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entrepreneuriat social

3.1.1. Vers la définition d’une valeur globale en entrepreneuriat

social

Les modèles d’affaires (business models) sont nés pour exprimer la façon dont une organisation « crée, délivre et capture la valeur » (Osterwalder & Pigneur, 2010, p. 14) à travers 9 blocs :

1) Segments des clients ;

2) Proposition de valeur pour satisfaire les clients ou résoudre des problèmes ; 3) Canaux de communication, distribution et vente ;

4) Relations avec les consommateurs ; 5) Source de revenus ;

6) Ressources clés ; 7) Activités clés ; 8) Partenariats clés ; 9) Structure des coûts.

Le mélange des possibilités de chaque bloc résulte des différentes manières de travailler sur une affaire. Le fait de confronter chaque modèle avec les différentes parties prenantes permettra de trouver celui qui convient le mieux à l’organisation (Osterwalder & Pigneur, 2011). Sur cette base-là, une proposition de business model à trois dimensions est née : le

triple-layered canvas business model (Figure 30). Il cherche à expliciter l’intégration des valeurs environnementales (à travers le cycle de vie) et sociales (à travers l’impact) au modèle économique de l’organisation en rajoutant 18 autres blocs (Joyce & Paquin, 2016) :

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

1. Dimension environnementale :

1.1. Valeur fonctionnelle : évaluation du cycle de vie des unités de produit par consommateur, par an/cycle ;

1.2. Matériels et leur impact environnemental (par l’empreinte carbone, par exemple) ; 1.3. Les activités de production au centre de l’activité ou avec un fort impact

environnemental ;

1.4. Fournisseurs et sous-traitants : activités de support (énergie et eau compris) et leur impact environnemental ;

1.5. Distribution : impact environnemental des emballages et de la logistique (efficience des moyens de transport par rapport aux distances et produit transporté) ;

1.6. Phase d’utilisation: quel est l’impact de la consommation/utilisation du produit par les clients ;

1.7. Fin de vie : impact environnemental des activités de recyclage, de récupération et de valorisation des déchets, ou l’impact des ordures ;

1.8. Les impacts environnementaux additionnés (émissions de CO2, impact sur la santé et la nature, diminution des ressources, consommation d’eau, etc.) et exprimés en termes financiers ;

1.9. Les bénéfices environnementaux additionnés (innovations pour réduire des émissions, consommation des ressources ou d’énergie, etc.) et exprimés en termes financiers.

2. Dimension sociale :

2.1. La valeur sociale liée à la qualité de vie des consommateurs/clients (ainsi que des fournisseurs) ;

2.2. Employés : qualité de l’emploi, égalité d’opportunités, satisfaction de leurs besoins, etc. ;

2.3. Gouvernance : la propriété de l’organisation, sa structure, le processus de prise de décisions et les modalités de participation des parties prenantes dans la création de valeur doivent être évalués ici ;

2.4. Communautés : relations entre l’entreprise, les fournisseurs éloignés, et la communauté d’accueil, là où l’entreprise est établie (points des ventes inclus) ; 2.5. Culture : esprit de l’entreprise et impact sur la société en générale ;

2.6. Travail de proximité : ampleur et profondeur des relations avec les parties prenantes dans le temps ;

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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2.7. Utilisateurs finaux : satisfaction des besoins et désirs des derniers maillons de la chaîne de valeur ;

2.8. Impact social négatif : heures travaillées au-delà de la loi et autres fautes aux règlements, transfertde l’héritage culturel, destruction de la santé, non engagement avec la communauté, etc. ;

2.9. Bénéfices sociaux : création des opportunités, satisfaction des besoins et des désirs des populations touchées par le produit ou la production.

Bien évidemment, ce canevas n’est qu’un outil qui peut servir à la conception d’un projet. Il faut se rappeler que la création de valeur n’est pas déterminée à l’avance mais elle est construite au moment de l’utilisation des ressources disponibles (Di Domenico, Haugh, & Tracey, 2010). Cela signifie que « la valeur ne se détermine donc ni dans des structures toutes données, ni dans une réduction de complexe simple, mais dans une construction progressive […] dans un processus imbriqué entre fin et moyen », ancrée « dans le temps par rapport à un contexte » (Schmitt, 2012c, p. 83).

« La prise en compte de la valeur sociale amènerait à repenser la structure même d’un plan d’affaires en tant que modèle générateur de sens partagé. La création des valeurs,

versus la création de valeur, serait ainsi mise en perspective pour garantir la seule

finalité sociale du projet, fondatrice de l’entrepreneuriat social » (Boussaguet & Haddad, 2013, p. 7).

Pour créer et partager un sens commun, il faut réfléchir « à l’être humain en situation, dans son lieu propre, dans son histoire et face à elle » (Fourez, 2009, p. 12). Le contexte qui délimite les fins et les moyens interagit avec les limites de la rationalité des individus et des éléments non intentionnels (Schmitt, 2012c, p. 83). Individu, contexte et organisation créent ainsi une situation entrepreneuriale (Figure 31). Au niveau théorique, une situation entrepreneuriale correspond à une interaction entre trois éléments : (i) l’individu entrepreneur (avec tout ce qu’implique sa personne) ; (ii) les autres acteurs qui constituent l’organisation (que l’entrepreneur construit et dirige) ; puis (iii) le contexte, ce quelque chose de plus large contrôlable ni par les individus ni par l’organisation. Les situations entrepreneuriales nous permettent de voir, non seulement les différents acteurs et leur perception, mais le rôle de l’intentionnalité, la vision et la construction sociale de l’opportunité d’affaires.

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…

Figure 31. Schéma d'une situation entrepreneuriale. Source : (Schmitt, 2015, p. 72) Puisque l’entrepreneuriat s’inscrit dans le futur, nous devons envisager une manière de relier une situation future à celle du présent et la notion d’intentionnalité semble remplir ce rôle. Si l’entrepreneur, par sa capacité de conception, imagine divers scénarios, alors les circonstances de son contexte et ses objectifs vont lui faire entreprendre certaines actions pour arriver à la situation future. Ces actions seront imprégnées de son désir et sa volonté d’arriver au but, c’est-à-dire de son intentionnalité :

« Voici ce qui caractérise ces situations : l’entrepreneur est amené à confronter son

intentionnalité à travers sa vision par rapport à un contexte et à des personnes évoluant

dans ce contexte. La vision est postérieure à l’intentionnalité. Alors que la vision est

extrinsèque à la conscience, l’intentionnalité apparaît comme lui étant immanente. La vision n’est alors que la conséquence de l’intentionnalité » (Schmitt, 2015, p. 72)

L’intentionnalité des entrepreneurs est le point de départ dans le futur (Schmitt, 2015). Elle est une projection (ou un projet d’action comme expliqué par Fayolle, 2004) de la situation actuelle à partir de la conception d’une situation future (comme schématisé dans la Figure 16 de la section 1.1). Pour donner du sens à cette projection, l’entrepreneur est appelé à problématiser, à construire un problème ; l’entrepreneur doit donc créer un écosystème de façon néguentropique61 qui permettra d’organiser l’ordre et le désordre de la situation entrepreneuriale future souhaitée et de faire le lien entre fins et moyens pour la relier au contexte actuel (Schmitt, 2015).

La problématisation doit permettre de traduire l’intentionnalité de la solution perçue vers une solution contextualisée globale (en considérant tous les éléments d’une affaire : marché, concurrence-partenariats, financement, stratégies, impact) et aboutir dans un artefact (comme un plan d’affaires ou tout autre outil visuel) qui sera employé pour confronter sa

Partie I. Une représentation dichotomique des modèles de la valeur

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vision avec les parties prenantes (Schmitt, 2015, p. 78). Un artefact est une représentation visible et facilement partageable de la valeur construite grâce à l’agir entrepreneurial. Selon une manière particulière d’expérimenter la réalité, les entrepreneurs donnent un sens à leur situation désirée et construisent leur opportunité d’affaires qu’ils confronteront pour tester la robustesse et la cohérence (Figure 32). Il faut se rappeler que les liens entre chaque étape de ce mécanisme de pensée et action ne sont ni linéaires, ni statiques, ni isolés. Au contraire, il faut favoriser l’interaction avec des personnes externes à la situation la plus proche et revenir à chaque étape pour affiner les éléments qui sont nécessaires au fur et à mesure qu’on gagne en sens, robustesse et cohérence.

Figure 32. Utilisation de l'agir entrepreneurial dans la construction de la valeur globale. Inspirée du texte de Schmitt (2015) Ainsi, la dialogique entre conception, réalisation et valorisation des produits et des services permet d’avancer vers un modèle de la valeur globale qui se construit par la problématisation d’une situation future et par la traduction du projet envers les parties prenantes. Il nous reste maintenant à mesurer la valeur pour mieux la partager.

Chapitre 3. Les convergences et les limites des modèles de la valeur…