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L’HOMME OCCIDENTAL ET LA NUIT

1.2 LA NUIT DES ARTISTES, DE L’IMAGINAIRE ET DE LA CONSTRUCTION PERSONNELLE

1.2.2 Un moment de questionnements constitutifs de l’être 1 Une relation plus directe à so

1.2.2.3 La relation à l’infin

La voûte céleste pour seule frontière

La contemplation du ciel nocturne est, et a été de tout temps une ressource d’imagination et de créativité pour les écrivains, musiciens, peintres ou tout autre artiste, mais aussi tout simplement pour chaque être humain. Ce contact avec le nocturne, avec la nuit noire, est constitutif de l’être, forge les questionnements propres à l’humain, mais aussi – nous l’avons vu – nourrit les peurs et l’imagination dès le plus jeune âge. Cet exil dans l’espace

est essentiel, et l’expérience de la contemplation du ciel nocturne en est le passage le plus marquant, comme le souligne Pascal dans ses Pensées :

« Voilà où nous mènent les connaissances naturelles. Si celles-là ne sont véritables, il n'y a point de vérité dans l'homme ; et si elles le sont, il y trouve un grand sujet d'humiliation, forcé à s'abaisser d'une ou d'autre manière; et puisqu'il ne peut subsister sans les croire, je souhaite, avant que d'entrer dans de plus grandes recherches de la nature, qu'il la considère une fois sérieusement et à loisir, qu'il se regarde aussi soi-même et juge s'il a quelque proportion avec elle par la comparaison qu'il fera de ces deux objets.

Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent ; qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour l'univers ; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre décrit ; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'un point très délicat à l'égard de celui que les astres, qui roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre : elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même à son juste prix.

Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?

Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voit une infinité d'univers dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terres, des animaux, et enfin des cirons dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver.

Qui se considérera de la sorte s'effrayera de soi-même, et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre des deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la

vue de ces merveilles ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin, qu'est ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant : un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable ; également incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini où il est englouti. »108

Le caractère infini de l’espace qui nous entoure, accessible par la contemplation du ciel nocturne, apparaît bien comme source de questionnements physiques, métaphysiques, philosophiques et spirituels, questionnements indispensables à la constitution et à la différenciation culturelle de chaque être.

Un espace-temps de la démesure

La nuit offre donc d’entrevoir, de toucher des yeux un espace et un temps aux dimensions quasiment invisibles dans l’univers diurne. Ainsi, la vue du ciel nocturne, de ses étoiles, amas, nébuleuses et galaxies évoluant à des distances et selon des vitesses totalement « impalpables », permet à tout un chacun, comme aime à le dire Jacques Arnould, de « concentrer le cosmos aux dimensions de l’humanité » et donc, en retour, de « dilater l’humanité aux dimensions du cosmos ». Ainsi, pour l’UNESCO :

« Inclure l'interprétation du ciel comme un thème du patrimoine mondial est une étape logique dans la prise en considération de la relation entre l'homme et son environnement. »109 Cette prise en considération passe par une prise de conscience d’un environnement aux dimensions et aux vitesses démesurées par rapport à notre environnement proche, fut-il global. Cette prise de conscience apparaît chez toute personne – même néophyte en science astronomique –, levant les yeux en direction de la voûte céleste : observer le ciel à l’œil nu – la première forme d’astronomie – donne à voir des milliers d’étoiles (environ 2000, simultanément, sous un très bon ciel) ; une petite lunette astronomique, des dizaines de milliers ; un télescope, des millions. Ainsi, plus nous portons notre regard dans le monde nocturne loin et vers des objets de plus en plus ténus, plus nous touchons à la multiplicité, approchant ainsi de la notion d’infini, alors que le monde diurne, lui, ne nous permet de voir dans le ciel que l’unicité (le Soleil, la Lune).

Mais porter son regard sur des objets célestes situés à des milliers, des millions, des milliards d’années-lumière c’est aussi, du fait de la vitesse finie de la lumière, laisser le champ (oculaire) libre à une lumière émise par ces objets il y a plusieurs milliers, millions, milliards d’années, renforçant ainsi le vertige des chiffres auquel est confronté l’homme observant la voûte céleste.

108 Pascal B., 1670, Pensées.

109 UNESCO, 1992, Initiative thématique : « Astronomie et Patrimoine Mondial ».

« Chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière. »

Les Contemplations, Victor Hugo

1.3 LES ATTRIBUTS FONDAMENTAUX DE LA LUMIÈRE

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