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Vers un travail de compréhension et d’objectivation

2. Sociologue, « artisan intellectuel »

2.7. Vers un travail de compréhension et d’objectivation

Ces « réalités » du développement minier revêtent aussi parfois un discours ironique duquel le chercheur doit savoir décortiquer le sens et la portée. Pour comprendre la représentation qu’a pu avoir cette lutte collective à Sept-Îles contre un projet d’exploration uranifère, et au regard du dernier exemple mentionné ci-haut, une interviewée me dira, « ils vont en parler quand tout le territoire sera claimé » (Entrevue 16, 2 août 2011) se référant ainsi à l’aspect politique de dévoilement dans l’arène publique. Je noterai à la suite de cette entrevue que : au plus profond de cette intervention, je sens bien que le combat est celui de tous les instants, ici où les mines ont tous les droits.

Pour ainsi mieux comprendre cette ficelle je me rendis moi-même à la Commission parlementaire sur les mines (projet de loi 14)24 qui se déroula à la fin du mois d’août 2011, et j’assistai aux nombreuses consultations publiques et dépôts de mémoires par des acteurs de la société civile. La fin du terrain de recherche à Sept-Îles n’est en rien la fin du parcours d’enquête. Non seulement cette présence me permit de mieux connaître les tenants et aboutissants de ce projet de loi ainsi que des rouages d’une commissions parlementaire, mais elle me fit comprendre de manière particulièrement aigüe les relations de pouvoir qui se jouaient dans les coulisses autant que les ramifications du lobby minier25. Parallèlement à cette commission parlementaire se tenait

24 Il est à noter, à des fins de compréhension, que cette commission parlementaire sur les mines (projet de

loi 14) faisait suite au projet de loi 79 qui lui-même avait été suspendu et remplacé dans le tollé de l’exploration du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. Cette levée de bouclier contre cette filière énergétique nécessita de reformuler un autre projet de loi en tenant compte de nouvelles spécificités quant à la refonte de la Loi sur les mines. Par ailleurs, contrairement à la précédente, cette commission parlementaire allait se faire sur invitation uniquement; dans le cadre de cette commission ouverte au public sur le projet de loi 79, le dépôt de mémoires, allait se faire de manière sélective. Dans le cas qui nous intéresse, autour du projet de loi 14, Sept-Îles Sans Uranium ne fut pas invité lors de cette commission à présenter un mémoire entourant les enjeux de l’uranium au Québec ainsi que de l’intensification des travaux d’exploration sur la Côte-Nord.

25 Deux anecdotes, de nature bien différente, permettront aux lecteurs de mieux comprendre cette

affirmation. Premièrement, lors de la présentation de la Fédération de la Chambre de commerce du Québec (FCCQ), le 25 août 2011, je notai que la présidente d’alors tâcha de démontrer un soi-disant manque d’éducation économique chez les jeunes, ce qui (implicitement ?) soulignait leur méconnaissance (impliquant ainsi leur discrédit) en ce qui concerne le développement minier. Dans son discours elle affirma ni plus ni moins que « depuis que l’on a entré l’écologie dans les écoles, on a sorti l’économie ». Le deuxième exemple est quant à lui davantage relié au contexte qui planait lors de cette commission. Lorsque certains membres de la société civile présentèrent leur mémoire, ils furent à leur sortie « intimidés » par des

devant le Parlement un « camp minier » où différents groupes de la société civile, dont Sept-Îles Sans Uranium, partageaient de l’information et des connaissances alternatives sur le développement de l’industrie minière au Québec. J’en profitai donc pour « continuer » mon terrain de recherche en discutant autant de cette commission parlementaire et des mémoires présentés pour l’occasion, mais aussi des revendications de militants. Déplacement géographique certes, mais aussi d’échelle, c’est-à-dire d’une différente compréhension de la résistance locale vers des enjeux globaux.

En ce sens, le « terrain » de la commission parlementaire ouvre une nouvelle fenêtre pour la compréhension. Autre élément au tableau, il permet de saisir l’espace public à différentes échelles et la façon dont la problématisation de la reconfiguration politique par une lutte collective se joue par des tensions de légitimation.

Des hypothèses de recherche apparaissent ainsi en écho aux différentes informations récoltées sur le (les) terrain. Les différents récits et jusqu’à la commission parlementaire sur les mines se trouvent intimement liés au réaménagement de l’espace public. Cette lutte collective avait fait ressortir des sentiments desquels, à travers une réinterprétation de la notion de risque – telle qu’elle sera explicitée au prochain chapitre – témoignèrent de manière radicale des modalités d’appropriation territoriale que représentent l’exploration et l’exploitation minière.

Dans ce travail d’objectivation et afin de percevoir des « soudures imprévues » (Mills, 1967), les témoignages font ainsi place à de nouvelles justifications, justifications que l’on doit comprendre dans un processus socio-historique dont la démonstration sociologique est peut-être ainsi, non seulement de comprendre, et par-là d’expliquer, mais aussi de « faire mémoire ». L’attention portée à cette lutte collective mit au grand jour différents aspects du « vivre-ensemble »; de quelle manière et dans quel contexte se tissent des solidarités face au développement minier ? Et surtout, sur quelles bases le sociologue peut-il les saisir ? Comment les portent-ils à un autre niveau d’intelligibilité ? Quelles en sont les opérations et les découpages de sens ? Le travail méthodologique

représentants de compagnies minières les apostrophant en leurs exprimant de bien « vérifier leurs chiffres ».

expose ainsi dans leur épaisseur les différents aspects de la recherche tout en objectivant les a priori du sociologue (pour ne pas dire sa « vision du monde »).

Chapitre 3

Perspectives théoriques et considérations épistémologiques

Ce qui passait pour de la ‘‘science’’, apparait aujourd’hui comme une philosophie contestable; quant à la “vraie science”, on lui reproche de ne livrer que des fragments confus des réalités où vivent les hommes.

C.W. Mills (1967)

La lutte collective qui est l’objet du présent mémoire est partie liée à l’histoire économique de l’industrie minière au Québec qui, on l’a vu précédemment, se révèle tout compte fait un domaine d’étude peu exploré par rapport à l’industrie forestière. À la lecture de recherches sur les différents aspects du développement minier et des évènements de lutte collective, il est aussi frappant de constater l’absence d’ouvrages de référence sur le sujet fondés notamment sur des enquêtes de terrain. Sous l’égide des sciences sociales, ces études brillent par leur absence, notamment en sociologie, et, force est de l’admettre, mettent l’accent sur des « régions d’exploitation » en particulier. Par exemple, contrairement à l’Abitibi, la Côte-Nord est passablement négligée, pour ne pas dire marquée du sceau de « grande oubliée ».

Certes, cette industrie, intimement liée au mythe d’un « Québec minier », représenté depuis des lustres selon la formule classique de « terre inépuisable de ressources », est encore aujourd’hui caractérisée, de manière intrigante, par l’absence d’études sociologiques sur le sujet. Bien que d’autres secteurs industriels au Québec aient été la cible de multiples recherches en sciences sociales, notamment l’industrie forestière, cette dernière, la filiale minérale, reste en grande partie dans l’ombre. Avec la montée du prix des matières premières sur le marché, porté par de fortes spéculations financières et

des ruées frénétiques vers de nouveaux lieux d’exploitation, les impacts de ces développements se cristallisèrent au sein de régions dites ressources, pépinières de l’industrie, offrant des lieux inédits pour la recherche de terrain. C’est principalement sous l’essor sans précédent du secteur minier durant les années 1970-1980 que s’offre dès lors à l’observateur un impérialisme nouveau style avec ses pôles de développement, ses grands chantiers d’exploitation, et sa division internationale du travail.