• Aucun résultat trouvé

De l’obscurantisme aux Lumières 1 L’image des « ténèbres médiévales »

L’HOMME OCCIDENTAL ET LA NUIT

1.3 LES ATTRIBUTS FONDAMENTAUX DE LA LUMIÈRE 1 Place de la lumière dans la culture judéo-chrétienne

1.3.2 De l’obscurantisme aux Lumières 1 L’image des « ténèbres médiévales »

Un « brouillard épais »

« Les ténèbres médiévales », voila l'image que nous avons tous gardée de nos études secondaires sur cette période historique, marquée de l’opposition fondamentale entre lumière – savoir, vie – et ténèbres – engourdissement, mort. Les mots « Moyen Âge » sont évocateurs de chaos et de barbarie, et l’on y croise pêle-mêle les sanglantes conquêtes des Croisades, les bûchers de l’Inquisition ou bien encore les guerres féodales accompagnées de famines et d’épidémies : « Il y avait tant de morts qu’on n’en pouvait trouver ni fin ni mesure » écrit Geoffroi de Villehardouin (vers 1212).

Cette image a pris forme à la fin du XVème et au XVIème siècle, à l’occasion des polémiques des humanistes contre la culture scolastique118. En 1532, Rabelais pointait ainsi du doigt « ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas lever les yeux vers le soleil et se dégager du brouillard épais et presque cimmérien de l’époque gothique ». L’expression post tenebras lux a par la suite été reprise par des auteurs français et italiens, vulgarisée par les encyclopédistes et traduite en anglais par l’expression Dark Ages119. Encore aujourd’hui,

l’expression populaire et les médias se réfèrent régulièrement aux « pratiques moyenâgeuses » quant il s’agit pour eux de qualifier des actes sombres et barbares. Cette représentation d’un monde ténébreux, quasiment hors-la-loi, a pris peu à peu racine dans

118 VAUCHEZ A., 2009, Lumières du Moyen-Âge, Séance de rentrée de l’Institut de France, 27 octobre. URL :

http://www.institut-de-france.fr/minisite/seance-cinq-academies/discours/vauchez.pdf.

119 VAUCHEZ A., 2009, Lumières du Moyen-Âge, Séance de rentrée de l’Institut de France, 27 octobre. URL :

l’imaginaire et dans l’inconscient collectif. Parler de Moyen Âge ne serait ainsi qu’une façon détournée d’évoquer l’obscurantisme, par opposition à la période antique.

Alors même qu’aucun historien ne prend encore sérieusement en considération cette métaphore des « ténèbres médiévales », tous reconnaissent que le Moyen Âge a bien été une période régie par la seule lumière du Soleil et du feu. Vauchez120 nous rappelle que, si les moyens de s’éclairer ne manquaient pas (lampes à huile, torches, chandelles de suif, cierges en cire, flammes du foyer), ils constituaient « bien peu de choses » en comparaison « à nos moyens actuels d’illumination ». La vie et les travaux étaient donc rythmés par l’alternance du jour et de la nuit, et cette dernière exerçait « une certaine fascination mêlée de crainte révérencielle sur les hommes de ce temps »121.

1.3.2.2 Le siècle des Lumières

De la lumière aux Lumières

La mention de « siècle de jour en jour plus éclairé » apparait dès 1670 dans certains écrits historiques ou philosophiques relatant les expériences et les progrès scientifiques du temps, déjà en opposition avec les ténèbres des siècles précédents :

« […] nous voilà dans un siècle qui va devenir de jour en jour plus éclairé, de sorte que tous les siècles précédents ne seront que ténèbres en comparaison […] »122

Enlightenment en anglais, Aufklärung en allemand, Illuminismo en italien ; autant de

traductions d’une métaphore servant à définir le mouvement culturel et philosophique dominant en Europe, et particulièrement en France, au XVIIIème siècle. Fait intéressant, c’est par un mouvement anticlérical de la philosophie des années 1750 que s’ancrera l’expression « siècle des Lumières », renvoyant ainsi la croyance en un « Dieu de lumière », développée ci-dessus, dans l’obscurité, dans l’obscurantisme (« s’éteindre devant les lumières »).

« […] la Raison et la Loi fondée sur la Raison, doivent être les uniques reines des mortels, et […] lorsqu’une religion établie commence à pâlir et à s’éteindre devant les lumières d’un siècle éclairé […] c’est cette Raison qu’il faut alors presque diviniser. »123

Montesquieu, Voltaire, Franklin, Rousseau, Diderot, D’Alembert, Smith, Kant, Beaumarchais ou encore Jefferson, autant de scientifiques, de philosophes et d’écrivains qui ont fondé, à partir de « la raison éclairée » de l’être humain et de l’idée de liberté, le courant des Lumières :

« Jamais siècle n’a été appelé plus souvent que le nôtre le siècle des lumières. »124

120 VAUCHEZ A., 2009, Lumières du Moyen-Âge, Séance de rentrée de l’Institut de France, 27 octobre. URL :

http://www.institut-de-france.fr/minisite/seance-cinq-academies/discours/vauchez.pdf.

121 V

AUCHEZ A., 2009, Lumières du Moyen-Âge, Séance de rentrée de l’Institut de France, 27 octobre. URL : http://www.institut-de-france.fr/minisite/seance-cinq-academies/discours/vauchez.pdf.

122 BAYLE P., 1684-1687, Nouvelles de la république des lettres, Rotterdam.

123 BOULANGER N.-A., 1761, Préface aux Recherches sur l’origine du Despotisme Oriental. 124 MABLY, 1776 (2008), Le Banquet des politiques, Paris, Kimé.

« La raison éclaire tous les hommes, elle est la lumière, ou plus précisément, ne s’agissant pas d’un rayon, mais d’un faisceau, les Lumières. »125

L’Encyclopédie, symbole des Lumières et du Savoir

Première encyclopédie française, l’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et

des métiers, rédigée de juin 1751 à décembre 1765, sous la direction de Diderot et

D’Alembert126 (image 11), constitue un ouvrage majeur du XVIIIème siècle, du siècle des Lumières. Sans même parler ici des savoirs qu’elle regroupe ou du travail qu’elle a représenté pour cette époque, les finalités dont la chargent ses auteurs deviennent un symbole de l’œuvre des Lumières, une arme politique et, à ce titre, l’objet de nombreux rapports de force entre les éditeurs, les rédacteurs, le pouvoir séculier et ecclésiastique. Ainsi, une des préoccupations majeures des encyclopédistes est la mise du savoir à la portée de tous (on retrouve cette volonté dans la multiplication des illustrations, très critiquée par certains car traduisant un matérialisme trop bourgeois). Mais, plus que tout, c’est bien leur idéal philosophique que les encyclopédistes ont fait passer à travers leur œuvre : mesurer les connaissances à l’aune de la raison et fournir un matériel pour – comme Diderot le proclame dans l’article « Encyclopédie » – « changer la façon commune de penser ». Et de poursuivre, dans ce même article :

« Le but d’une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »

Durant « l’aventure éditoriale », Diderot écrira cette lettre qui, elle aussi, montre l’attachement des Lumières au savoir :

« Ce qui caractérise le philosophe et le distingue du vulgaire, c’est qu’il n’admet rien sans preuve, qu’il n’acquiesce point à des notions trompeuses et qu’il pose exactement les limites du certain, du probable et du douteux. Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité. » (Lettre de Diderot à Sophie Volland, datée du 26 septembre 1762).

Jules Michelet, dans son Histoire de France, écrira ainsi :

« L’Encyclopédie, livre puissant, quoi qu’on ait dit, qui fut bien plus qu’un livre, – la conspiration victorieuse de l’esprit humain. »127

125 SOBOUL A., 1978, La Civilisation et la Révolution française, Paris, Arthaud. 126 D

IDEROT D. et D’ALEMBERT J., 1751 à 1765, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, divers éditeurs.

Image 11 Frontispice de l’Encyclopédie, de Diderot et D’Alembert.

L’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers fut publiée de juin 1751 à décembre 1765, sous la direction de Diderot et D’Alembert. On voit la Vérité rayonnante de lumière et, à droite, la Raison et la Philosophie lui arrachant son voile (peint par Charles Nicolas Cochin et gravé par Benoît-Louis Prévost en 1772).

CHAPITRE 2 :

UNE NUIT URBAINE SOUS ÉCLAIRAGE

Documents relatifs