. et TOUSSAINT J.-Y., 2000, « De la sécurité à la publicité, l’art d’éclairer la ville », Annales de la recherche

urbaine, n° 87, dossier « Nuit et lumières », p. 52-58.

141 MOSSER S., 2003, Éclairage urbain : enjeux et instruments d’actions, Thèse de doctorat, sous la direction de GUILLERME

A., Université Paris 8, Vincennes Saint Denis.

142 DUBOIS C., 1991, « Réverbères et becs de gaz », Autrement – Lumière, depuis la nuit des temps, n° 125, série

l’urbanisme. »143 Ce préurbanisme s’appuie sur une démarche hygiéniste qui met en avant la dimension circulatoire des espaces urbains, avec des mots-clés tels que « assainissement » et « circulation en réseau ». La première moitié du XIXe siècle voit ainsi se développer le réseau viaire, le réseau d’eau, le réseau d’égouts144. L’haussmannisation de Paris, puis de nombreuses villes de province dénote l’engouement particulièrement fort pour cette démarche d’assainissement des espaces urbains. L’urbanisme de voirie bat son plein, procédant de plans d’alignement afin de définir clairement la séparation entre propriété privée et voie publique – là encore pour des raisons de sécurité, d’ordre et de salubrité – et d’une rationalisation de l’intervention urbanistique. Haussmann fonde ainsi en 1861 un laboratoire d’éclairage public, en charge d’expérimentations autour du pouvoir éclairant des luminaires145.

L’émergence de la pensée fonctionnelle de la ville

Le contexte de l’époque est aussi, et surtout, celui de l’émergence de la pensée fonctionnelle de la ville, notamment par le biais de la fonction de circulation qui prend une importance considérable. Les transports de surface tels que les omnibus et tramways se développent, et c’est l’avènement des voies publiques. L’impression visuelle et l’esthétique jouent un rôle important dans ce modèle progressiste du préurbanisme qui fait la part belle à une austérité reflétée par les installations d’éclairage dont l’implantation est d’une régularité parfaite, servant ainsi à souligner les grandes perspectives haussmanniennes146. L’éclairage électrique fait son apparition dans les années 1840, impressionnant fortement les observateurs et reléguant l’éclairage au gaz à un statut dépassé. La lampe à arc équipe un premier dispositif permanent d’éclairage électrique à Paris, en 1873, mais ce n’est qu’avec l’invention de la lampe à incandescence (celle-ci pouvant être montée en série, contrairement à la lampe à arc) par Edison, en 1878, que les sources électriques vont supplanter progressivement le gaz, marquant ainsi le début de l’installation de l’éclairage électrique dans les villes, tout de suite très apprécié pour son intensité lumineuse. Un rapport municipal de Paris, en 1889, estime que « ce mode d’éclairage donne une très grande augmentation de lumière : et c’est en effet là son seul motif d’exister. »147 La publicité lumineuse commence en France à la toute fin du XIXe siècle, illuminant, à la suite des « cafés tapageurs aux lustres éclatants »148 de Rimbaud, les salles de spectacles, boutiques et vitrines. Au début des années 1900, Paris est ainsi devenue une « ville

143 C

HOAY F. et MERLIN P., 1988 (2009), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. Paris, Presses Universitaires de France, p. 708. L’expression préurbanisme a été créée dans CHOAY F., 1965, L’urbanisme, utopies et réalités. Paris.

144 B

ARLES S. et GUILLERME A., 1998, « Guide pratique de la voirie urbaine n° 1 : Histoire, statuts et administration de la voirie urbaine », Revue Générale des Routes, n° 776, p. 5.

145 MOSSER S., 2003, Éclairage urbain : enjeux et instruments d’actions, Thèse de doctorat, sous la direction de GUILLERME

A., Université Paris 8, Vincennes Saint Denis.

146 M

OSSER S., 2003, Eclairage urbain : enjeux et instruments d’actions, Thèse de doctorat, sous la direction de GUILLERME

A., Université Paris 8, Vincennes Saint Denis.

147 Cité par M

OSSER S., 2003, Éclairage urbain : enjeux et instruments d’actions. Thèse de doctorat, sous la direction de GUILLERME A., Université Paris 8, Vincennes Saint Denis, p. 33.

lumière », image qu’elle cultive encore de nos jours. Guy de Maupassant écrit ainsi dans

Clair de lune :

« Je gagnai les Champs-Élysées où les cafés-concerts semblaient des foyers d’incendie dans les feuillages. Les marronniers frottés de lumière jaune avaient l’air peints, un air d’arbres phosphorescents. Et les globes électriques, pareils à des lunes éclatantes et pâles, à des œufs de lune tombés du ciel, à des perles monstrueuses, vivantes, faisaient pâlir sous leur clarté nacrée, mystérieuse et royale, les filets de gaz, de vilain gaz sale. »149

2.1.2 1930-1980 : éclairer pour le déplacement

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