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D’une société du risque à une modernisation écologique ?

2. Sociologue, « artisan intellectuel »

3.4. D’une société du risque à une modernisation écologique ?

Que nous apprennent ces changements dans l’arène publique ? Comment la question écologique est-elle portée en question de front dans les débats politiques ? De quelle manière les mouvements de contestation alimentent-ils cette forme de modernisation ? Enfin, comment les « activités subpolitiques » intimement liées à des

modalités d’engagement, soutenus par la formation de « systèmes-experts », invitent-elles à penser en termes de modernisation écologique ?

Tel qu’on l’a vu antérieurement, dans ce procès de la modernité réflexive du risque, la question écologique s’est vue octroyée une place de plus en plus importante. L’institutionnalisation du doute et la montée d’une conscientisation environnementale, offrent à l’observateur un paysage en pleine transformation dont la première et la plus importante mutation est le réaménagement de la place qu’occupent la politique et les modalités du vivre-ensemble.

Le test de politisation dans lequel est aspirée l’arène institutionnelle est ainsi particulièrement visible à travers un vocabulaire qui a su s’imposer au sein de cette crise écologique, dont collectivement, les impacts se révèlent chaque jour avec plus d’appréhension. La notion de « développement durable » est probablement celle qui occupe la position centrale dans le débat. Sa mise en application s’est faite en réussissant, d’un tour de force, à démontrer la compatibilité entre deux importantes institutions de la modernité, soit l’accroissement économique et le développement technologique. Sans mettre au banc des accusés ces deux éléments intrinsèques de la modernité, et ce, à travers le procès de la crise écologique (principalement par leur rapport à la destruction de l’environnement), la notion de développement durable s’est constituée comme archétype d’une féodalisation de la pratique scientifique offrant, de fait, la mesure acceptable du développement. Pour parler avec Beck, on y voit ainsi un « pauvre artifice : les taux limites ». L’idée est en apparence toute simple. En deçà d’une certaine limite la pollution est acceptable, le risque est contrôlable, les êtres sont relativement immunisés des dangers, tout en étant sujets à un peu de contamination. « Avec les taux limites, ce ‘‘petit peu’’ d’intoxication qu’il s’agit de fixer devient normalité. Il disparaît derrière les taux limites » (Beck, 1986[2001] : 117)36. La modernisation écologique pousse en effet la question dans une autre voie, celle critique de rendre compte des pratiques discursives dans lesquelles les logiques de développement sont imbriquées dans

36 Pour cet auteur, la conscientisation accrue des questions environnementales impose un regard radical

pour ne pas dire un constat brutal sur les enjeux des « taux limites » et surtout de leurs silences. En effet, mentionne-t-il, « cela reste de la pure inconscience que de déterminer des taux limites à partir de substances isolées lorsqu’on autorise dans le même temps l’utilisation de milliers de substances nocives, et que l’on ignore royalement les effets de leur action conjuguée! » (p. 122).

une définition du politique basée sur l’inquiétude, le soupçon, et la conscience des risques (principalement environnementaux) toujours déjà présents et potentiels. Qu’est-ce qui est durable au sein du développement ? Selon quels critères et surtout à partir de quels taux limites ?

Au sein de cette modernité réflexive et profondément écologique, certains pans de la science sont acculés au pied du mur. En mettant en place des zones contrôles dans lesquelles le risque (la contamination, la pollution, le danger de déversement chimique, etc.) est à un degré acceptable, c’est toute la société qui est ici interpellée, placée devant « the fondamental assumption of the conventional wisdom, namely that there was a zero- sum trade-off between economic prosperity and environmental concern » (Weale, 1992 : 31).

Au cœur de la théorie de la modernisation écologique, se trouve ainsi, tout comme la société du risque, une place grandissante des considérations environnementales restructurant l’espace politique. La théorie de la modernisation écologique invite ainsi à penser de manière particulière cette radicalisation de la modernité réflexive en y inscrivant comme cheville ouvrière le rôle des mouvements sociaux écologistes : « the role of environmental movement will shift from that of a critical commentator outside societal developments to that of a critical – and still independent – participant in developments aimed at ecological transformation » (Mol, 1995 : 48).

À la manière de La société du risque de Beck et de sa notion clé de subpolitique, la théorie de la modernisation écologique est marquée de plein droit par la montée de ces mouvements qui agissent comme élément de restructuration de l’arène publique. Cette forme de modernité porte en elle les germes d’une autonomisation de la rationalité écologique vis-à-vis de la rationalité économique, qui offre un nouveau cadre à la production du savoir. La théorie de la modernisation écologique est ainsi une perspective féconde afin de penser les transformations de notre monde contemporain à la lumière de la pénétration constante des considérations environnementales auxquelles il n’est plus possible de faire la sourde d’oreille.

Cependant, la réduction qu’opère cette perspective écologiste, au regard d’une seule forme de critique sociale environnementale, et ainsi contrairement aux sociologues Anthony Giddens et Ulrich Beck situant la « crise écologique » dans une lecture profondément radicale et réflexive de la modernité, la théorie de la modernisation réflexive « is limited insofar as it deals with only the industrial dimension of modernity, neglecting dimensions of capitalism and surveillance, and because it narrows the concept of nature to the sustenance base » (Spaargaren & Mol, 1992 : 341). Elle ne saurait en effet être balayée du revers de la main. Cette théorie sociologique a le mérite de jeter un éclairage sur l’une des conséquences de cette modernité réflexive, soit l’« ecological politicization » dont les enjeux pour la science, tel que nous l’avons vu précédemment, sont fondamentaux.