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Échantillon, objet, et statut de l’entretien sociologique

2. Sociologue, « artisan intellectuel »

2.5. Échantillon, objet, et statut de l’entretien sociologique

Le chercheur ainsi « armé » de connaissances journalistiques entre progressivement dans cette « contemporanéité de ceux qu’il étudie ». Certes, il est rapidement confronté à la limite de ces dernières qui ne sont qu’un angle duquel se comprend une image qui reflète la constitution de cette lutte collective. Force sera rapidement d’admettre que pour comprendre de quelle manière les acteurs sociaux se sont représentés les enjeux relatifs à cet évènement de résistance populaire, le chercheur se devra de diversifier ses sources, parmi lesquelles les entretiens apparaissent alors comme incontournables. Pour ne pas simplement restituer un discours déjà constitué, comme le sont les différents discours journalistiques, le sociologue qui souhaite dans ce sens ouvrir de nouvelles fenêtres vers la compréhension d’un phénomène social est ainsi amené à progresser par d’autres voies. Il devra observer autrement, écouter ailleurs les formes d’intelligibilité du social. L’entretien sociologique permet ainsi de mettre au jour de nouvelles facettes par lesquelles le chercheur tente de comprendre les différents sens que

les acteurs donnent à leur engagement (et pratique), les évènements auxquels ils sont confrontés et, la reconstitution des expériences19.

Dans le cadre de ce travail de recherche, dès mon arrivée à Sept-Îles, afin de me familiariser avec les lieux et le contexte, et en vue d’entrer dans la contemporanéité de cet espace duquel avait jailli cette résistance, je réalisai quelques entrevues informelles, principalement avec des résidents locaux, ayant été autant acteurs que témoins de cette lutte collective. Ces discussions s’avérèrent cependant « clandestines » sans que j’aie l’impression alors d’aller au nœud de l’affaire. Rapidement, je me posai plusieurs questions sur les possibilités de l’enquête, faisant émerger ainsi de nombreuses inquiétudes : allais-je pouvoir discuter suffisamment de cette lutte collective ? Allais-je être capable de discuter ouvertement de cette opposition qui semblait, dès mon entrée sur le terrain, être une relique du passé20 ? Il semblait donc nécessaire de « percer » le flux de l’actualité et du temps journalistique (un temps de l’urgence, de l’immédiateté, de la cote d’écoute, pour ne pas dire du prime-time) afin de construire – à partir des entretiens qualitatifs – un retour réflexif, permettant ainsi la mise au point de l’objectif pour le regard sociologique sur cet évènement de résistance.

Dans l’objectif de bien expliciter la démarche de recherche, il est à noter qu’une seule entrevue fut négociée avant le départ pour Sept-Îles, soit avec une journaliste de la région. Ce premier entretien, bien qu’il mette en perspective la relation délicate du journaliste et de son engagement envers le politique, produisant ainsi corrélativement un « effet de réserve », permit néanmoins une rencontre avec une informatrice privilégiée. Cette première rencontre fut, à cet égard, très fructueuse puisque cette dernière m’informa et me conseilla sur les contacts-clés sur le terrain. Les entrevues se succédèrent rapidement puisque je pus, sans avoir au préalable mis à l’agenda quelques entretiens − je reconnus alors avoir négligé que les entretiens ne sont que « le centre du travail qui comprend aussi un ensemble de préparatifs » (Chamboredon, Pavis et al, 1994) −, réaliser ces vingt entrevues dans un intervalle de temps relativement court. Je fis

19 Pour Alain Blanchet (1985), l’entretien a ainsi valeur de scientificité en ce qu’il « permet d’étudier les

faits dont la parole est le vecteur principal (études des actions passées, de savoirs sociaux, des systèmes de valeurs et normes…) ou encore d’étudier le fait de parole lui-même (analyse des structures discursives, des phénomènes de persuasion, argumentation, implication… ».

signer, à chacune des entrevues, un formulaire de consentement (voir annexe 2) expliquant les tenants de la présente enquête et dans un cas seulement, je dus présenter une lettre du directeur de recherche qui attestait officiellement du sérieux de la recherche (voir annexe 3).

Cela étant dit, la recherche s’appuie ainsi en grande partie sur des données accumulées à l’aide d’entrevues structurées – soit à partir d’une grille d’entretien composée d’une liste de questions et de thèmes à l’étude (voir l’annexe 1). Ces thèmes ont été choisis relativement à la représentation des institutions sociales et dont le chercheur a tâché ici de comprendre autant la permanence que la transformation et ce, du point de vue du vécu des résidents de la région septilienne. Ces thèmes sont ainsi constitués selon des « rapports à », qui sont susceptibles de mettre en lumière une compréhension de schèmes sociocognitifs, soit : 1) au territoire (Sept-Îles, Côte-Nord), 2) à la lutte collective elle-même (à son institutionnalisation) 3) à la politique et aux décisions gouvernementales, 4) à l’économie de l’industrie minière et plus spécifiquement à la Loi sur les mines, 5) ainsi qu’aux médias traditionnels et alternatifs.

Dans le cadre de cette présence continue sur le terrain de recherche, vingt entrevues qualitatives ont été réalisées avec différents acteurs de la région septilienne : agents de développement économique, militants environnementaux, journalistes, avocats, médecins, Innus (de la communauté d’Uashat/ Mani-Utenam), acteurs de la vie politique municipale, ingénieurs, étudiants, syndicats et, citoyens ayant travaillé (ou travaillant actuellement) dans le développement minier de la région. Cet échantillon permet de couvrir un large éventail de représentations sociales entourant non seulement le projet d’exploration uranifère en tant que tel, mais également la question du refus collectif. Pour ce faire, la méthode d’échantillonnage s’est basée sur des critères d’appartenance à différents groupements sociaux et institutionnels qui, tour à tour, permettent de rendre compte d’une perspective singulière de ce refus en lui-même. S’il n’a pas la prétention d’être exhaustif, cet échantillon de vingt entrevues permet néanmoins une diversité de contenus qui sont autant de récits21 de cette résistance populaire.

21 Dans son ouvrage L’entretien compréhensif , Jean-Claude Kaufmann (2011 : 67) souligne d’une façon